Le débat des chefs en français a fait une grande gagnante: Muguette Paillé. Cette chômeuse de 53 ans est devenue une véritable superstar après avoir demandé aux candidats ce qu'ils comptaient faire pour relancer l'emploi en Mauricie. Et tant mieux, disent les habitants de son village, Sainte-Angèle-de-Prémont. Depuis trop longtemps, les politiciens ignorent les problèmes de la région.

L'heure du midi est déjà bien entamée, mais à peine trois clients chauffent les sièges du Picasso. Le juke-box de chrome qui orne l'entrée est silencieux. À l'instar du village, l'unique restaurant de Sainte-Angèle-de-Prémont a déjà été plus animé.

«Depuis deux ou trois ans, l'achalandage a baissé, soupire le propriétaire, Michel St-Louis. Disons qu'on fait notre paye, c'est ça qui est important.»

Dans cette municipalité de 700 habitants, nichée au nord de Louiseville, en Mauricie, tout le monde connaît au moins un chômeur. Il y a 30 ans, il y avait une école, un couvent, un bureau de poste. Aujourd'hui, des champs à moitié couverts de neige et une sablière accueillent les visiteurs à l'entrée du village. Une carrière les salue à la sortie.

L'école est fermée depuis longtemps. Le bureau de poste est devenu un comptoir. Les résidants ont dû se battre pour l'empêcher de déménager. L'une des deux épiceries a fermé, l'autre est devenue un dépanneur.

Comme bien des Canadiens, Muguette Paillé a encerclé le 2 mai sur son calendrier, mais pas à cause des élections. La résidante de la rue Paul-Lemay a perdu son travail dans une résidence il y a un an. La semaine du vote devrait coïncider avec ses dernières prestations d'assurance emploi.

«Depuis un an que j'essaie, que j'essaie, et il n'y a pas moyen de trouver un emploi, raconte la femme de 53 ans. C'en est décourageant. C'est pour ça que j'ai posé ma question. Réveillez-vous, quelqu'un!»

En demandant aux quatre chefs de parti ce qu'ils comptaient faire pour relancer l'emploi dans sa région, mercredi soir, Mme Paillé a provoqué des échanges endiablés. Et les réseaux sociaux ont vite transformé cette femme de 53 ans en icône du ras-le-bol populaire à l'égard des politiciens.

Lors du passage de La Presse, hier, Muguette Paillé était coiffée d'une oreillette, tant son téléphone sonnait. Des journalistes ont fait la file dans sa coquette cuisine au plancher de bois pour la rencontrer. Le chef libéral Michael Ignatieff l'a appelée sur l'heure du midi, tout comme la candidate libérale dans Berthier-Maskinongé, Francine Gaudet.

«Ça dépasse l'entendement! s'exclame-t-elle, entre deux entrevues téléphoniques. J'ai posé une petite question simple, je suis une petite madame de Sainte-Angèle-de-Prémont, et aujourd'hui je me retrouve sur Facebook, sur Twitter... C'est fou!»

Au nom de la population

La mairesse du village se réjouit de l'engouement soudain pour Sainte-Angèle-de-Prémont et pour sa désormais célèbre résidante, devenue l'équivalente du «Joe le plombier» des dernières élections américaines.

«Elle a exprimé le sentiment de la population en général, estime la mairesse du village, Barbara Paillé, qui n'a aucun lien de parenté avec Muguette Paillé. Qu'est-ce que les gens veulent, au départ? Travailler.»

Ouvrière couturière à la retraite, la mairesse tente depuis très longtemps d'attirer des entreprises dans son petit parc industriel. Mais la plupart des candidats préfèrent s'établir près de l'autoroute 40, située une trentaine de kilomètres au sud. D'après les données de la MRC de Maskinongé, Sainte-Angèle est la ville la plus «dévitalisée» de toute la région. Outre une usine de transformation du veau, qui emploie 70 personnes, aucune entreprise dans la ville ne compte plus de 10 employés.

Le gouvernement a beau avoir mis sur pied des programmes pour relancer l'emploi, rien n'a changé ici. Selon Barbara Paillé, c'est parce que les gouvernements ne tiennent pas compte des besoins du monde rural.

«Les gens en région, ils vivent aussi, dénonce-t-elle. Ces programmes-là, on dirait qu'ils sont juste là pour justifier les salaires des fonctionnaires. On ne peut jamais en profiter.»

Dans le village, plusieurs se disent ravis du cri du coeur lancé par Muguette Paillé. Mais ils doutent que l'attention soudaine pour leur village se traduise par des emplois. Installé derrière son bureau, Claude Genest profite de la pause avec un ami et ses deux employés. Cet homme d'affaires, qui possède trois garages, habite Sainte-Angèle-de-Prémont depuis 51 ans.

Y a-t-il un chef qui lui a inspiré confiance mercredi soir?

«C'est quatre menteurs, répond-il du tac au tac. C'est aussi simple que ça.»

Un énorme chien noir se prélasse au soleil devant son commerce, Prémont Automobiles. Au bord de la rue, une pancarte indique que l'établissement est à vendre. Il n'y a plus assez de clients.

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Ces inconnus qui ont volé la vedette (par Catherine Handfield)

Joe le plombier

En octobre 2008, alors que la campagne présidentielle bat son plein, Barack Obama rencontre les résidants de Holland, ville de l'Ohio. Parmi eux, le plombier Samuel Joseph Wurzelbacher lui pose une question concernant ses impôts devant une caméra d'ABC News. Il n'en faut pas plus pour faire de «Joe the Plumber» une véritable icône: son nom est mentionné plus de 20 fois par Barack Obama et le candidat républicain John McCain lors du dernier débat télévisé. Depuis, Samuel Joseph Wurzelbacher a publié un livre et travaillé comme conférencier motivateur.

Bill Clennett

La scène est désormais célèbre: le premier ministre Jean Chrétien essaie de se frayer un passage dans une foule de manifestants demandant un investissement dans l'assurance emploi. Sans crier gare, le politicien empoigne un militant par le cou et l'écarte brusquement de son chemin. Ce manifestant, c'est Bill Clennett, un Québécois qui a acquis une certaine notoriété à la suite de cet incident survenu dans un parc de Hull en 1996. M. Clennett a été candidat pour Québec solidaire aux deux dernières élections provinciales.

Solange Denis

Le matin du 19 juin 1985, une centaine de personnes âgées manifestent sur la colline parlementaire. Elles dénoncent la désindexation des pensions de vieillesse envisagée par Brian Mulroney, élu depuis quelques mois à peine. Une minuscule sexagénaire, Solange Denis, s'adresse directement au premier ministre: «Tu nous as fait voter pour toi et après tu nous as menti. Goodbye Charlie Brown!» lance-t-elle. Deux semaines plus tard, le gouvernement bat en retraite sous la pression des têtes grises. Solange Denis s'est éteinte en 2004.