Les familles touchées par la grève générale illimitée des enseignants de la Fédération autonome de l’enseignement (FAE) depuis la fin de novembre ont poussé un soupir de soulagement vendredi, au lendemain de l’entente de principe approuvée par les délégués syndicaux. Mais cette rentrée s’annonce complexe, vu le retard à rattraper pour certains élèves qui ont manqué plusieurs semaines de classe.

« L’école… on arrive ! », lance en anglais le jeune Theodore, 12 ans, croisé avec sa famille au Complexe Desjardins vendredi. L’automne n’a pas été de tout repos pour cet adolescent, récemment arrivé au Québec. D’origine américaine, la famille vivait auparavant en Colombie-Britannique.

Theodore et sa petite sœur Alexandria, 9 ans, avaient déjà manqué un mois de cours lors de leur déménagement, en octobre. Ils ont été en classe à Montréal pour un total de deux semaines avant de devoir arrêter en raison de la grève générale illimitée de la FAE, le 23 novembre.

« Les professeurs ont été fantastiques », témoigne leur père, Wesley Riley, dans le brouhaha du centre commercial. Les deux enfants sont revenus à la maison avec des cahiers et des leçons pour leur permettre d’avancer un peu, surtout en français.

N’empêche, l’annonce de la fin de la grève a été un « énorme soulagement », pour la famille, assure M. Riley.

Alexandria a-t-elle hâte de retourner à l’école ? « Oui, surtout pour les maths ! », lance la fillette.

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Beuacoup ont profité de l’arrêt des cours pour patiner dans les dernières semaines.

Tous ne sont pas de cet avis. À l’entrée d’un magasin de jouets, quelques pas plus loin, le petit Luca, 6 ans et demi, aurait bien pris quelques jours de « congé » de plus.

« C’est cool de rester à la maison », déclare-t-il à La Presse. Sans compter qu’il a pu aller dans un camp de jour dans le dernier mois. Et même à une école de cirque !

À son côté, son père Camilo n’est pas du même avis. « Les enfants ont besoin de structure », soutient-il. Et Luca, qui baigne dans un environnement hispanophone en raison des origines mexicaines de sa famille, a besoin d’exercer son français, renchérit le père de famille.

En d’autres mots, ici aussi, la fin de la grève est la bienvenue.

Préparer le retour en classe

La FAE a annoncé jeudi soir avoir une entente de principe après que ses délégués se sont penchés sur la proposition globale de règlement intervenue la veille avec le gouvernement.

Le syndicat avait indiqué depuis le début de ses moyens de pression que la grève générale illimitée serait levée au moment de l’atteinte d’une telle entente. « La Fédération a franchi une nouvelle étape aujourd’hui en qualifiant d’entente de principe cette proposition et en mettant fin à une grève qui aura duré 22 jours », a d’ailleurs confirmé la présidente de la FAE, Mélanie Hubert, jeudi soir.

Les 66 500 enseignants membres de la FAE seront appelés à se prononcer sur cette entente en assemblée au retour des vacances des Fêtes.

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Mélanie Hubert, présidente de la FAE

Pour Jesús Asunción, aussi rencontré au Complexe Desjardins avec son fils Jesseydene, 9 ans, la fin de la grève permettra de mieux planifier les prochaines semaines. « On ne savait pas si on devait lui trouver un nouveau camp de jour », explique le père.

Mais retour en classe rime aussi avec inquiétude pour certains. C’est le cas de Nicolas Stoikovitch, père d’un petit garçon de 9 ans en quatrième année.

« Inquiétude surtout par rapport aux enfants qui étaient déjà en difficulté, qui étaient peu soutenus, et qui risquent de souffrir encore plus », nous a-t-il écrit par courriel.

« J’ai l’impression que cette grève va créer un fossé encore plus grand pour les élèves en difficulté, les enfants des familles plus démunies… », a-t-il ajouté.

Une préoccupation que partage Sylvain Martel. « On se retrouve avec une multitude de cas. Certains ont manqué sept semaines d’école, d’autres, une douzaine de jours, d’autres élèves des écoles privées n’ont manqué aucun cours », s’inquiète le porte-parole du Regroupement des comités de parents autonomes du Québec.

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Sylvain Martel, porte-parole du Regroupement des comités de parents autonomes du Québec

Le retour en classe pourrait mettre en relief les inégalités entre les élèves, parfois au sein d’une même classe, explique-t-il en entrevue avec La Presse.

De plus, certains parents ont continué l’enseignement à la maison ou même engagé des tuteurs privés pour rattraper le retard scolaire dû à la grève. « Ce n’est pas donné à tout le monde. »

« Au retour en janvier, on va concentrer les ressources vers les élèves qui en ont besoin », assure Kathleen Legault, présidente de l’Association montréalaise des directions d’établissement scolaire (AMDES).

Plus tôt les directions d’établissement recevront les consignes du ministère de l’Éducation pour la suite de l’année scolaire, plus les employés pourront s’adapter, ajoute-t-elle.

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Kathleen Legault, présidente de l'Association montréalaise des directions d'établissement scolaire

Elle espère que les directions d’école auront plus de marge de manœuvre et davantage de ressources comme du tutorat, des budgets bonifiés pour de l’aide en classe.

Pas de changement de calendrier

Il est peu probable que le calendrier scolaire soit modifié pour rattraper le retard entraîné par la grève, selon Kathleen Legault.

La semaine de relâche, dont la date change d’une école à l’autre, est conventionnée. Il serait donc surprenant que ce congé laisse place à une semaine d’enseignement et de rattrapage. Peu de chances aussi que les journées pédagogiques et la date de fin des classes soient modifiées. « J’y crois moins à cette solution-là », indique Sylvain Martel.

Il faudra, à son avis, user de flexibilité et de créativité pour rattraper le temps perdu. Il sera peut-être question d’alléger la matière pour s’en tenir à l’essentiel.

C’est surtout au niveau des évaluations qu’il faudra faire preuve d’équité. « Dans l’évaluation, il faudra tenir compte que certains auront vu moins de matière que d’autres », poursuit Sylvain Martel.

Il va falloir prendre en considération que tout le monde n’est pas au même niveau lors des évaluations du Ministère, par exemple.

Kathleen Legault, présidente de l'Association montréalaise des directions d'établissement scolaire

Les parents des élèves en difficulté qui ont manqué des cours devront être des partenaires là-dedans, insiste pour sa part Sylvain Martel.

« Le gros défi, ça va être de remotiver certains élèves. »