L’étude qui montre que les « bébés de classe » – les enfants les plus jeunes de leur groupe – courent plus de risques d’hériter d’un diagnostic de TDAH a fait réagir de nombreux lecteurs. La grande majorité d’entre eux, qu’ils soient parents, enseignants ou spécialistes, déplorent la « pression du diagnostic » qui s’exerce dans le réseau scolaire. Et dans certains cas, leurs histoires sont troublantes.

« Pour nous, ça ne collait pas »

PHOTO JOSIE DESMARAIS, LA PRESSE

Karine Lafrance et son fils Loïc

Dès son entrée à la maternelle, Guillaume a eu des problèmes. Le petit, né un 25 septembre, était manifestement moins mature que les autres enfants de sa classe. Il avait du mal à se concentrer, à se conformer aux consignes, sa motricité fine était déficiente.

Dès le début du primaire, les enseignants ont commencé à parler de trouble du déficit de l’attention avec hyperactivité (TDAH) à ses parents.

À 9 ans, il a reçu un diagnostic de la part d’un psychologue et de la médication prescrite par un pédiatre. Des pilules qu’il a toujours détesté prendre.

Puis, au cégep, afin de bénéficier de mesures d’appui, le jeune a fini par passer une évaluation en neuropsychologie.

Le résultat a sidéré la famille : Guillaume n’a pas de TDAH.

« J’ai éprouvé beaucoup de culpabilité à l’idée que j’avais fait avaler des médicaments à mon fils pendant toutes ces années pour absolument rien. Ces substances ont des effets indésirables qui ne sont pas anodins : crampes, perte d’appétit, perte d’intérêt, troubles du sommeil, alouette ! Pendant toutes ces années, j’ai encouragé mon fils à les prendre en lui disant que c’était pour son bien. J’étais dans le champ. En fait, nous étions tous dans le champ. »

C’est la mère de Guillaume, Hélène Lemire, qui nous a écrit à la suite de notre reportage sur cette étude d’envergure réalisée à l’UQAM. L’étude, qui compilait les dossiers médicaux de 800 000 enfants québécois, montrait que les « bébés de classe », les enfants nés en juillet, en août et en septembre, couraient beaucoup plus de risques d’hériter d’un diagnostic de TDAH que les plus vieux de leurs classes, nés en octobre, en novembre et en décembre.

L’évaluation neuropsychologique a démontré qu’il n’avait que de légères difficultés attentionnelles. Ç’a été une énorme surprise pour nous, mais aussi pour notre fils, qui avait vécu toute sa scolarité avec l’étiquette TDAH. Il avait d’autres difficultés, mais pas celle-là.

Hélène Lemire

À la suite de ce second diagnostic, relate la femme de Boisbriand, Guillaume a cessé de prendre sa médication. Il a aujourd’hui 27 ans et travaille comme technicien de scène.

Impossible de commencer l’école un an plus tard

Julie M. est dans la même situation qu’Hélène Lemire : elle se demande si sa fille cadette, née en août, n’aurait pas pu éviter un diagnostic et une médication si on l’avait simplement laissée commencer l’école un an plus tard.

À la dernière année de garderie, elle était joueuse, elle s’amusait toujours avec les enfants plus jeunes. Elle n’était pas du tout intéressée par les tâches de type scolaire.

Julie M., à propos de sa fille

Julie M. a demandé que sa fille commence un an plus tard. Sa demande a été refusée. De très nombreux parents nous ont livré le même témoignage : il est désormais à peu près impossible d’obtenir une dérogation pour qu’un enfant ne commence pas l’école s’il a 5 ans avant le 30 septembre.

Julie M. savait ce qui attendait sa fille : elle est elle-même enseignante au primaire en Montérégie. « Aucun prof ne veut avoir un enfant né en août ou en septembre. On le sait, on le voit, on l’expérimente tous les ans : ces enfants ne sont souvent pas prêts à entrer à l’école. » C’est d’ailleurs pour cela que la mère nous a demandé de taire son nom : son centre de services scolaire n’autorise pas les enseignants à parler aux médias.

