Des milliers de profs qui n’ont pas obtenu le brevet d’enseignement travaillent dans les écoles du Québec, mais ils ne sont qu’une poignée à s’inscrire à un programme de maîtrise leur permettant d’obtenir ce brevet. Souvent présentée comme une solution à la pénurie de profs, cette formation est au contraire « très lourde », dénoncent des enseignants.

L’an dernier, ils étaient 4783 enseignants à travailler dans les écoles en vertu d’une tolérance d’engagement.

Ce sont des profs dits « non qualifiés ». S’ils veulent obtenir leur brevet d’enseignement pour accéder à des postes et obtenir un meilleur salaire, ceux qui sont déjà titulaires d’un baccalauréat peuvent faire une maîtrise « qualifiante » qui mène au brevet d’enseignement. Mais ils sont peu nombreux à le faire.

À l’Université de Sherbrooke, par exemple, il y a cette année 135 nouvelles personnes inscrites à ce programme qui permet d’obtenir le brevet pour enseigner au secondaire. À l’Université de Montréal, il y a eu 24 nouvelles inscriptions cette année. L’Université du Québec à Montréal compte « en moyenne » 80 nouvelles inscriptions chaque année à la maîtrise en enseignement au secondaire et son taux de diplomation est de 62 %.

Travaux le soir et la nuit

Julie Bergeron-Proulx ne manque pas de diplômes. Elle a un baccalauréat en littérature et une maîtrise axée sur la littérature jeunesse. Elle a aussi fait une scolarisation de doctorat dans ce même domaine. Elle a été chargée de cours en littérature à l’Université de Montréal, mais c’est pour l’enseignement au secondaire qu’elle a eu un « coup de foudre ». C’est réciproque : elle enseigne à temps plein dans une école de Longueuil.

Le soir (voire la nuit), quand ses enfants de 4, 7 et 9 ans sont couchés, Mme Bergeron-Proulx en profite pour faire ses travaux de maîtrise qualifiante en enseignement au secondaire, un diplôme qu’elle doit absolument aller chercher pour devenir une prof titulaire d’un brevet.

PHOTO MARTIN CHAMBERLAND, LA PRESSE

Julie Bergeron-Proulx

Je me suis dit que ça serait très lourd, mais que je la ferais, ma maîtrise. Ce n’est pas facile, ce sont de gros compromis à faire sur la vie de famille.

Julie Bergeron-Proulx, enseignante de 38 ans

Elle n’a même pas pu faire créditer des cours à l’Université de Sherbrooke, où elle a entrepris sa deuxième maîtrise. « J’ai demandé quels étaient les critères, on m’a envoyé un document de trois pages où on commence en disant que si ce ne sont pas des cours dans une faculté d’éducation, ça ne vaut pas la peine d’essayer », dit Julie Bergeron-Proulx.

D’autres enseignants qui sont engagés dans ce parcours ont aussi témoigné à La Presse qu’ils n’ont pu faire reconnaître des cours universitaires faits dans un passé pas si lointain.

Actuellement, pour retourner faire une maîtrise, « le niveau de motivation pour devenir prof doit être très élevé », a dit un enseignant qui préfère taire son nom.

Admission refusée

Jessica Côté a fait des études universitaires en administration, mais au début de la pandémie, elle a fait de la suppléance dans les écoles. À 27 ans, elle est revenue à son rêve : devenir enseignante au primaire.

Elle souhaite s’inscrire à la maîtrise qualifiante en enseignement au primaire, mais elle vit à Trois-Rivières et cette formation se donne à Montréal ou en ligne, par l’université TÉLUQ.

Or, pour s’inscrire à cette maîtrise qualifiante, elle doit fournir la preuve qu’elle a un contrat avec une tâche d’enseignement d’au moins 40 % d’un centre de services scolaire. Comme la pénurie d’enseignants frappe moins fort dans son centre de services, c’est de la suppléance qu’on lui offre.

La porte de la maîtrise qualifiante s’est refermée. « J’ai tout tenté, on n’a jamais voulu me donner la chance d’être admise », dit Mme Côté.

Elle a trouvé sa « job de rêve », dit-elle. « Ça se passe super bien, on me remercie toujours de mon excellent travail. Mais je vais lâcher l’enseignement si ça ne marche pas, je ne resterai pas à 30 000 $ par année toute ma vie », dit-elle.

À l’université TÉLUQ, on indique qu’à l’automne 2022, 132 étudiants (sur 250 étudiants possibles) ont été admis. Pour l’hiver 2023, 66 demandes d’admission ont été reçues, nous dit-on.

Vers une formation plus courte ?

Pour enseigner au Québec, il faut détenir un brevet, qui est accordé au terme d’un baccalauréat de quatre ans ou d’une maîtrise dite « qualifiante ». Celle-ci est offerte pour enseigner au secondaire depuis plusieurs années, mais ce n’est qu’en 2021 qu’une telle maîtrise a été créée pour ceux qui désirent enseigner au préscolaire ou au primaire. Avant 1995, au Québec, il était possible pour les titulaires d’un baccalauréat d’accéder au brevet d’enseignement en faisant un certificat en enseignement. Au cabinet du ministre de l’Éducation, Bernard Drainville, on indique qu’il est encore « trop tôt » pour dire si on envisage de revenir à une formation moins longue. « Nous réfléchissons à tous les moyens qui pourraient nous aider à atténuer la pénurie de main-d’œuvre. La réflexion du ministre est alimentée par sa tournée des écoles et par les multiples discussions qu’il a avec des acteurs du réseau de l’éducation, et ce, de tous les horizons », écrit son attachée de presse, Florence Plourde.