Le débat sur l’origine de la pandémie de COVID-19 continue de faire rage plus de trois ans après que les premiers cas d’infection ont été signalés en Chine, et rien ne dit qu’il est sur le point de se conclure.

« On ne saura peut-être jamais exactement ce qui s’est passé », prévient le virologue Alain Lamarre, spécialiste en immunologie rattaché à l’Institut national de recherche scientifique (INRS).

Le chercheur note qu’il existe à l’heure actuelle un « assez large consensus » dans la communauté scientifique relativement à l’hypothèse voulant que le coronavirus responsable de la pandémie ait fait le saut naturellement de l’animal à l’humain dans un marché de Wuhan avant de déferler sur la planète.

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Du personnel de sécurité monte la garde devant l’Institut de virologie de Wuhan durant la visite d’une équipe de l’Organisation mondiale de la santé, en février 2021.

La possibilité qu’il ait pu s’échapper accidentellement d’un laboratoire de recherche de haute sécurité de l’Institut de virologie de Wuhan après avoir été prélevé chez une chauve-souris continue néanmoins d’être défendue par plusieurs spécialistes.

« Les deux hypothèses sont possibles. La première semble plus probable, mais on ne peut pour autant exclure l’autre à la lumière des informations disponibles », relève M. Lamarre.

Les recherches se poursuivent

L’Organisation mondiale de la santé (OMS), qui tente toujours de faire la lumière sur ce sujet délicat, a prévenu il y a quelques jours que les recherches se poursuivaient, notamment auprès de Pékin.

« J’ai écrit et parlé à de hauts responsables chinois à de multiples occasions… Toutes les hypothèses sur les origines du virus demeurent sur la table », a déclaré son directeur général, Tedros Adhanom Ghebreyesus, à l’agence Reuters.

Le dirigeant de l’OMS a fait cette mise au point dans la foulée d’un article du Wall Street Journal suggérant que le département de l’Énergie américain estimait maintenant, avec « un faible niveau de confiance », que l’hypothèse de la fuite accidentelle de laboratoire était l’explication la plus probable.

Le directeur du FBI, Christopher Wray, a déclaré par la suite que cette conclusion était partagée par son organisation.

Les différentes agences chargées en 2021 par le président américain Joe Biden de faire la lumière sur la question demeurent cependant divisées, une majorité favorisant l’hypothèse de la transmission naturelle.

Ces divergences de vues trouvent un écho sur le plan politique aux États-Unis, où les tensions entre élus républicains et démocrates au sujet de l’origine de la pandémie de COVID-19 demeurent vives.

Elles étaient bien visibles mercredi lors d’une audience d’une commission de la Chambre des représentants, à majorité républicaine, qui entend déterminer ce qui s’est passé.

J’ai entendu une partie des audiences et ça n’avait pas grand intérêt sur le plan scientifique. Je n’ai rien appris de nouveau. Les intervenants semblaient surtout vouloir régler des comptes.

Le virologue Alain Lamarre, spécialiste en immunologie rattaché à l’INRS

La Chambre des représentants, à majorité républicaine, et le Sénat, à majorité démocrate, se sont néanmoins entendus vendredi pour demander que les services de renseignement dévoilent les informations dont ils disposent.

Richard Ebright, microbiologiste de l’Université Rutgers qui juge plausible l’hypothèse de la fuite de laboratoire, estime que tous les documents pertinents aux mains du gouvernement doivent être rendus publics.

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Des patients atteints de la COVID-19 sont hospitalisés aux soins intensifs d’un hôpital de Wuhan, en Chine, en février 2020.

Le chercheur espère obtenir des informations plus détaillées sur les activités d’un organisme new-yorkais voué à la lutte contre les pandémies qui travaillait, dit-il, de concert avec le laboratoire de Wuhan pour bonifier les capacités à étudier les coronavirus.

Trump et les origines de la COVID-19

Les discussions sur l’origine de la pandémie ont été compliquées dès le départ par des déclarations musclées de l’ex-président américain Donald Trump envers la Chine.

Il évoque au printemps 2020 la possibilité que le coronavirus soit en fait une arme biologique produite par Pékin, suscitant des accusations de « conspirationnisme ». L’hypothèse est catégoriquement écartée aujourd’hui par les services de renseignement américains.

PHOTO MANDEL NGAN, ARCHIVES AGENCE FRANCE-PRESSE

L’ancien président des États-Unis Donald Trump, en avril 2020

Une équipe déléguée par l’OMS en Chine pour faire enquête sur l’origine de la pandémie annonce au début de 2021 qu’une fuite de laboratoire accidentelle semble « extrêmement improbable » et défend du même souffle le scénario d’une transmission naturelle.

Son travail est critiqué par un groupe de chercheurs, dont M. Ebright, qui réclame dans les pages de Science le lancement d’une « enquête véritablement indépendante », malgré l’opposition de Pékin.

L’annonce de l’analyse du département de l’Énergie américain il y a quelques semaines a relancé l’intérêt pour l’hypothèse de la fuite accidentelle de laboratoire et suscité une nouvelle dénonciation du gouvernement chinois.

« Il convient de cesser d’agiter cette théorie d’une fuite de laboratoire, d’arrêter de salir la Chine et d’arrêter de politiser la recherche des origines du virus », a déclaré un porte-parole cité par l’Agence France-Presse.

Tirer des leçons

Le DGaston De Serres, un médecin-épidémiologiste rattaché à l’Institut national de santé publique du Québec (INSPQ), relève que les relations tendues entre la Chine et les États-Unis ne semblent guère propices à la recherche posée de « preuves formelles » relativement à l’origine de la pandémie.

Il est néanmoins possible dès maintenant de tirer des leçons de ce qui est arrivé, souligne l’analyste, qui insiste sur la nécessité de poursuivre activement les recherches pour détecter les virus dangereux dans l’environnement et minimiser les risques de transmission chez l’humain.

Que le coronavirus soit passé naturellement de l’animal à l’humain ou se soit échappé accidentellement d’un laboratoire après avoir été prélevé sur un animal, il est venu de la nature.

Le DGaston De Serres, médecin-épidémiologiste rattaché à l’INSPQ

La compréhension des mécanismes de transmission passe « ironiquement » par la poursuite de recherches dans des laboratoires de haut niveau comme celui de Wuhan, note le DDe Serres, qui insiste sur l’importance de maintenir des mesures de biosécurité appropriées pour réduire les risques de fuite.

Un rapport des services de renseignement américains paru en février identifiait « le manque de consensus international relativement aux normes de biosécurité » comme l’un des facteurs susceptibles de faciliter l’émergence d’une nouvelle pandémie.

« Les laboratoires qui travaillent avec des agents pathogènes sont conscients des risques et sont normalement organisés en conséquence », dit le DDe Serres.