De fait, dès sa première année, sa fille a été invitée à aller se faire évaluer. Elle a été médicamentée. En 5e année, une seconde évaluation a montré que le problème ne se situait pas sur le plan attentionnel : la petite fille était plutôt dyslexique et dysorthographique.

« Je suis pas mal sûre que si elle avait eu la possibilité d’attendre un an avant de commencer l’école, elle aurait mieux réussi, relate Julie M. Mon grand regret, c’est de ne pas m’être battue davantage pour ça. »

« Ça ne collait pas »

Karine Lafrance a vécu la même chose. Son fils Loïc, né fin juillet, a été évalué en première année par le psychologue de l’école, qui a rapidement conclu à un trouble du déficit de l’attention, en plus de mentionner au passage un possible diagnostic d’autisme.

« Nous étions atterrés et surpris. Pour nous, ça ne collait pas », relate Mme Lafrance. Les parents décident d’avoir recours à une évaluation neuropsychologique… dont les conclusions se révèlent tout autres.

Notre enfant n’avait pas de déficit de l’attention, et encore moins de l’autisme, il était plutôt dyslexique. Aucune médication ne peut corriger ce trouble d’apprentissage. Bref, si nous n’avions pas remis en question le diagnostic, il aurait été médicamenté sans aucune raison.

Karine Lafrance

Depuis son diagnostic de dyslexie, Loïc reçoit des services adéquats de son école et réussit bien, tient cependant à souligner Mme Lafrance.

Médicamenté à reculons

Le fils de Jacinthe Prévost, de Lanaudière, a lui aussi été rapidement repéré par sa professeure de deuxième année. « On nous a convoqués à l’école, on était obligés de le faire évaluer, sinon ils le faisaient avec leurs propres spécialistes », raconte-t-elle en entrevue.

Un pédiatre a vu Olivier, un « bébé de classe » né au mois d’août. Même s’il ne croyait pas la médication nécessaire, il a tout de même accepté d’en prescrire. « Bref, on a fini par la lui donner, mais il ne voulait rien savoir de la prendre. » Ses parents ne lui administraient pas sa dose la fin de semaine.

L’une de ses profs du primaire a tenu pendant l’année scolaire à contrôler elle-même sa prise de Ritalin, afin d’être sûre que l’enfant le prenne. « C’était très contrôlant, désagréable. »

En 1re secondaire, son fils a arrêté de prendre sa médication. « Il m’a dit : “Quand je prends ça, maman, je ne suis pas moi-même.” » Le jeune a bien passé à travers son secondaire. Il a fait son cégep, puis son cours universitaire. Il est aujourd’hui ingénieur.

« On a été poussés à le médicamenter, déplore Mme Prévost. Je suis une maman bien triste d’avoir été obligée de médicamenter mon jeune enfant contre son gré. »

Proportion des jeunes de moins de 24 ans médicamentés pour le TDAH au Québec

  • 2000 : 1,9 %
  • 2010 : 4,6 %
  • 2020 : 7,7 %

Source : Institut national de santé publique du Québec, 2020

Le jugement de professionnels « remis en question »

PHOTO STÉPHANE LESSARD, LE NOUVELLISTE

La neuropsychologue Isabelle Fournier

« La pression pour un diagnostic est très forte. Si, comme professionnel, on juge qu’il n’y a pas de TDAH, on va être très confrontés, remis en question par rapport à nos interprétations… parce que c’est le seul problème qui arrive avec une médication. Une solution rapide. »

Celle qui parle est neuropsychologue depuis 12 ans. Isabelle Fournier a travaillé en milieu scolaire, puis dans le privé. Au cours de ses années de pratique, elle a procédé à des centaines d'évaluations pour de possibles cas de TDAH.

Des exemples de cette pression ? Il lui est arrivé de procéder à une évaluation à la demande d’un médecin… qui a fini par faire une ordonnance même si elle avait jugé que l’enfant n’avait pas de TDAH. Une collègue psychologue s’est fait appeler par le directeur de sa clinique après qu’elle eut jugé qu’un enfant ne présentait pas le portrait clinique du déficit d’attention. « On lui a demandé de changer sa conclusion. » En préparation de plans d’intervention pour un enfant, elle a entendu dire : « Non, on ne va pas donner d’aide à l’enfant, parce que sinon, le parent va refuser la médication », relate Mme Fournier en entrevue.

