Les personnes qui ont été choisies pour siéger comme juré au procès de Luka Rocco Magnotta pourraient ne pas sortir indemnes de leur expérience.

On le sait déjà, les preuves et les descriptions du meurtre de l'étudiant chinois Lin Jun seront perturbantes, et pas seulement pour la famille du disparu.

Les jurés seront eux aussi exposés à l'horreur sur une base quotidienne.

Certains courent même le risque de subir un choc post-traumatique.

«C'est une minorité qui peut subir un choc post-traumatique, assure toutefois la psychologue Pascale Brillon, auteure du livre Se relever d'un traumatisme. Il faut faire confiance à la résilience naturelle des êtres humains, à leur capacité à gérer le stress et à rationaliser ce qu'ils entendent et ce qu'ils voient.»

Reste qu'être exposé à la violence et à l'horreur, même quand on n'est pas la victime, peut vous marquer au fer rouge.

Juge et psychiatre traumatisés

Ç'a été le cas du juge Patrick Lesage, qui a siégé au procès de Paul Bernardo au milieu des années 90. Il n'est pas sorti indemne de l'expérience, comme il l'a raconté en 2002, en expliquant qu'il pouvait parfois éclater en sanglots sans crier gare. Les images des crimes horribles de Paul Bernardo l'avaient carrément traumatisé.

Mêmes conséquences pour le psychiatre John Bradford, qui a déjà raconté en entrevue à la CBC à quel point les procès où il a témoigné comme expert (Paul Bernardo, le militaire Russell Williams) l'ont ébranlé au plus profond de son être. Il a reçu un diagnostic de syndrome de stress post-traumatique.

On comprend pourquoi plusieurs jurés potentiels ont tenté de se désister lors de la présélection du jury au procès Magnotta, la semaine dernière.

«À court terme, explique la Dre Pascale Brillon, un individu peut subir un choc qui se traduira par des flashbacks des images qu'il a vues ou des propos qu'il a entendus. Il peut faire des cauchemars, mal dormir. Mais ces symptômes vont s'atténuer graduellement à mesure qu'il réintègre sa vie normale.»

Dans les cas les plus graves, une personne pourrait souffrir d'un «trouble» post-traumatique. «On peut voir ça chez quelqu'un qui a passé à travers le procès comme dans un rêve, sur le pilote automatique, explique Pascale Brillon. Il ressent un choc lorsque le procès est terminé et qu'il se reconnecte à ses émotions. On parle alors d'un trouble qui survient en différé.»

Certaines personnes sont cependant plus à risque. «Il y a des facteurs aggravants», note la Dre Brillon, qui travaille entre autres à la Clinique des troubles anxieux de l'hôpital du Sacré-Coeur et qui doit rassurer plusieurs patients anxieux ces jours-ci parce qu'on parle du procès Magnotta dans les médias.

«Certains détails peuvent réveiller des choses du passé qui ne sont pas réglées, comme un accident ou un traumatisme, souligne-t-elle. Un juré qui a tendance à être anxieux ou qui est très sensible va réagir plus fortement, tout comme celui qui ne sait pas gérer l'anxiété ou qui a enfoui des émotions très loin. Ceux-là pourraient craquer.»

Soutien psychologique

Devrait-on mieux encadrer la sélection du jury? Est-ce qu'un soutien psychologique devrait être fourni aux jurés pendant les procès difficiles afin d'éviter que des gens qui font leur devoir de citoyen souffrent trop? «Dans un monde idéal, oui, répond Pascale Brillon. Mais notre monde judiciaire n'est pas fait comme ça, et il y a toujours l'inquiétude de la part des avocats que la présence de psychologues modifie la perception du jury.»

Le ministère de la Justice offre cinq séances de psychothérapie aux ex-jurés qui en ressentent le besoin, s'ils en font la demande. Il n'existe toutefois aucune statistique sur le nombre de personnes qui ont fait appel à ce service au fil des ans. Mais cinq thérapies, est-ce suffisant? «En cinq séances, on peut voir à quel point le procès a marqué la personne, on peut établir un diagnostic et présenter des méthodes pour gérer le stress, explique la Dre Brillon. Mais il est certain que si l'individu souffre d'un trouble post-traumatique, cinq séances ne seront pas assez pour le traiter.»