Après Maud Cohen, qui est devenue en 2022 la toute première femme nommée directrice de Polytechnique Montréal, pourtant fondée il y a 150 ans, voilà que deux femmes viennent d’être nommées à la tête de deux des facultés les plus névralgiques de l’Université McGill, celles de médecine et sciences de la santé et de génie. Dans ces deux cas aussi, c’est une première dans toute l’histoire de l’établissement. Trente-quatre ans après les féminicides à Polytechnique, entrevue avec ces deux pionnières.

Viviane Yargeau : un devoir de mémoire

« J’y pense régulièrement. On peut difficilement faire un tel deuil. »

Aujourd’hui doyenne de la faculté de génie de l’Université McGill, Viviane Yargeau se souvient d’avoir reçu la première bourse créée à son cégep dans la foulée de la tuerie.

Tout cela vient avec une responsabilité, avec un devoir de mémoire, estime celle qui est impliquée dans l’Ordre de la rose blanche et qui a à cœur de susciter des vocations en sciences chez les jeunes filles et d’agir comme mentor pour celles qui envisagent d’occuper des postes de haut vol.

Tous les 6 décembre, il faut « prendre une pause, voir d’où l’on est parti et le progrès qui a été réalisé », estime-t-elle.

Sa seule nomination à la tête de la faculté de génie – une première en 202 ans d’histoire à McGill – en est en soi une illustration, lui souligne-t-on.

« En 2023, je trouve cela surprenant et étrange de me dire que je suis la première femme » à ce poste, répond-elle.

Et ce, même si ça a été l’histoire de sa carrière de se retrouver à peu près seule comme femme un peu partout où elle est passée.

Viviane Yargeau ne cache pas que lorsqu’elle a d’abord été pressentie en 2018 pour être directrice du département de génie chimique, elle a pensé à y renoncer*. « Je trouvais ça trop lourd comme responsabilité, je me mettais moi-même du stress supplémentaire », comme si, dit-elle, elle allait porter le fardeau « de représenter toutes les femmes ».

Quand elle a obtenu le poste de doyenne – patronne de tous les départements de génie, quoi –, son regard était tout autre. Elle avait compris qu’elle n’avait pas à se mettre cette pression particulière. « Cette fois, je l’ai plutôt pris comme une occasion à saisir. »

Une fierté, aussi, d’autant plus grande qu’elle indique être issue d’un milieu modeste et avoir été la première de toute sa famille élargie à avoir accès à des études supérieures (à l’Université de Sherbrooke).

Sa carrière l’a notamment menée à contribuer à un meilleur traitement des eaux résiduelles dans diverses communautés, notamment des Premières Nations.

Sa grande priorité pendant son mandat : positionner la faculté de génie et l’Université McGill « comme un leader dans le développement durable ». « On a chez nous tous les experts, avec toute la vision et les compétences voulues pour y arriver », dit-elle.

Lesley Fellows : fierté et excellence

PHOTO MARTIN TREMBLAY, LA PRESSE

Lesley Fellows, doyenne de la faculté de médecine et de sciences de la santé de l’Université McGill

« J’étais en train de terminer mes études en sciences à l’Université McGill. »

Lesley Fellows n’a pas oublié non plus « ce jour terrible » où 14 filles ont été tuées à Polytechnique.

Aujourd’hui, la voilà à la tête de la prestigieuse faculté de médecine et de sciences de la santé de l’Université McGill. Elle aussi est la première femme à accéder à ce poste. « Ça a été long avant que ça arrive ! », dit-elle.

Encore aujourd’hui, quand elle se trouve parmi ses pairs à de grandes réunions entre hauts dirigeants d’universités au Canada, très peu de femmes se trouvent dans la pièce.

N’empêche, elle souligne du même coup que jamais elle n’a senti avoir été bloquée de quelque façon que ce soit dans son cheminement parce qu’elle est une femme. Elle a étudié en médecine, en neurologie, elle a été promue directrice du département de neurologie et de neurochirurgie de 2010 à 2020, puis vice-doyenne adjointe et maintenant, doyenne.

Certes, quand elle s’est dirigée en neurologie, « il y avait peu de femmes », mais même dans ce bastion très masculin, les cohortes dans les universités sont maintenant à peu près composées pour moitié de femmes, dit-elle.

Pour tout dire, s’il y a quelque chose qui aurait pu nuire à son ascension, c’est carrément des raisons financières comme celles qui risquent de faire obstacle à l’inscription de jeunes de l’extérieur du Québec dans les universités anglophones de la province (le gouvernement Legault a annoncé des hausses salées des droits de scolarité pour les étudiants non québécois).

Originaire du Nouveau-Brunswick, Lesley Fellows fait observer que si elle avait dû payer des droits aussi prohibitifs pour l’époque que ceux que Québec veut imposer, ça aurait pu lui être difficile de s’inscrire à l’Université McGill comme elle l’a fait comme jeune adulte.

Aujourd’hui, elle dit toute sa fierté d’apporter sa contribution à l’Université McGill, un établissement « de renommée mondiale, un joyau ».

Au-delà de cet enjeu politique qui pourrait teinter son mandat (de cinq ans, comme tout doyen à l’Université McGill), Mme Fellows relève qu’elle voit son poste comme une chance sans pareille d’accomplir ce qu’elle considère comme une « responsabilité sociale » et sa contribution à « l’amélioration des soins cliniques ».

À la demande de Québec, sa faculté, comme les trois autres du Québec, doit former davantage de médecins. Pour cela, il faudra trouver non seulement des locaux de plus, mais aussi des professionnels pour les former, aussi bien dans les hôpitaux et les cliniques de Montréal qu’en région.

Elle est parfaitement prête à participer à cet effort de guerre, à favoriser le déploiement d’étudiants et de futurs médecins sur le terrain, elle comprend cet impératif « de former plus de médecins, plus vite », mais il n’est pas question pour elle que l’essentiel soit perdu de vue : la qualité de la formation et « cette idée d’excellence qui est centrale à l’Université McGill ».

Rectificatif
Dans une première version du texte, il était mentionné qu’aucune femme n’avait jamais été nommée directrice de quelque département de génie que ce soit à l’Université McGill, ce qui avait été dit à la nouvelle doyenne. Or, Henrietta Galiana a été directrice du département de génie biomédical à McGill de 2005 à 2012.