Le nombre d’élèves en situation de handicap qui accèdent au réseau collégial a explosé depuis 10 ans. Une bonne nouvelle en soi, mais qui amène son lot de défis pour les cégeps. Auxquels s’ajoutent des cohortes de la pandémie désorganisées qui peinent à maîtriser les notions de base.

Le nombre d’élèves handicapés en forte hausse

PHOTO EDOUARD PLANTE-FRÉCHETTE, ARCHIVES LA PRESSE

Troubles neurologiques, difficultés d’apprentissage, handicaps moteurs, anxiété : les cégépiens présentent une variété de handicaps.

Le nombre d’élèves en situation de handicap a explosé dans le réseau collégial depuis 10 ans. En 2021-2022, ils étaient plus de 22 300, contre 8018 en 2012-2013, révèlent des données obtenues par La Presse.

« Non seulement il y a les impacts de la pandémie, mais en plus, il y a une croissance de notre population en difficulté. C’est un double défi », affirme Bernard Tremblay, président de la Fédération des cégeps.

Troubles neurologiques, difficultés d’apprentissage, handicaps moteurs, anxiété : ces jeunes présentent une variété de handicaps, souligne Annie Dubeau, professeure au département d’éducation et de formation spécialisée de l’Université du Québec à Montréal (UQAM).

Les mesures d’accommodements qui leur sont offertes incluent le tutorat, l’accès à des locaux adaptés lors d’examens ou encore l’utilisation d’un ordinateur en classe.

Cette hausse est positive pour les jeunes et, plus largement, la société, souligne Mme Dubeau.

Elle s’explique notamment par le fait que ces élèves sont mieux soutenus à l’école primaire et secondaire, et donc accèdent en plus grand nombre au collégial, explique-t-elle. On dispose aussi de meilleurs outils pour diagnostiquer les handicaps.

« L’accès à des formations qualifiantes facilite l’intégration au marché du travail et permet aux jeunes de mieux exercer leur métier », fait valoir la professeure.

Pas une transition facile malgré tout

Mathis Binette, 17 ans, étudie en technique de génie physique au cégep de La Pocatière. Atteint de dyslexie et de dysorthographie, il a droit à du temps additionnel lors d’examens et utilise un ordinateur en classe.

« J’ai toujours des faiblesses, mais ce que j’ai m’aide grandement. Mes notes seraient catastrophiques sans ça », soutient-il.

Or, même avec des services adaptés, la transition n’est pas toujours facile. « On est toujours en train de s’adapter », résume Isabelle. Sa fille de 18 ans a commencé en septembre sa première session au cégep. « Une grosse marche à monter », confie sa mère, qui souhaite être identifiée par son prénom seulement pour protéger l’identité de son enfant.

Dyspraxie visuospatiale, trouble de l’attention : sa fille accumule les diagnostics. Depuis la maternelle, elle suit un plan d’intervention.

Maintenant au cégep, elle a surtout du mal à s’organiser. « Elle ne sait pas si son examen est cet après-midi ou la semaine prochaine », illustre sa mère.

Certains enseignants sont aussi moins souples à l’égard des élèves handicapés, déplore Isabelle : « Même si on a un plan, ce n’est pas garanti qu’il sera appliqué partout. »

Plus de besoins

Qui dit plus d’élèves handicapés dit plus de besoins. Le réseau collégial fait face à un « défi énorme », prévient Bernard Tremblay.

Dans les dernières années, les cégeps ont reçu des sommes importantes pour bonifier leurs services pour les élèves handicapés, mais le contexte actuel appelle à un financement plus soutenu.

PHOTO MARCO CAMPANOZZI, LA PRESSE

Bernard Tremblay, président de la Fédération des cégeps

Présentement, le système a de la difficulté à répondre à leurs besoins parce qu’ils arrivent en plus grand nombre. On a besoin de mettre des services additionnels rapidement.

Bernard Tremblay, président de la Fédération des cégeps

Une tâche rendue plus difficile par la pénurie de main-d’œuvre.

La Fédération étudiante collégiale du Québec est du même avis. « Il faut que les services d’aide continuent au cégep. Même avant la pandémie, c’était parfois difficile pour les personnes handicapées d’avoir une transition douce. Avec la COVID-19, c’est encore plus important », plaide-t-elle.

« Ils n’ont pas ce qu’il faut »

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Cet automne, le collège Montmorency a reçu 125 demandes d’admission sous condition, contre 64 en 2019.

Amélie Brisson a été admise au collège Montmorency de peine et de misère.

L’adolescente souffre de dyslexie et de dysorthographie, en plus d’un trouble de l’attention et d’un trouble du langage. « L’école a toujours été difficile, mais avec le tutorat, ça allait… jusqu’en 3e secondaire », raconte-t-elle.

PHOTO CHARLES WILLIAM PELLETIER, COLLABORATION SPÉCIALE

Amélie Brisson, étudiante au collège Montmorency

Amélie Brisson a fait la moitié de son secondaire en pleine pandémie. Pendant deux ans et demi, elle – comme beaucoup de ses collègues de classe – a accumulé un important retard.

« J’ai manqué beaucoup de matière, surtout en français », déplore-t-elle. Mal préparée, elle a échoué à l’examen ministériel de français. À deux reprises.

L’adolescente a été admise cet automne au Collège Montmorency, à la condition d’obtenir son diplôme d’études secondaires. En plus de ses études collégiales, elle suit des cours de français dans un centre de formation générale aux adultes, à Laval.

