Le centre de services scolaire de Montréal (CSSDM) a récemment annoncé qu’il « réorganise » les services qu’il offre à certains enfants handicapés intégrés dans des classes dites régulières. Ce changement, qui touchera environ 250 élèves, a entraîné une levée de boucliers, tant chez les parents que chez les enseignants ou les directions d’école. Christian Généreux a été l’un des premiers jeunes à être intégrés dans une classe régulière, dans ce qui était à l’époque appelé la Commission des écoles catholiques de Montréal (CECM). Aujourd’hui âgé de 52 ans, il fait des mandats de recherche comme travailleur autonome et songe à faire une deuxième maîtrise. La Presse s’est entretenue avec lui par courriel.

Parlez-nous de votre situation et des limitations que vous avez ?

J’ai une déficience motrice, la paralysie cérébrale. Les principales conséquences sont des limitations à la marche, de coordination et de communication orale. J’utilise un iPhone ou un iPad avec un clavier pour pallier cela, mais avec le temps, les gens peuvent arriver à me comprendre sans aucune aide.

Quel genre d’écoles avez-vous fréquentées dans votre parcours scolaire ?

J’ai commencé ma scolarisation à l’école Victor-Doré, spécialisée en déficience physique. En 1976, c’était le cheminement normal pour les enfants ayant la paralysie cérébrale.

En 1978, malgré une certaine peur de mes parents, on leur a offert que je fréquente l’école de mon quartier étant donné mon potentiel. En deuxième année, je suis donc entré à l’école Saint-François-Solano avec Tanya, Sophie, Judith, Serge, Ghislain et Carl. Je serais donc un des premiers enfants du primaire ayant une déficience motrice à avoir intégré la classe ordinaire à la CECM.

Si j’ai pu le faire et aujourd’hui avoir un diplôme de deuxième cycle universitaire, c’est incontestablement grâce à l’apport des profs itinérants (c’est ainsi qu’on les appelait à l’époque).

Denise, André, Yvon ont été là pour appuyer mes profs dans une aventure qu’ils ne connaissaient pas : enseigner à un élève handicapé. Ils me soutenaient, notamment en me retirant de la classe pour que je puisse mieux assimiler la matière vue en classe. Ils m’ont aidé à utiliser des aides techniques. Il n’y a pas de doute, la présence de ces profs itinérants a facilité mon intégration à la classe ordinaire.

Pouvez-vous me parler un peu de votre parcours universitaire ?

J’ai fait mon bac et ma maîtrise à l’UQAM en science politique. Au baccalauréat, j’excellais en travaux pratiques, mais en examen, j’en arrachais malgré les services palliatifs qui étaient en place : prise de notes, temps supplémentaire pour examens, soutien à la mise en page des travaux.

Je me suis inscrit à la maîtrise en 2011. Entre-temps, j’avais découvert de meilleurs outils pour pallier des difficultés d’attention ou de concentration liées à ma paralysie cérébrale, principalement la lecture en audio.

Christian Généreux

Ma moyenne a été au-dessus de 4, j’ai eu quelques bourses d’excellence et j’ai adoré le bouillonnement intellectuel que sont les cycles supérieurs.

Mon sujet a été l’interaction entre la communauté des personnes ayant des incapacités et le Congrès des États-Unis. Je l’ai choisi d’une part parce que je m’intéresse beaucoup à la société et à la politique américaines, et d’autre part parce qu’ayant été assez impliqué au Québec dans les organismes pour les personnes ayant des incapacités, je voulais voir autre chose.

La maîtrise m’a permis de faire deux séjours de recherche, soit trois mois à Washington et deux semaines au Dole Institute of Politics au Kansas.

Le CSSDM a annoncé que l’aide individuelle de quelques heures par semaine offerte par des orthopédagogues à certains élèves handicapés sera répartie différemment. Or, certains craignent que les élèves perdent de précieux services. Qu’en pensez-vous ?

Je suis convaincu que la présence d’orthopédagogues a été extrêmement bénéfique pour bon nombre d’élèves. En faisant disparaître ce service, on privera des enfants et des adolescents de services palliatifs à leur déficience.

Je suis pragmatique : je crois en ce qui fonctionne bien. Donc, en matière d’éducation, je suis “de l’école” où chaque élève doit avoir accès aux services qui sont le plus appropriés pour favoriser sa réussite scolaire.

Christian Généreux

Par exemple, cela veut dire que Christian, qui a une déficience motrice, ait accès à une classe accessible, des équipements performants. Que Léa, qui a une déficience visuelle, puisse avoir tout le soutien nécessaire pour apprendre le braille.

C’est donc avec ces éléments que je lis la décision du CSSDM d’abolir le Service de soutien pédagogique à l’intégration (SSPI). Bien que j’aimerais voir d’autres moyens d’organisation scolaire, un financement qui suivrait l’élève, par exemple, le SSPI était le plus près de ce à quoi j’adhère.

L’approche que semblent favoriser les autorités éducatives québécoises en est une où l’on gère et dessine l’offre de service pour de grands ensembles : par exemple, offrir « un service » à l’élève et non celui qui répond réellement à ses besoins. On parle d’intégration à la classe régulière et de classe spéciale : l’une est surchargée et l’autre est, depuis des décennies, l’antichambre vers… rien, c’est-à-dire une sortie de l’école secondaire sans aucun diplôme !

Est-ce que vous constatez néanmoins que les choses ont changé en matière d’inclusion des élèves handicapés dans les dernières décennies ?

Je pense qu’on a de meilleurs réflexes pour scolariser les enfants ayant des incapacités. Une preuve de cela est notamment le bond spectaculaire du nombre d’étudiants ayant des incapacités au cégep et à l’université. Cela veut dire qu’on les diagnostique mieux ou qu’on leur donne de meilleurs services au primaire et au secondaire.

Mais je me demande si le changement est seulement positif. En 1978, l’administration et les profs de Victor-Doré ont eu l’audace de vouloir m’intégrer à la classe ordinaire. Il me semble que l’audace de la décennie 1970 a fait place à une « démission collective ». Aujourd’hui, aurais-je de trop importantes limitations ? Y aurait-il trop de services à organiser ? Le contexte ferait-il en sorte que je passerais dans la même « machine à saucisses » que les autres EHDAA (élèves handicapés ou en difficulté d’adaptation ou d’apprentissage) ? À cela, je n’ai pas de réponses !