Pénaliser les élèves fantômes s’avère de plus en plus complexe.

« Certains élèves arrivent maintenant trois ou quatre semaines après la rentrée, après avoir écrit à leurs profs : “Je dois me reposer un peu avant l’école parce que j’ai travaillé tout l’été” ou “J’accompagne ma mère en voyage”. »

L’époque des cours en ligne obligatoires a beau être derrière nous, bon nombre de cégépiens persistent à se tenir à distance, sans que leurs professeurs puissent pénaliser les absents chroniques, se désole Yves de Repentigny, vice-président de la Fédération nationale des enseignantes et des enseignants du Québec (FNEEQ).

« Plusieurs jeunes s’attendent à recevoir du matériel de rattrapage sur mesure ou un cours privé. Les études ne sont plus la priorité par rapport au travail et à la vie sociale, et cette insouciance s’est amplifiée avec la pandémie. »

La professeure de littérature Aïcha Van Dun observe le même phénomène au cégep de Lanaudière, à L’Assomption. Au total, 22 cégépiens, répartis dans 3 groupes, ont raté son premier cours cette année. Avant la pandémie, à peine quatre ou cinq s’y seraient risqués, calcule-t-elle.

« Certains nous réclament même de devancer nos évaluations finales pour partir en voyage ! On ne se montre pas très réceptifs… »

Au cégep de Saint-Jean-sur-Richelieu, le professeur de philosophie Éric Martin vogue lui aussi de surprise en surprise.

J’ai demandé à deux garçons pourquoi ils avaient disparu après la pause. Ils m’ont répondu qu’ils étaient au spa ! Un autre a annoncé à une collègue qu’il partait faire l’épicerie…

Éric Martin, professeur de philosophie, au cégep de Saint-Jean-sur-Richelieu

« Auparavant, on n’aurait jamais pu déclarer une chose pareille sans vergogne. Maintenant, c’est dit avec légèreté, sans la moindre gêne face à l’institution », déplore M. Martin.

Au collège de Bois-de-Boulogne, à Montréal, les élèves se volatilisent surtout en novembre, constate de son côté le professeur de littérature Nicolas Bourdon. « Quand la fatigue s’installe, ils optent pour l’apprentissage à la carte. Ils sautent leur cours de français parce qu’ils ne sont pas prêts pour leur examen de physique le lendemain. »

Certains jeunes disparaissent plusieurs cours de suite, sans avertissement, ajoute Yves de Repentigny. Ils détiennent parfois des emplois prenants ou ont d’autres priorités. « J’appelle ça des “touristes”, dit-il. En travail d’équipe, ils regardent sans participer. »

Finies les sanctions

Au cégep Édouard-Montpetit, à Longueuil, les professeurs peuvent exclure les absents chroniques des cours – et examens – pour le reste de la session, rapporte Éric Martin, qui y enseignait avant la pandémie. « Dans mon département, on prenait les présences, et les élèves qui dépassaient la limite recevaient un avertissement. Dans certains cas, ça les réveillait ; ils revenaient pour ne pas échouer et leurs notes augmentaient. »

« On devrait réintroduire un contrôle des présences plus serré. »

D’après la FNEEQ, de plus en plus de professeurs voient au contraire disparaître cette possibilité – sauf quand l’apprentissage doit absolument se faire en groupe, en stage ou en laboratoire.

Ceux du collège de Bois-de-Boulogne en font partie. Comme dans d’autres établissements, la Politique institutionnelle d’évaluation des apprentissages a été modifiée il y a quelques années.

« Le taux d’absentéisme a explosé depuis ! », affirme le professeur de littérature Nicolas Bourdon.

Les élèves qui auraient le plus besoin d’être présents viennent la moitié du temps, tout perdus et amorphes. Et ils s’attendent souvent à ce que tout le monde s’adapte en leur résumant les cours manqués. Pourtant, la présence en classe est clairement corrélée au succès.

Nicolas Bourdon, professeur de littérature au collège de Bois-de-Boulogne

Au collège de Rosemont, l’an dernier, des professeurs se sont donc vivement opposés à l’abandon des sanctions.

« Nous avons constaté que certains enseignants tiennent à ces règles et qu’elles servent d’appui pour gérer les situations complexes », nous a écrit la directrice des études du collège de Rosemont, Marie-Claude Boutet. Les modifier exigerait « des changements importants dans leurs stratégies et leurs approches ». Le collège prendra donc « le temps nécessaire pour approfondir la question » et « se doter d’une vision commune ».

Il souhaite néanmoins « que les étudiants aient un traitement équitable dans tous leurs cours », précise la porte-parole.