En effet, au Québec, des élèves sont admis au cégep même s’ils n’ont pas fini leur secondaire, sous condition d’obtenir leurs unités manquantes au cours de leur première session collégiale.

Cet automne, le collège Montmorency a reçu 125 demandes d’admission sous condition, contre 64 en 2019.

Est-ce qu’il y a un lien avec la pandémie ? C’est possible. On sait que le parcours au secondaire a pu comporter davantage de défis pour ces étudiants-là.

Lysanne Lacouture, directrice adjointe des études au Service de l’organisation et du cheminement scolaire du collège Montmorency

Au plus fort de la pandémie, le nombre de cégépiens admis sous condition d’obtenir leur diplôme d’études secondaires a pourtant chuté. L’effectif est passé de 1305 élèves en 2019 à 787 en 2020 et 797 en 2021, selon des données obtenues par La Presse (les données pour la rentrée d’automne 2022 ne sont pas disponibles).

Mais cela ne signifie pas nécessairement que les élèves étaient meilleurs que les cohortes précédentes. Pendant deux ans, les examens du ministère de l’Éducation ont été annulés – il était donc impossible d’y échouer.

« Il me semble évident que plus d’étudiants dont les compétences n’ont pas été démontrées ont été admis au collégial, ce qui crée sans doute une plus forte hétérogénéité dans la préparation de ces étudiants et de plus grandes difficultés lors de la transition », soutient Simon Larose, professeur titulaire à la faculté des sciences de l’éducation de l’Université Laval.

Selon lui, il faudra suivre les résultats des prochaines épreuves uniformes de français pour mesurer le niveau de difficulté des cégépiens.

« On est devant un mur »

En plus de 30 ans de carrière, la professeure de chimie France Demers n’a jamais eu à expliquer la règle de trois à ses élèves.

« Comme ils ne l’ont pas beaucoup appliquée, j’ai été obligée de la leur expliquer », déplore la présidente du Syndicat des professeures et professeurs du cégep Édouard-Montpetit.

Les élèves maîtrisent moins bien les notions de base. Et ils ont plus de difficulté à lire et à écrire, lui confirment de nombreux collègues.

« On est devant un mur, et on ne sait pas trop comment s’y prendre », laisse tomber Mme Demers.

PHOTO MARTIN CHAMBERLAND, ARCHIVES LA PRESSE

Au cégep du Vieux Montréal, le nombre d’élèves éprouvant des problèmes en français a fortement augmenté l'an dernier.

Au cégep du Vieux Montréal, la professeure de littérature Évelyne Pitre remarque des difficultés plus marquées chez les jeunes – et surtout généralisées.

Sur un groupe de 40 cégépiens, elle recommande, bon an, mal an, « trois ou quatre » élèves au centre d’aide en français. L’an dernier, « on a référé à peu près 80 % des étudiants », dit-elle.

La situation est à ce point grave que son département a rencontré la direction pour tenter de trouver des pistes de solution.

Ces étudiants n’ont pas le niveau minimum pour être capables d’être au cégep. Ils n’ont pas ce qu’il faut.

Évelyne Pitre, professeure de littérature au cégep du Vieux Montréal

Au cégep de Saint-Laurent, l’enseignante de littérature Jennifer Beaudry remarque un écart accru entre les étudiants forts et les étudiants faibles depuis la pandémie.

Et une baisse de la motivation.

« Devant l’effort, les étudiants vont avoir tendance à abandonner. C’est pénible. Les profs sont épuisés », dit-elle.

Des élèves « bien plus hypothéqués »

Au-delà des savoirs essentiels, les cégépiens présentent aussi d’importantes lacunes sur le plan des stratégies d’apprentissage, ont rapporté des enseignants dans quatre cégeps à La Presse. Par exemple : savoir prendre des notes, planifier son horaire ou encore être attentif en classe.

Selon la Fédération étudiante collégiale du Québec, la pandémie a perturbé des années cruciales dans le parcours de ces cohortes.

« Les 3e, 4e et 5e secondaire sont critiques pour apprendre à se connaître en tant qu’apprenant », souligne le vice-président de la fédération, Frédéric Beaudet.

PHOTO DOMINICK GRAVEL, LA PRESSE

Émilie Lanthier, coordonnatrice au service d’aide à l’intégration des étudiants et des étudiantes au cégep du Vieux Montréal

« Les étudiants sont désorganisés. Ils se présentent sans crayon. C’est comme si la transition avait été très brutale », observe à son tour Émilie Lanthier, coordonnatrice au service d’aide à l’intégration des étudiants et des étudiantes au cégep du Vieux Montréal.

Et c’est encore pire cette session.

Sur le plan de la maturité, elle les compare à des élèves de 4e secondaire. « Il faut changer notre manière de fonctionner, clairement. Il faut s’adapter à eux pour retrouver un certain équilibre », dit-elle.

« Les étudiants qui sont là sont bel et bien plus hypothéqués. »

« Ne nous laissez pas tomber »

Début décembre, Amélie Brisson a repris l’examen ministériel de français pour la troisième fois.

Si elle y échoue, elle ne pourra plus rester au collège Montmorency. L’adolescente est épuisée. Elle pleure souvent. Entre ses études collégiales et la formation générale aux adultes, la pression de réussir est énorme. Ce qu’elle trouve le plus difficile, c’est l’impression d’avoir été abandonnée.

« Ne nous laissez pas tomber. Il y a tellement de monde qui a tellement besoin d’aide », plaide-t-elle.