Le pédiatre Guy Parizeault, qui pratique à Saguenay, livre un message semblable. Au cours de ses 25 années de pratique, il est passé « d’une époque où le TDAH n’existait pas à une époque où il n’y a pas une journée où on n’a pas une demande d’évaluation ou de suivi pour un TDAH ».

Le Saguenay–Lac-Saint-Jean est l’une des régions où on prescrit le plus de psychostimulants. Une étude de l’Institut national d’excellence en santé et en services sociaux a montré que 14,2 % des jeunes de moins de 25 ans y étaient médicamentés pour un TDAH, deux fois plus que la moyenne québécoise.

Parents et enfants se retrouvent souvent beaucoup trop rapidement dans le bureau du médecin, estime-t-il.

Il y a toute la question de la supervision parentale, des devoirs, qui sont l’entraînement pour les examens. Souvent je demande aux jeunes : combien de temps tu mets dans tes devoirs ? Et la réponse, c’est zéro.

Le Dr Guy Parizeault, pédiatre

Dans ses notes, l’impression diagnostique du docteur Parizeault est souvent la suivante : « paresse académique ».

L’évaluation neuropsychologique coûteuse

La difficulté de poser un diagnostic de TDAH est soulignée par de nombreux professionnels qui nous ont contactés. Seuls les médecins (généralistes ou spécialistes) sont autorisés à prescrire la médication, mais le diagnostic psychologique de TDAH peut être posé par un psychologue ou un neuropsychologue. Les tests neuropsychologiques sont les plus poussés. Ils durent plusieurs heures, mais sont rarement offerts dans le réseau public. Ils coûtent souvent plus de 1000 $.

« Je peux compter sur les doigts de la main les enfants qui arrivent avec une évaluation neuropsychologique », note le docteur Parizeault.

Les médecins qui prescrivent de la médication le font généralement après avoir soumis un questionnaire aux parents et à l’enseignant. Mais ces questionnaires, de type Conners ou CADDRA, « sont loin d’être optimaux », dit le médecin. « J’ai déjà entendu du personnel scolaire dire : “Je le sais, où cocher, pour que l’enfant ait son diagnostic” », souligne l’orthophoniste Odrée Dionne-Fournelle.

Et les « bébés de classe » sont souvent ciblés, ajoute l’orthopédagogue Caroline Fiset, qui évalue que les deux tiers de sa clientèle d’élèves en difficulté sont parmi les plus jeunes de leurs classes. « Ils ont besoin d’un coup de pouce supplémentaire, ils n’ont pas nécessairement un problème d’apprentissage. »

Lisez Les « bébés de classe » plus souvent étiquetés TDAH publié le 19 janvier

« La médication a changé notre vie »

S’ils s’élèvent contre ce phénomène de surdiagnostic, de nombreux parents nous ont aussi souligné à quel point la médication peut sauver la vie des enfants qui souffrent réellement d’un TDAH. « La médication a changé notre vie et j’aurais davantage nui à mon fils si je la lui avais refusée », fait valoir Annick Héon, qui alimente le blogue TDAH de mère en fils. Mme Héon, elle-même atteinte, a trois garçons qui ont reçu un diagnostic de TDAH. « Les personnes réellement atteintes de TDAH et surtout les parents d’enfants TDAH qui optent pour la médication font face régulièrement au jugement et aux commentaires désagréables de tout un chacun. Il faut faire attention au choix des mots pour ne pas alimenter ce jugement qui fait en sorte que certains parents refusent parfois à tort la médication pour un enfant qui en aurait réellement besoin. »

Précision : dans une version publiée plus tôt, nous indiquions que la neuropsychologue Isabelle Fournier avait « posé des centaines de diagnostics de TDAH ». Nous aurions plutôt dû dire qu’elle avait procédé à des centaines d’évaluations pour de possibles cas de TDAH. Si les psychologues et neuropsychologues peuvent se prononcer sur l’état psychologique d’un patient, seuls les médecins sont évidemment habilités à poser un diagnostic médical. Nos excuses.