Leur argent sert à acheter des livres, à réaménager des cours d’école ou à donner des bourses : les fondations associées à des écoles sont nombreuses au Québec. Mais leur portée et l’impact qu’elles ont sur les inégalités scolaires restent difficiles à cerner.

Certaines émettent des reçus de charité pour 75 000 $ par an, d’autres peinent à réunir le dixième de cette somme. Les fondations associées aux écoles – quand il y en a une – sont entre elles bien inégales.

La fondation de l’école primaire Saint-Barthélemy, par exemple, récolte tout au plus 6000 $ annuellement, une somme qui sert à améliorer la vie des élèves en achetant des livres ou en finançant des activités ponctuelles.

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Ricardo Santos, Amel Yalaoui et Simon Leblond lors de l’activité de financement de l’école primaire Saint-Barthélemy

« Les écoles ont un certain budget pour acheter des livres, mais ce n’est pas suffisant », dit Ricardo Santos, président de la fondation de cette école du quartier Villeray, à Montréal. « L’année dernière, on a acheté des jeux, comme ça les profs n’ont pas besoin de débourser de leurs poches », poursuit-il.

Pour renflouer les coffres, la fondation organise chaque année quelques activités, dont une vente de produits de l’érable. « On recueille vraiment de petits montants, on n’a pas de dons de grosses compagnies », dit M. Santos. Les dons se font à coup de 20 $ ou 40 $.

D’autres jonglent avec des budgets bien différents. La fondation de l’école primaire Saint-Clément-Ouest, à Mont-Royal, a cette année comme objectif d’amasser 50 000 $, lit-on sur son site internet.

« C’est le brouillard total »

L’absence de chiffres sur ces fondations est « très problématique », dit Sylvain Lefèvre, professeur à l’Université du Québec à Montréal (UQAM) et chercheur au PhiLab, un réseau de recherche sur la philanthropie.

« Je n’ai jamais vu de statistiques sur ce que ça représente en termes de financement, que ce soit dans les revenus des écoles ou dans les montants agglomérés des dons : c’est le brouillard total », déplore M. Lefèvre.

Ces fondations « jouent des rôles très importants », poursuit M. Lefèvre, qui ajoute que ça « pose la question des inégalités entre les écoles ».

Le ministère de l’Éducation ne sait pas combien de ces fondations il existe dans son réseau public, pas plus que la Fédération des centres de services scolaires ou la Fédération québécoise des directions d’établissement d’enseignement.

Il faut donc se tourner vers l’Agence du revenu du Canada, où elles sont enregistrées, mais parmi les centaines de fondations québécoises ayant dans leur nom « école » se comptent aussi bien des écoles de danse ou d’entrepreneuriat que des écoles publiques et privées.

Pour une école, l’argent servira à acheter des instruments de musique qui vont bien au-delà de la flûte à bec. Ailleurs, ce sera la réalisation d’une classe extérieure, le paiement des frais de scolarité pour des élèves démunis.

Au nombre des projets qu’elle souhaite financer cette année, la fondation de l’école primaire Saint-Clément inscrit sur son site internet : « éducateurs spécialisés, afin de contribuer à la saine résolution de conflits et au soutien des élèves à risque ou en difficulté d’adaptation ou d’apprentissage ».

Une école peut-elle embaucher des professionnels avec l’argent d’une fondation ? Au centre de services scolaire Marguerite-Bourgeoys (CSSMB), on nous renvoie au cadre légal que doivent suivre les conseils d’établissement avant d’accepter les dons.

Or, à certains endroits, des fondations sont dirigées par des parents ou des directions qui siègent aussi au conseil d’établissement chargé de décider si un don est recevable ou pas, a constaté La Presse.

« Le financement public n’est pas suffisant »

Les écoles, parents et fondations « essaient de bien faire », dit le professeur Sylvain Lefèvre.

Le professeur rappelle que les fondations sollicitent l’argent des parents et que leurs administrateurs sont souvent des gens qui ont davantage de temps, ou encore « des carnets d’adresses à mobiliser ».

Dès qu’on prend un pas de recul, on se rend compte que ça entretient un fonctionnement collectif qui est très problématique au niveau des inégalités.

Sylvain Lefèvre, professeur à l’Université du Québec à Montréal et chercheur au PhiLab, un réseau de recherche sur la philanthropie

Qui plus est, « il y a toujours de l’argent public derrière la philanthropie à travers les incitations fiscales », ajoute le professeur.

Sur le site internet de l’école internationale de Montréal (qui relève du centre de services scolaire de Montréal), on explique que cette fondation existe parce que « le financement public de [l’]école n’est pas suffisant pour répondre à tous les besoins de nos enfants ».

Trésorière de la Fondation de l’école internationale de Montréal, où on amasse environ 10 000 $ par an, Geneviève Perron explique qu’il ne s’agit pas de « se substituer au centre de services scolaire ».

« Il y a des choses que notre fondation souhaiterait faire parce qu’il y a des manquements à plein de niveaux, mais on ne peut pas parce que le centre de services nous en empêche », dit Mme Perron.

Il y a quelques années, raconte-t-elle, la fondation a voulu remettre à neuf un local étudiant « en décrépitude », mais il a été impossible de le faire, vu les règles établies par le centre de services scolaire.

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Beaucoup de gens se sont déplacés pour soutenir l’école Saint-Barthélemy.

À la fondation de l’école primaire Saint-Barthélemy, on dit aussi qu’on n’a pas comme objectif de pallier les défaillances de l’école publique.

N’empêche que l’an dernier, on a pensé à faire une collecte de fonds pour changer le système de ventilation « assez désuet » de l’école centenaire, une idée rapidement mise de côté. « Le budget était astronomique », se souvient Ricardo Santos.

Les fondations parallèles aux écoles posent la question du désengagement de l’État, dit Sylvain Lefèvre.

« On a des écoles qui s’en sortent en bricolant, en allant chercher les sous des parents, de deux ou trois entreprises. N’est-on pas en train de rendre acceptable une dynamique qui devrait être inacceptable ? Les parents aussi se posent la question : pourquoi en est-on à faire ça ? », explique le professeur.

À la fondation de l’école Saint-Barthélemy, on observe que si on aide à mieux équiper une classe par année, il reste que « c’est juste une classe sur 34 ».

« On sait qu’il y a des profs passionnés qui n’hésitent pas à aller chercher dans leurs poches pour aider les élèves, et on intervient pour les aider avec les besoins criants des enfants. C’est ce que ça me dit de l’école publique : on devrait aider les profs et mieux les accompagner », conclut Amel Yalaoui, vice-présidente de la fondation.