(Québec) Le premier ministre François Legault doute que 61 % des écoles et des autres infrastructures du réseau scolaire soient vétustes. Il soupçonne les centres de services scolaires de gonfler les besoins afin d’obtenir plus d’argent.

« Il n’y a absolument aucun centre de services scolaire qui pèse sur le crayon pour augmenter l’indice de vétusté des écoles et avoir de l’argent additionnel », réplique Dominique Robert, PDG adjoint de la Fédération des centres de services scolaires du Québec (FCSSQ). Il souligne que l’évaluation de l’état des bâtiments se fait en utilisant un outil « parrainé par le ministère de l’Éducation » et basé sur des « critères précis, objectifs et uniformes ».

Déposé avec le budget Girard mardi, le Plan québécois des infrastructures révèle que la vétusté des écoles augmente malgré la hausse des investissements pour les rénover. En un an, on est passé de 59 % à 61 % du parc d’infrastructures scolaires ayant un « indice d’état » de D (38 %) ou E (23 %), donc en mauvais ou en très mauvais état. Le ministère de l’Éducation rate la cible qu’il s’était fixée dans son plan stratégique 2019-2023 de ramener la proportion à 50 %.

Lors d’un point de presse mercredi, François Legault a remis en question ce portrait, le processus d’évaluation de l’état des écoles. « J’ai des doutes », a-t-il lancé.

Il a demandé au ministre responsable des Infrastructures, Jonatan Julien, d’« évaluer exactement ce que ça veut dire, les fameuses cotes pour les écoles », de revoir la façon de mesurer « la vétusté des écoles ».

Est-ce que c’est une classe qui est vétuste ou toute l’école ?

François Legault, premier ministre du Québec

« Actuellement, la façon [dont] ça fonctionne, c’est chaque centre de services qui évalue ses écoles. Donc, évidemment, il y a comme un incitatif pour dire : “J’ai besoin d’argent pour mes écoles” », a-t-il ajouté. « J’entends toutes sortes de choses sur comment c’est fait. Il y a encore des améliorations à faire. J’ai des doutes. »

« Ce n’est pas l’enfer du tout »

Le ministre de l’Éducation, Bernard Drainville, partage les « questionnements » de François Legault. Il met en cause « la manière avec laquelle on décide de la vétusté d’un établissement ou pas ». Il a raconté sa visite d’une école classée E, où il s’attendait à voir « l’enfer ».

« Je m’attends à rentrer dans une école où les plafonds tombent, les murs sont fissurés, avec des chaudières partout. Mais tu rentres dans cette école, et ce n’est pas l’enfer du tout ! De façon générale – et j’oserais dire dans toutes les écoles où je suis allé, même celles C, D ou E –, ce sont des écoles qui ont de la tenue, qui ont une bonne mine. Je ne dis pas qu’il n’y a pas de problème. Parce que c’est vrai que le problème est parfois à l’intérieur des murs. Mais il faut se garder de prendre ces chiffres-là et dire : “Ma foi du bon Dieu, 60 % des écoles du Québec sont vétustes !” Il faut faire attention. Ça peut donner une impression qui n’est pas conforme à la réalité », a expliqué M. Drainville lors d’une commission parlementaire où il était interpellé par la porte-parole libérale en éducation, Marwah Rizqy.

La députée déplore que le gouvernement ne présente pas de preuves pour démontrer que les centres de services scolaires « pèsent plus fort sur le crayon pour avoir du financement ».

Ce n’est pas la première critique de François Legault contre les centres de services scolaires, créés par son gouvernement pour remplacer les commissions scolaires. En entrevue avec La Presse au début du mois, François Legault disait avoir l’intention de se donner plus de pouvoirs dans la gestion du réseau, insatisfait de décisions prises par les centres de services scolaires.

« Il y a des choses qui sont faites [par les directeurs généraux] avec l’accord du conseil d’administration qui ne font pas nécessairement notre affaire », affirmait-il. M. Legault veut que les directeurs généraux soient nommés par le ministre et qu’ils lui rendent des comptes. Les conseils d’administration sont en voie de perdre du pouvoir.

Fin de vie utile pour plusieurs écoles

Selon le Plan québécois des infrastructures, la vétusté des écoles « s’explique principalement par un sous-investissement dans les années 1990 et au début des années 2000 ». « De plus, comme la plupart des écoles ont été construites entre 1950 et 1970, celles-ci ont atteint ou atteindront bientôt leur fin de vie utile. » Elles nécessiteront donc des « réfections majeures » ou devront être « reconstruites ».

Une école obtient un D comme « indice d’état » lorsque le coût estimé des travaux pour la maintenir en bon état représente 15 % de la valeur du bâtiment ; c’est E lorsqu’il représente 30 % ou plus, a expliqué le Conseil du trésor lors du huis clos budgétaire. Ce système de notation s’applique d’ailleurs à l’ensemble des infrastructures publiques du Québec. C’est le Conseil du trésor qui l’a conçu.

Le ministère de l’Éducation a changé la grille d’évaluation des bâtiments scolaires en 2018 pour avoir un nouveau « processus uniformisé » d’inspection, afin d’obtenir un portrait plus juste de l’état des écoles, disait-on à l’époque. Pendant des années, les commissions scolaires avaient négligé les inspections, n’avaient pas présenté un portrait juste de l’état de leurs immeubles et avaient sous-estimé la valeur des travaux, estimait alors le gouvernement Couillard. Dans l’opposition, la Coalition avenir Québec pilonnait les libéraux à ce sujet.

Le nouvel outil d’évaluation des bâtiments s’appelle Maximo. « Il y a une évaluation qui est faite localement, mais sur la base de critères objectifs et uniformes » s’appliquant dans tout le réseau, a indiqué Dominique Robert, de la FCSSQ. Tout y passe : l’enveloppe extérieure, la cour d’école, la plomberie, etc. Un centre de services scolaire ne peut changer les critères. Et il doit rendre des comptes au Ministère pour justifier l’obtention de fonds afin de réaliser des travaux, ajoute M. Robert.

« Inspection extrêmement rigoureuse »

Selon Bernard Drainville, le taux de vétusté des écoles a augmenté parce qu’« on a procédé à une inspection extrêmement rigoureuse de tous les bâtiments ». Au total, 92 % du parc immobilier a été inspecté en vertu de la nouvelle méthode, a-t-il indiqué.

« Ce qui reste, c’est les édifices qui sont effectivement les plus détériorés, en tout cas, les édifices où c’est le plus difficile d’aller inspecter. Ça prend des ingénieurs pour les inspecter. On a engagé une firme d’ingénierie pour assurer le déploiement de cette méthode, et cette méthode est appliquée de la même manière, c’est uniforme. » Ses remises en question concernent donc la cote attribuée à chaque école à la suite des inspections.

Le déficit de maintien des actifs du parc immobilier scolaire – la facture estimée des travaux pour le remettre en état – est en constante augmentation depuis des années. Il se chiffre maintenant à 7,7 milliards (c’était 3,3 milliards il y a cinq ans). Les investissements supplémentaires ne parviennent pas à combler le retard. Québec entend investir 14 milliards en 10 ans pour rénover des écoles ou en reconstruire. Sept milliards s’ajoutent pour agrandir des écoles ou en bâtir de nouvelles.

Pour le président de la CSQ, Éric Gingras, plutôt que de baisser les impôts, le gouvernement aurait dû investir plus pour rénover les écoles et améliorer les services parce qu’on est « en retard » dans les deux cas.