Doit-on sévir quand des cégépiens s’absentent à outrance ? Deux visions s’affrontent.

S’adapter aux élèves

Au cégep de Trois-Rivières, « un étudiant qui s’est absenté à plus de 10 % des activités d’apprentissage prévues » risque officiellement de « se voir refuser l’accès au cours et l’autorisation de se présenter à l’évaluation finale ». Mais cette sanction n’est plus imposée. La directrice des études et directrice générale par intérim, Nathalie Cauchon, nous explique pourquoi1 :

« Nos étudiants ont des besoins de plus en plus diversifiés, souvent exacerbés par la pandémie. Ils ont des parcours atypiques et ne sont pas concentrés uniquement sur les études. Ils travaillent davantage. Ils ont une vie sociale importante. On veut considérer ces réalités-là, s’y adapter. Parce que même si on voulait changer ça, on a une génération qui est ce qu’elle est, avec ses caractéristiques.

« La présence aux cours est évidemment une composante importante de la réussite. Mais si un étudiant est présent en classe sans que d’autres ingrédients soient au rendez-vous, ce n’est pas nécessairement suffisant.

« La transition du secondaire au collégial doit être soutenue de façon concrète, encore plus depuis la pandémie, car elle est très, très, très importante.

« Le stress et l’anxiété de nos étudiants sont beaucoup plus grands que par le passé et peuvent faire en sorte qu’un étudiant manque un cours ou une partie de son cours. On a donc augmenté de façon importante nos ressources psychosociales et notre soutien aux enseignants pour gérer les situations plus difficiles. On essaie d’agir à la source plutôt que d’adopter une approche strictement répressive par rapport à son absence. »

S’adapter aux institutions

Au cégep de Saint-Jean-sur-Richelieu, sauf exception, « aucun point n’est accordé ou retranché uniquement pour la présence ou l’absence en classe ». Le professeur de philosophie Éric Martin (qui est aussi chercheur associé à l’Institut de recherche et d’informations socio-économiques) déplore cette tendance lourde :

« On traite les étudiants comme des clients, qui sont toujours rois, au lieu de leur montrer qu’intégrer une institution implique des devoirs. S’adapter à leur réalité, ça se veut bienveillant. Mais quand la présence aux cours est vue comme une contrainte inacceptable, on confond l’autorité avec l’autoritarisme. Une contrainte, ce n’est pas toujours mauvais ; ça peut être un levier pour réveiller in extremis des personnes qui en auraient besoin.

« Quand un étudiant fait ce qu’il veut, quand il veut, on le maintient dans l’enfance. Pour devenir adulte, il faut savoir sortir de son propre plaisir, pouvoir se discipliner et appliquer les règles de la société. Mais nos sociétés favorisent un hyperindividualisme qui entraîne un rapport défaillant à l’autorité.

« Les cégeps et les écoles sont souvent gérés comme des entreprises, dans une logique de réduction de risques. On n’ose pas affronter l’étudiant ou le parent, par crainte de poursuites judiciaires. À cause de ça, les professeurs se sentent souvent abandonnés. On les prive ici de méthodes qui les aidaient à assurer des cours de qualité. Les étudiants doivent être en présence pour vivre l’apprentissage en commun – entendre et voir les autres. Ça les prépare, dans le microcosme de l’école, à vivre dans le macrocosme de la société. »

1. Les propos recueillis ont été adaptés par souci de concision.

Un grand sondage en cours

La Fédération des cégeps a lancé, cet automne, « un vaste sondage auprès des 15-24 ans, parce que justement, on perçoit des changements de souhaits et de comportements », explique le PDG du regroupement, Bernard Tremblay. Les résultats permettront de mieux les comprendre et d’« adapter l’offre de service », dit-il. « Il y a une question d’équilibre entre ce que les étudiants souhaitent et ce qui est bon pour eux, mais c’est quand même quelque chose dont on doit tenir compte. » Le sondage portera entre autres sur le mode d’enseignement (en ligne ou en présence), mais non sur l’absentéisme.