Le milieu municipal se souviendra longtemps de l'année 2010, une année marquée par une abondance d'allégations d'irrégularités de toutes sortes touchant notamment les municipalités de Terrebonne, Mascouche, Laval et Saint-Jérôme et dont les conséquences risquent d'être ressenties à long terme.

Les dirigeants des deux grands regroupements municipaux - l'Union des municipalités du Québec (UMQ), qui représente les grandes municipalités, et la Fédération québécoise des municipalités (FQM), qui représente les municipalités locales et régionales - admettent d'ailleurs candidement avoir été dépassés par les événements.

«C'est une année où nous avons constamment été en réaction à des situations que nous n'avons pas choisies, qui imposaient des révélations aussi surprenantes les unes que les autres, lance Bernard Généreux maire de Saint-Prime et président de la FQM. Bref, une année à oublier.»

«2010 est une année malheureuse, renchérit son vis-à-vis de l'UMQ et maire de Rimouski, Éric Forest, parce qu'il y a une espèce de lien de confiance qui s'est brisé à plusieurs endroits par rapport à l'institution municipale.»

Pourtant, les analystes aguerris de la scène municipale ne sont nullement surpris par la tourmente. Louise Quesnel, professeure de science politique à l'Université Laval, scrute le domaine depuis plusieurs années. «La tension entourant les relations entre les élus municipaux et certaines forces économiques présentes sur la scène locale n'est pas nouvelle, explique-t-elle. C'est comme un cycle; ça revient, c'est mis de côté, mais c'est endémique.»

Selon Jean-Marc Piotte, politologue à l'UQAM, le problème est en grande partie lié à la proximité. «Si, dans une petite municipalité, vous voulez vous présenter à la mairie, et qu'il y a dans la région un entrepreneur en construction, l'entente peut se faire assez facilement. L'entrepreneur en construction vous aide pour l'élection et en retour vous lui confiez des contrats.»

Mais cette proximité est inévitable, fait valoir Éric Forest. «Si je veux assurer le leadership économique de ma ville, je n'ai pas le choix de rencontrer des promoteurs. Est-ce qu'on me regarde avec des yeux accusateurs en disant: il est en train d'en manigancer une belle? Le climat de suspicion qui existe actuellement est très malsain», se désole le maire de Rimouski.

Et il atteint la confiance des citoyens, traditionnellement plus grande envers les élus municipaux que leurs contreparties des niveaux supérieurs, déplore-t-il: «Un sondage indiquait récemment que 62 pour cent des Québécois n'ont plus confiance en leurs leaders municipaux. J'étais surpris qu'il y ait encore 38 pour cent des gens qui nous font confiance...»

D'où la nécessité d'une enquête publique sur l'industrie de la construction, martèle Bernard Généreux, qui la réclame depuis 2009. «Il faut débusquer, dénoncer ce qui mine la crédibilité et la capacité d'agir, insiste-t-il. Ce sont les assises de la démocratie que l'on est en train de gruger tranquillement par défaut de vouloir s'attaquer au fond des choses.»

Louise Quesnel rétorque toutefois que les élus municipaux sont largement responsables du désabusement de l'électorat. «On a vu comment, dans certains conseils municipaux, toute l'opposition est dévalorisée, ridiculisée. Les interventions des citoyens ne sont pas valorisées. Il y a moins de débats en face-à-face. La mobilisation citoyenne, ça se développe mais les voies d'apprentissage sont en train d'être réduites.»

Jean-Marc Piotte croit qu'il faut d'abord s'attaquer au financement politique, suggérant par exemple de limiter les dons à environ 100$ par personne, d'éliminer la déduction d'impôt pour les contributions politiques et que l'État retourne l'argent ainsi économisé aux partis politiques, leur assurant un financement indépendant, une solution déjà proposée - en vain - par des députés péquistes.

«Cela ne coûterait à peu près rien et ça couperait le lien plus ou moins moral qui lie les entrepreneurs en construction aux gens qui veulent se faire élire.»

Même s'il a quelques interrogations au plan de la mécanique, M. Généreux croit qu'une telle approche a du mérite. «Il faut trouver une façon de se prémunir contre les retours d'ascenseur ou l'influence indue», estime le président de la FQM.

Selon Mme Quesnel, les questions d'intégrité deviennent de plus en plus cruciales parce que la mise grimpe. Et la dépendance des villes sur l'impôt foncier les place dans une situation compromettante, ajoute-t-elle: «Les gaz de schiste, par exemple, c'est la promesse de revenus fiscaux importants. Ça veut dire faciliter l'arrivée des projets. Maintenant, que faire pour éviter la corruption? Je vois difficilement comment ça peut être réalisable.»

Un autre enjeu, qui nous ramène à l'effritement démocratique, est celui du recrutement. «Si on ne restaure pas la notoriété de la fonction, qui va vouloir aller se mettre dans un tel merdier et être a priori soupçonné d'être un faux jeton avant même d'avoir commencé à prendre une décision?» s'interroge Bernard Généreux.

Éric Forest ajoute que cette difficulté est déjà palpable. «Plusieurs collègues s'interrogent sur leur avenir politique. Plusieurs me disent qu'ils ne sont pas sûrs de vouloir poursuivre dans un tel climat de suspicion», avance-t-il.

Selon Jean-Marc Piotte, cette remise en question n'est pas finale. «Pour beaucoup de gens, l'attrait d'être maire d'une municipalité, avec le prestige que cela implique, je crois que ça va toujours continuer.»

Ce qui n'efface en rien la crise, précise-t-il: «On devrait discuter des grands enjeux de l'heure mais on discute seulement de corruption et les vrais problèmes ne sont pas abordés. Évidemment, c'est lamentable sur le plan démocratique.»