Les écoles secondaires de Montréal que l’on qualifie de multiethniques sont nombreuses aujourd’hui à être de plus en plus homogènes, avec un groupe ethnique nettement prépondérant. L’idéal de mixité recule, de jeunes immigrants de première et de deuxième génération côtoyant finalement peu de Québécois qui sont ici de longue date.

Bien avant le français ou toute autre langue, c’est l’arabe qui est la langue du plus grand nombre d’élèves dans les écoles secondaires montréalaises Pierre-Laporte, Émile-Legault et Antoine-de-Saint-Exupéry. Au Collège Saint-Louis – une école publique de Lachine qui offre le programme d’éducation internationale aux élèves forts, sur sélection –, 140 mères d’élèves sont nées au Québec, mais 251 sont nées en Chine. Les Québécois de langue maternelle française, à l’inverse, sont largement majoritaires dans plusieurs écoles privées de la métropole.

C’est ce qui ressort du Portrait socioculturel des élèves inscrits dans les écoles publiques de Montréal du Comité de gestion de la taxe scolaire, de même que des données ministérielles sur la langue maternelle des élèves inscrits dans les écoles privées.

« La loi 101 est un succès d’un point de vue linguistique. Les jeunes de première ou de deuxième génération parlent très bien français », estime André Bouchard, enseignant à la retraite depuis peu, après 32 ans à l’école secondaire.

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André Bouchard, qui a été enseignant au secondaire pendant 32 ans

Par contre, pour ce qui est de la culture, le Québec ne réussit pas à faire aimer sa culture, parce que les jeunes immigrants de première ou de deuxième génération ont souvent « très peu de contacts avec la société d’accueil ».

Sous ses yeux, il a vu l’évolution de son quartier qui se transposait en classe. En début de carrière, il enseignait majoritairement à des jeunes d’ascendance italienne. Ces familles ont déménagé ailleurs, et le quartier, aujourd’hui baptisé Le Petit Maghreb, attire surtout des familles du nord de l’Afrique.

« Les flux migratoires changent la composition du quartier et, donc, de l’école, fait observer M. Bouchard. À cela s’ajoute le fait qu’un grand nombre de Québécois de souche partent vers les écoles privées. »

Ainsi, à l’école secondaire Pierre-Laporte, à Mont-Royal, trois fois plus d’élèves ont l’arabe comme langue maternelle que le français. À Émile-Legault, l’un des deux pavillons de l’école secondaire Saint-Laurent, 427 élèves ont l’arabe pour langue maternelle (257 pour le français).

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L’école secondaire Pierre-Laporte, à Mont-Royal

À l’inverse, le Collège Notre-Dame, une école secondaire privée, compte 66,8 % d’élèves de langue maternelle française. Le Collège de Montréal, lui, en compte 73,2 %. Et ce, alors que dans l’île de Montréal, cette proportion n’est que de 38,6 %.

Des effets de « logiques ethniques et de classes sociales »

Selon Maryse Potvin, professeure de sociologie de l’éducation à l’Université du Québec à Montréal (UQAM), pas de doute possible. « Il y a fuite de parents de certains quartiers vers les écoles privées en fonction de logiques ethniques et de classes sociales », explique-t-elle.

« L’exode vers les écoles privées » fait en sorte que les francophones sont de moins de moins présents dans les écoles secondaires publiques. Ceux qui y sont toujours se trouvent dans une position unique : majoritaires dans la société, minoritaires au quotidien, dans leur école.

Marie*, dont la fille fréquente l’une de ces écoles à forte prédominance d’une communauté culturelle, note que dans leur cas, cela se vit bien, avec une certaine adaptation. Quand quelqu’un comme Karl Tremblay meurt, relate-t-elle, ça n’a pas une grande résonance.

Ma fille, qui a un chum, le dit à ses amies de l’école primaire, mais pas à celles de son école secondaire selon lesquelles le début du secondaire, ce n’est pas l’âge des amours. Ma fille a aussi été surprise de la pression familiale qu’ont ses camarades quant aux notes.

