Prenez un jeune qui dit une phrase incompréhensible, répondez « quoi ? » et vous obtiendrez presque à coup sûr « quoicoubeh ». Tandis que des milliers d’élèves partent en vacances ces jours-ci, la question demeure : quoicoubeh survivra-t-il à l’été ?

C’est la faute des réseaux sociaux, encore, et c’est, pour beaucoup, le mot qui aura marqué l’année scolaire qui s’achève. Qu’ils soient au primaire ou au secondaire, à la garderie même parfois, les jeunes se sont entichés d’un jeu qui prend bien souvent pour cibles des adultes dubitatifs.

Un jeu verbal « futile », a écrit Le Temps, en Suisse, adopté par bien des élèves « au désespoir des enseignants », a renchéri Le Figaro. C’est certainement un jeu d’une simplicité désarmante qui a traversé l’Atlantique.

Il suffit de prononcer une phrase à la va-vite – l’idée est de n’être pas compris – et de répondre « quoicoubeh ! » à l’interlocuteur qui dit « quoi ? ».

Depuis décembre dernier, bien des profs l’ont entendu ad nauseam dans leur classe, à tel point que certains ont banni le mot. « Je n’en peux plus, mes élèves n’arrêtent pas », témoignait une enseignante sur Facebook il y a quelques semaines.

« Un signe de vitalité de la langue », dit une spécialiste

Le jeune Français par qui le mot (le malheur ? ) est arrivé est Cameron Djassougue, dit LaVache (@camskolavache) sur le réseau TikTok. Une entrevue avait été fixée avec lui, mais après avoir promis de nous parler plus tard dans la journée, il n’a pas répondu à nos appels répétés, mercredi.

Il faut donc s’en remettre à ses vidéos pour comprendre d’où a bien pu lui venir l’idée du quoicoubeh. À un autre tiktokeur qui tente une explication sur l’origine du mot, il répond : « Tu réfléchis trop, nom de Dieu, tu dis n’importe quoi : ça ne veut rien dire. »

  • Audrey Desrochers et son fils Raphaël. Ses quatre enfants « savent tous comment [quoicoubeh] se dit. Ils me le font tout le temps », dit-elle en riant.

    PHOTO CATHERINE LEFEBVRE, COLLABORATION SPÉCIALE

    Audrey Desrochers et son fils Raphaël. Ses quatre enfants « savent tous comment [quoicoubeh] se dit. Ils me le font tout le temps », dit-elle en riant.

  • Adrien Glasser travaille dans l’intelligence artificielle et dit avoir connu le mot « quoicoubeh » avant ses jumeaux, qui finissent tout juste leur 1re année. Que veut dire le mot ? « Rien », observent les garçons.

    PHOTO CATHERINE LEFEBVRE, COLLABORATION SPÉCIALE

    Adrien Glasser travaille dans l’intelligence artificielle et dit avoir connu le mot « quoicoubeh » avant ses jumeaux, qui finissent tout juste leur 1re année. Que veut dire le mot ? « Rien », observent les garçons.

  • Ella, 10 ans, n’est pas sur TikTok, mais elle connait très bien le mot. Son père, Ahmed Chetoui, dit s’être assuré qu’il ne s’agissait pas d’une blague de mauvais goût ou « politique ».

    PHOTO CATHERINE LEFEBVRE, COLLABORATION SPÉCIALE

    Ella, 10 ans, n’est pas sur TikTok, mais elle connait très bien le mot. Son père, Ahmed Chetoui, dit s’être assuré qu’il ne s’agissait pas d’une blague de mauvais goût ou « politique ».

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Si le mot ne veut rien dire, il n’en est pas moins « un signe de vitalité de la langue », dit Nadine Vincent, professeure au département de communication de l’Université de Sherbrooke et spécialiste en lexicographie.

Il y a une volonté chez les jeunes de se distinguer des adultes et d’avoir leur langue entre eux, et il y a une volonté aussi d’appartenir à un groupe en utilisant des mots que les adultes n’utilisent pas. C’est un mot pour piéger les adultes : c’est sa vocation.

Nadine Vincent, professeure au département de communication de l’Université de Sherbrooke

Que les adultes qui ont été piégés dans les derniers mois lèvent la main.

Avec quatre enfants de 5, 7, 8 et 11 ans, Audrey Desrochers a « beaucoup » entendu le mot dans les derniers mois.

« Ils savent tous comment ça se dit. Ils me le font tout le temps », dit-elle en riant. Aux abords de l’école primaire Saint-Grégoire-le-Grand, dans Villeray, bien des enfants citaient aussi mercredi les expressions « t’as les cramptés » et « apagnan », qui, elles non plus, ne veulent strictement rien dire, mais se sont imposées.

« OK boomer »

Sociolinguiste de formation et mère d’un enfant de 9 ans, Monelle Guertin explique que quoicoubeh est une « interjection qui est pragmatique et sert à faire bouger quelque chose dans le rapport entre deux locuteurs ». Elle « sert à remettre l’autorité en question, à narguer », ajoute-t-elle.

La professeure Nadine Vincent rappelle qu’il y a quelques années, « OK boomer » avait à peu près la même fonction.

« C’était aussi une réplique sans appel, mais moins dans le jeu que [quoicoubeh]. Ce que je trouve intéressant, c’est que pour une fois, on ne m’appelle pas pour dire que les jeunes utilisent des anglicismes. On a un jeu avec la langue française et quand les jeunes commencent à jouer avec la langue, c’est très bon signe », dit Mme Vincent.

Dans un récent article du Figaro, une linguiste estimait que le mot traduisait un appauvrissement du langage et une « volonté de cacher sa misère lexicographique ».

Au contraire, dit Monelle Guertin. Loin d’être une menace pour la langue française, quoicoubeh est une « pure invention » qui répond à une idée jusqu’ici laissée… sans mot.

« Comme ça arrive des préadolescents et des adolescents, ça fait couler les discours conservateurs habituels qui disent que les jeunes parlent mal. Les jeunes ne parlent pas mal : ils ont différentes façons de parler », dit Mme Guertin.

Quelle durée de vie ?

Nadine Vincent dit en riant qu’elle comprend néanmoins que ça puisse « être épuisant » pour les parents et les profs.

Avec la chaleur, les amis, la baignade et la crème glacé, quoicoubeh survivra-t-il à l’été ?

Ces mots ont une durée de vie « très irrégulière », dit Mme Vincent. « C’est difficile à prévoir. » Ce sera peut-être le souvenir d’une génération.

Monelle Guertin croit qu’il y aura peut-être « l’effet de l’été », mais note aussi que la mode semble « s’éroder » chez les adolescents. « On peut faire une hypothèse de déclin, mais c’est difficile de dire ce qui va se passer d’ici [la prochaine année scolaire]. »

Une chose est certaine : « quand les parents se mettent à l’utiliser, le mot perd tout intérêt », dit Nadine Vincent.