Notre journaliste Gabriel Béland traverse le pays en train. D'Halifax à Vancouver, il s'arrête là où les caravanes électorales s'attardent peu. Aujourd'hui, il visite la circonscription de Provencher, près de Winnipeg.

«Quand ça va monter, ça va monter vite», prévient Michel McDonald en arpentant son terrain gagné par les eaux.

L'homme qui habite en périphérie de Winnipeg explique d'un air débonnaire que la rivière devant chez lui pourrait bientôt recouvrir la route. Il serait alors isolé pendant plusieurs jours et pourrait même manquer le scrutin du 2 mai. Mais ça n'a pas l'air de l'émouvoir outre mesure. «Vous savez, on est habitués dans la région», dit-il, résigné.

La campagne électorale bat son plein dans les Prairies comme ailleurs au pays. Mais depuis quelques jours, ici, les promesses des politiciens font bien peu souvent les manchettes: la saison des inondations retient toute l'attention.

La situation est particulièrement critique au Manitoba, où quelque 700 personnes ont déjà été évacuées et plus de 80 routes fermées. Les crues pourraient être les pires en 150 ans, a même indiqué la province hier.

Michel McDonald habite dans l'oeil du cyclone. Sa maison est plantée dans la vallée de la rivière Rouge. Autour de chez lui, une plaine immense s'étire à perte de vue. Sur cette terre plate, la rivière peut faire des ravages.

«En 1997, lors de la dernière grosse inondation, l'eau a monté jusque-là», explique le Franco-Manitobain de 66 ans en désignant un interrupteur au mur du rez-de-chaussée. Le sous-sol n'était plus qu'une baignoire géante et les dégâts ont été énormes.

Les crues de la rivière Rouge sont en effet terrifiantes. La capitale du Manitoba, que traverse la rivière, a été entourée d'un canal de dérivation dans les années 60 pour combattre les inondations. Ce canal n'a toutefois aucun effet chez M. McDonald, qui habite à une vingtaine de minutes de voiture au sud de Winnipeg.

Après le désastre de 1997, il a donc fait construire une butte de 3 mètres qui a nécessité 1000 chargements de terre. Aujourd'hui, sa maison trône comme une forteresse à côté de la rivière Rouge.

Quelques préparatifs restent toutefois nécessaires année après année. Michel McDonald a sorti son canot du garage, a rempli le congélateur du sous-sol et a fait provision de «bonnes bouteilles». Dans le pire des cas, explique-t-il, les routes seront inondées.

«Quand le niveau de l'eau va être critique pour la route, ma femme va partir en ville. Elle a des choses à faire, elle dirige une chorale, explique-t-il. Moi, je vais rester ici. Ça pourrait durer 10 jours. Mais ce n'est pas grave: j'ai du jardinage à faire et des livres à lire.»

Un scrutin humide

Les crues devraient connaître leur apogée au début du mois de mai, ce qui a fait dire à plusieurs habitants du coin que les politiciens à Ottawa avaient fait preuve de bien peu de sensibilité en déclenchant des élections à cette période.

Les candidats ont repris la balle au bond. Un représentant du Parti conservateur dans une circonscription au nord de Winnipeg, Lawrence Toet, a ainsi accusé hier un député sortant néo-démocrate d'avoir provoqué les élections. Ce dernier, Jim Maloway, a répliqué en demandant une meilleure protection pour les victimes des inondations de la part des compagnies d'assurance.

Tout ce débat est bien surréaliste pour M. McDonald, qui ne sait même pas s'il pourra aller voter le 2 mai. «Si l'eau entoure la maison, mais que la route est praticable, je vais pouvoir me rendre à la voiture en canot, dit-il. Mais si la route est inondée, je vais être pris chez moi.»

De toute façon, fait-il valoir, sa voix risque d'être noyée dans sa circonscription de Provencher (qui fut, pour l'anecdote, représentée à la fin du XIXe siècle par Georges-Étienne Cartier et Louis Riel). «Provencher est conservatrice mur à mur et je vais perdre mon vote», dit-il avant de lancer une tirade contre le député sortant, Vic Toews.

«Si je suis pris ici, ce n'est pas plus grave, philosophe-t-il. Mine de rien, c'est agréable de s'asseoir sur le balcon avec un verre de vin et de contempler le gros lac devant la maison. Il est là juste une fois par année!»