Marie*

Aussi, souligne-t-elle, les codes ne sont pas les mêmes pour les invitations à la maison. Avec les amis, au temps du primaire, ça se faisait sans façon, explique-t-elle. Au secondaire, « les parents veulent d’abord nous rencontrer, prendre un café avec nous. Ils n’envoient pas en visite leurs enfants comme ça, chez nous, sans nous connaître d’abord ».

Le risque de « représentations fantasmées de l’autre »

Paul Eid, professeur de sociologie à l’UQAM spécialisé dans les questions d’immigration et d’identité, fait observer que les jeunes qui se retrouvent « dans une école sans aucune diversité » ou ceux qui en fréquentent une « où ils n’ont aucun contact avec les Québécois [de souche] » sont, les uns comme les autres, à risque de tomber dans une « représentation fantasmée de l’autre » et dans « des idées reçues empreintes de préjugés ».

Maryse Potvin indique que des études ont déjà « montré que dans les écoles québécoises où il y a deux ou trois groupes qui dominent en nombre, le climat est souvent plus polarisé que dans les écoles très multiethniques, où le français devient la langue commune [dans ces établissements] ».

Une forte concentration d’un groupe d’une origine donnée « pose deux problèmes importants », indique pour sa part la psychologue Rachida Azdouz, chercheuse au Laboratoire de recherche en relations interculturelles de l’Université de Montréal. « Il y a risque du repli sur son groupe d’origine, par défaut, et un ratio d’accueillants insuffisant pour permettre une interaction significative entre accueillants et accueillis. »

Le fameux slogan des années 1980 et 1990, « l’école, creuset d’intégration », a un peu perdu de sa puissance aujourd’hui. Le rôle de la télévision comme fenêtre sur la société d’accueil est aussi en perte de vitesse, les jeunes, incluant les natifs, étant moins attirés par les téléromans et émissions pour enfants, par exemple.

Rachida Azdouz, chercheuse au Laboratoire de recherche en relations interculturelles de l’Université de Montréal

L’internet permet aussi aux jeunes de rester branchés sur leur pays d’origine ou celui de leurs parents. Cela a l’avantage d’éviter aux gens venus d’ailleurs « d’avoir une double identité ou une identité multiple », « sans se sentir déchirés et obligés de choisir ».

Mais cela peut en même temps être « source de crispation et de repli identitaire, en particulier dans le contexte actuel marqué par la polarisation et le sectarisme ».

* Cette interlocutrice a demandé de témoigner anonymement pour éviter les représailles envers sa fille.

« C’est juste des gens normaux de la Gaspésie ! »

Le documentaire Garçons, un film de genre, de Manuel Foglia, suit un groupe d’adolescents de l’école secondaire de Matane et un autre de l’école Pierre-Laporte à Montréal. Chaque groupe partira passer quelques jours dans l’école secondaire de l’autre.

Le documentaire sorti en 2023 se termine par des accolades, mais comme le dit une enseignante, l’accueil fait aux jeunes de Matane (les premiers à être reçus) sera carrément hostile.

À l’écran, une jeune fille de Matane racontera s’être fait traiter « de plotte gaspésienne ». Un autre élève dira que dans les couloirs, « ça t’insultait, te traitait de Blanc ».

Une jeune fille de Pierre-Laporte se demandera quelle mouche a piqué ses camarades. « C’est juste des gens normaux de la Gaspésie venus passer une journée ! » Et une autre de s’inquiéter que la petite minorité de têtes brûlées amènera à tort les jeunes de Matane à penser « que tous les élèves de notre école sont comme ça ».

« Votre présence semble avoir causé un effet de curiosité, dira le directeur de l’école, Philippe Lamoureux. Plusieurs jeunes se sont demandé qui est ce paquet de jeunes Blancs qui débarquent. Je suis désolée de ce que vous avez vu, ils ne sont pas comme cela habituellement. »

Les jeunes qui ont agi de façon inappropriée ont été rencontrés, a insisté M. Lamoureux. À Matane, le personnel scolaire s’est assuré qu’il n’y ait pas de représailles et que l’accueil des jeunes de Montréal serait chaleureux.