Actuellement, la gestion des absences diffère d’un cégep à l’autre et d’un département à l’autre.

La carotte plutôt que le bâton

La Fédération des cégeps n’a jamais fait d’enquête pour quantifier la hausse de l’absentéisme. « Mais j’entends la même chose que vous, confirme son PDG, Bernard Tremblay. Les jeunes ont des vies tellement remplies et se font tellement inciter à la consommation qu’ils n’ont pas la même attitude par rapport à la présence dans les cours et sur les campus. C’est préoccupant et ça mérite qu’on s’y attarde. »

« Ils partent aussi beaucoup plus vite après les cours, ajoute M. Tremblay. Ça devient un enjeu, parce que ce n’est pas très motivant et joue sur la persévérance scolaire. »

Qu’en pense la Fédération étudiante collégiale du Québec ? « C’est important de revenir sur le campus en grand nombre, mais mieux vaut utiliser la carotte que le bâton. Pénaliser les absences n’est pas la solution », répond sa présidente, Laurence Mallette-Léonard.

PHOTO FOURNIE PAR LA FÉDÉRATION ÉTUDIANTE COLLÉGIALE DU QUÉBEC  

La présidente de la Fédération étudiante collégiale du Québec, Laurence Mallette-Léonard  

« Autrement, prédit-elle, les étudiants qui ont des horaires moins prévisibles vont juste cesser de s’inscrire au cégep. »

Certains cégépiens ont des enfants, rappelle-t-elle. D’autres travaillent 35 heures par semaine. « La pénurie de main-d’œuvre leur offre l’occasion de payer leur loyer et leur épicerie. »

La Fédération milite donc pour une augmentation de l’aide financière et du soutien psychosocial. « On doit motiver les élèves, plaide Mme Mallette-Léonard, et restaurer le sens de la communauté. »

Interdit d’interdire

Les cégeps qui renoncent à punir l’absentéisme tentent – pour plusieurs – de répondre aux exigences de la Commission d’évaluation de l’enseignement collégial. Un organisme public, qui évalue leurs politiques et pratiques. « Certains établissements se sont fait taper sur les doigts », rapporte Yves de Repentigny, vice-président de la FNEEQ.

En 2021, la Commission a révisé le cadre de référence dans lequel elle énonce ses attentes à l’égard des cégeps. Elle a demandé depuis à neuf établissements d’assouplir leur façon de gérer les absences, nous a-t-elle confirmé par courriel. Une cinquantaine d’autres ont aussi été interpellés sur ce thème dans le passé. Les 119 établissements publics et privés qu’elle supervise voient leurs pratiques scrutées tour à tour, de façon cyclique.

La Commission veut s’assurer que les cégépiens sont « évalués de façon juste et équitable », précise-t-elle. « Les règles concernant les absences ne doivent pas empêcher l’étudiant de témoigner de ses acquis [en l’excluant des examens]. »

Trois cégeps, trois approches

Collège de Bois-de-Boulogne

« La seule présence au cours ou aux activités d’apprentissage ne peut pas constituer un objet ou un critère d’évaluation. […] Dans les cours où l’évaluation des apprentissages repose sur l’observation de l’enseignant (stages, séances de laboratoire, cours d’éducation physique, etc.) ou sur la contribution de l’étudiant à un travail d’équipe, des absences répétées peuvent placer l’étudiant en situation d’échec. »

Politique institutionnelle d’évaluation des apprentissages du collège de Bois-de-Boulogne

Cégep Édouard-Montpetit

« L’absence [au cours] peut être l’objet de sanction. Un département qui souhaite mettre en application des modalités d’exclusion en cas d’absences répétées, les soumettra au préalable à la Direction des études et s’assurera que ces modalités seront inscrites dans les plans de cours. »

Politique institutionnelle d’évaluation des apprentissages du cégep Édouard-Montpetit (qui a refusé de nous accorder une entrevue, mais indique qu’elle est toujours en place)

Cégep Sorel-Tracy

« À la suite de l’absence de l’étudiant à plus de 20 % de son cours, il peut se voir exclu de celui-ci. [Cette mesure d’exception] peut se justifier, dans ce cas-ci, par la nécessité de maintenir cet engagement au niveau le plus élevé possible. Malgré une exclusion du cours, l’étudiant a tout de même le droit de réaliser l’épreuve terminale du cours. »

Politique institutionnelle d’évaluation des apprentissages du cégep Sorel-Tracy

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  • 30 %
    Proportion des cégépiens qui travaillent plus de 15 heures par semaine
    Source : Fédération des cégeps