(Québec) La pénurie d’enseignants dans le réseau de l’éducation s’enracine et les plus récentes données suggèrent que le problème pourrait prendre de l’ampleur. Des experts s’inquiètent désormais que les premiers perdants soient une fois de plus les élèves ayant des difficultés d’apprentissage, ce qui compromet la hausse du taux de diplomation souhaitée par Québec.

Dans ce contexte, les directions scolaires craignent de ne plus être en mesure d’assurer en tout temps la qualité des services éducatifs, pourtant exigée par la loi.

Près de deux mois après le début des classes, en date du 16 octobre dernier, il restait toujours 917 postes d’enseignant à pourvoir dans les écoles publiques du Québec (175 postes réguliers à temps plein, 367 postes à temps partiel à 100 % de la tâche et 375 postes à temps partiel à moins de 100 % de la tâche). Tous les centres de services scolaires et les commissions scolaires ont participé à cette collecte de données.

En 2022, à pareille date, 51 centres de services scolaires et commissions scolaires sur 72 avaient comptabilisé 542 postes d’enseignant à pourvoir, toutes catégories confondues. En date du 19 octobre 2022, selon ce que rapportait Le Journal de Québec, il restait plus spécifiquement 96 postes réguliers à temps plein non pourvus. Cette année, pour la semaine du 16 octobre, ce nombre se chiffrait à 175.

« Il est important de noter qu’un poste à pourvoir ne signifie pas systématiquement qu’il manque un enseignant dans une classe puisque la Loi sur l’instruction publique prévoit l’obligation d’assurer l’enseignement. Jusqu’à ce que le poste soit pourvu par un titulaire, le [centre de services scolaire] prévoit des solutions alternatives pour maintenir le service », rappelle le ministère de l’Éducation.

« Il est normal d’observer en tout temps un nombre de postes à pourvoir. […] Plusieurs évènements imprévus en cours d’année peuvent expliquer le tout : retraits préventifs, congés de maternité, invalidités, démissions, retraites imprévues, arrivées d’immigrants et ouverture de nouvelles classes, congés sans solde, etc. », ajoute-t-on.

Des cibles de réussite compromises

Le gouvernement Legault souhaite faire passer de 84 % à 90 % la diplomation et le taux de qualification au secondaire. Selon Égide Royer, spécialiste de la question de la réussite scolaire et professeur associé à la faculté des sciences de l’éducation de l’Université Laval, la pénurie d’enseignants qui touche le réseau compromet l’atteinte de cette cible.

« Ce qui frappe le plus présentement, c’est la pénurie de profs en adaptation scolaire », précise M. Royer. Il rappelle que la proportion de jeunes en difficulté ayant un plan d’intervention atteint par ailleurs 33 % dans les écoles secondaires publiques du Québec.

Si vous êtes directeur d’école et qu’il vous manque deux profs pour le français secondaire 3, ce n’est pas drôle. Mais s’il vous manque deux profs pour les classes d’adaptation scolaire, c’est encore moins drôle.

Égide Royer, professeur associé à la faculté des sciences de l’éducation de l’Université Laval

« Est-ce que la pénurie de profs a un impact sur la réussite scolaire ? La grande fille de secondaire 4 qui est bonne à l’école va arriver au collégial avec moins de contenu, mais elle va s’en tirer. Mais celui qui était déjà en grosses difficultés scolaires et qui arrive dans une classe avec un prof qui n’a pas de formation en pédagogie, ça va le frapper davantage », ajoute le spécialiste.

Isabelle Archambault, professeure à l’École de psychoéducation de l’Université de Montréal et titulaire de la Chaire de recherche du Canada sur l’école, le bien-être et la réussite éducative des jeunes, affirme « qu’il y a de quoi s’inquiéter [puisque la pénurie d’enseignants] ajoute beaucoup d’instabilité pour les enfants et les jeunes qui ont de grands défis et qui ont besoin d’avoir un cadre clair pour fonctionner ».

« La pénurie de main-d’œuvre touche plusieurs secteurs et c’est sûr que dans les secteurs où les emplois sont moins bien payés, où les gens se sentent moins valorisés dans leurs tâches, c’est difficile de retenir les gens qui vont aller vers d’autres emplois », dit-elle.

« La pénurie va s’accentuer »

La présidente de l’Association montréalaise des directions d’établissement scolaire (AMDES), Kathleen Legault, est inquiète. Elle affirme que la pénurie d’enseignants est un phénomène qui va prendre de l’ampleur d’ici 2030 et craint que les directeurs du réseau ne soient plus en mesure d’assurer la qualité des services éducatifs dans leurs établissements.

« Ce qui est prévu, c’est que la pénurie va s’accentuer jusqu’en 2030. Ce qui m’inquiète, c’est qu’on ne met pas suffisamment de mesures en place pour l’attraction et la rétention du jeune personnel et du personnel d’expérience », dit-elle.

Ultimement, on peut se questionner sur la capacité de l’école d’assurer les services éducatifs du lundi au vendredi pour tous les élèves.

Kathleen Legault, présidente de l’Association montréalaise des directions d’établissement scolaire (AMDES)

En décortiquant les plus récentes données du ministère de l’Éducation sur le nombre de postes d’enseignant à pourvoir, la situation apparaît plus criante dans la grande région métropolitaine. Mme Legault rappelle que la multiplication des classes d’accueil à Montréal accentue les besoins de main-d’œuvre. Les personnes embauchées en cours d’année pour venir en renfort n’ont pas toujours suivi de formation en pédagogie. Ces enseignants non qualifiés peinent parfois à répondre aux attentes et certains quittent leur emploi après un certain temps, réalisant l’ampleur de la tâche.

Le président de la Fédération québécoise des directions d’établissement d’enseignement (FQDE), Nicolas Prévost, partage ces inquiétudes. Dans une récente rencontre avec le Ministère, il a dit craindre que des directions soient un jour forcées de fermer des classes, certains jours de semaine, si la pénurie s’accentuait.

« On a l’obligation d’avoir un climat éducatif de qualité et présentement, ce n’est pas toujours ce qu’on rend comme directions d’école », déplore-t-il.