(Québec) Une tuile n’attend pas l’autre dans le réseau de l’éducation. Après les profs, voilà que la désertion professionnelle atteint les directeurs d’école, chez qui le nombre de fauteuils vides suit une courbe « exponentielle » qui risque de s’accélérer, révèle un sondage obtenu par La Presse qui a été réalisé par une association de directions d’établissements scolaires.

Ce qu’il faut savoir

La pénurie de professionnels dans le réseau de l’éducation ne touche pas que les enseignants. Un nombre croissant de directeurs d’école songent désormais à quitter leur poste.

Selon un sondage mené par la Fédération québécoise des directions d’établissement d’enseignement (FQDE), un directeur d’école sur cinq mènerait à ce jour une « réflexion sérieuse » quant à son avenir en prévision de la prochaine rentrée.

La FQDE estime que le gouvernement doit mettre en place un plan de rattrapage salarial, comme il a augmenté l’échelle salariale des profs.

Au cours des dernières semaines, la Fédération québécoise des directions d’établissement d’enseignement (FQDE) – dont les membres travaillent dans 46 des 61 centres de services scolaires du Québec – a mené un sondage auprès des directeurs d’école, alertée par la hausse du nombre de courriels et d’appels de leurs membres pour se plaindre d’une surcharge de travail et envisager ouvertement de quitter leur poste.

Dans son coup de sonde, la FQDE a constaté qu’un directeur d’école sur cinq mènerait actuellement une « réflexion sérieuse quant à [son] avenir » en prévision de la prochaine rentrée scolaire. De ce nombre, 79 % des répondants ont cité des raisons de charge de travail et de salaire, 8 % la non-stabilité de l’emploi, 4 % la conciliation travail-famille, 4 % la gestion quotidienne de la pénurie de personnel et enfin 4 % la gestion des parents.

S’ils quittent leur poste pour redevenir enseignants, ces directeurs d’école accéléreraient une désertion déjà en croissance, témoignent aussi les données récoltées par la FQDE.

À ce jour, dans les centres de services scolaires où travaillent ses membres, 32 postes de directeur ne seraient pas pourvus, de même que 45 postes de directeur adjoint. Les deux régions les plus touchées par ce phénomène sont Lanaudière et l’Abitibi-Témiscamingue.

Pour les remplacer en cas de départ, les banques de candidats pour la relève sont parfois vides, souvent dégarnies et présenteraient peu d’enseignants comptant beaucoup d’années d’expérience. Le sondage de la fédération dévoile également que 23 centres de services scolaires « n’ont aucune personne » dans leur banque qui souhaite relever le défi de la direction d’une école.

« Un rattrapage salarial à faire »

En entrevue avec La Presse, le président de la FQDE, Nicolas Prévost, sonne l’alarme. « C’est exponentiel de voir des postes libres. Quand je suis rentré en poste [à la Fédération], des chaises vides, il n’y en avait pas », s’inquiète-t-il.

PHOTO PHILIPPE BOIVIN, ARCHIVES LA PRESSE

Le président de la Fédération québécoise des directions d’établissement d’enseignement, Nicolas Prévost

Il y a deux ans, dans les centres de services scolaires où travaillent ses membres, une dizaine de postes de direction d’école ne trouvaient pas preneur. L’an passé, il y en avait une trentaine. Cette année, en additionnant les postes de directeur et ceux de directeur adjoint, il y en a près de 80.

« Il n’y a personne d’assis sur ces chaises-là. Ça veut dire que c’est soit une direction en place qui va se retrouver avec une école de plus, soit un retraité qui va venir donner un coup de main, le temps que le directeur général trouve quelqu’un », explique-t-il.

Pour freiner ce phénomène, la FQDE et l’Association québécoise du personnel de direction des écoles (AQPDE) ont lancé l’automne dernier une campagne publicitaire multiplateforme pour valoriser la profession. Nicolas Prévost constate que ce n’est pas suffisant et estime que le gouvernement devra à nouveau sortir son chéquier. Pour le président de la FQDE, qui n’est pas un syndicat et qui n’a pas le mandat de négocier les conditions de travail de ses membres, l’enjeu est en partie mathématique.

« Les directeurs d’école voient que les profs vont être à 110 000 $ par année au sommet de l’échelle, pour une moyenne de 40 heures par semaine sur 200 jours. Eux, la moyenne salariale provinciale est de 128 000 $, ils travaillent en moyenne 54 heures par semaine sur 260 jours. En faisant le calcul, à l’heure, un directeur d’école va gagner moins qu’un enseignant », dit-il.

C’est indéniable qu’il y a tout un rattrapage [salarial] à faire. La réaction est humaine. Des directeurs se disent que si c’est pour être comme ça, ils vont retourner comme enseignants.

Nicolas Prévost, président de la Fédération québécoise des directions d’établissement d’enseignement

Un travail qui se complexifie

Si rien n’est fait, ou si le gouvernement rappelle que son prochain budget qu’il déposera la semaine prochaine est déjà déficitaire et « serré », en raison du ralentissement économique et des hausses salariales plus avantageuses que prévu consenties pour renouveler les conventions collectives du secteur public, la FQDE craint que la situation n’empire.

Déjà à l’heure actuelle, la gestion de la pénurie de professionnels dans le réseau scolaire complexifie la tâche des directions d’école, note M. Prévost. De plus, l’implantation du plan de rattrapage pour aider les élèves ayant le plus souffert de la grève historique en éducation, l’automne dernier, a nécessité des dizaines d’heures supplémentaires non payées de la part des directions scolaires. Les profs qui ont levé la main pour participer à ce plan sont pour leur part rémunérés.

« Il va falloir que quelqu’un m’explique où est l’avantage d’être directeur d’école dans ce contexte », laisse-t-il tomber.