(Washington) Le gouvernement Biden, surveillant de près l’épidémie de grippe aviaire qui a entraîné la mort de dizaines de millions de poulets et fait grimper le prix des œufs – sans parler du spectre effrayant d’une pandémie humaine – envisage une campagne de vaccination massive des volailles, selon des responsables de la Maison-Blanche.

L’épidémie de grippe aviaire, qui a commencé au début de l’année dernière, est la plus importante de l’histoire des États-Unis, touchant plus de 58 millions d’oiseaux d’élevage dans 47 États, ainsi que des oiseaux sauvages. Elle s’est déjà propagée chez les mammifères, tels que les visons, les renards, les ratons laveurs et les ours, ce qui fait craindre que le virus responsable, connu sous le nom de H5N1, puisse muter et commencer à se propager plus facilement chez l’homme.

Les experts des Centers for Disease Control and Prevention, qui se concentrent sur la santé humaine, estiment que le risque de pandémie est faible. Par précaution, l’agence a envoyé aux fabricants de médicaments des échantillons de virus de la grippe qui pourraient servir de base à des vaccins destinés à l’homme. Les CDC cherchent également à savoir si les fabricants de tests commerciaux seraient disposés à mettre au point des tests pour le H5N1, semblables à ceux utilisés pour le coronavirus.

Une transmission rare chez l’humain

Les infections de grippe aviaire chez l’homme sont rares, et la transmission de la grippe aviaire entre humains est extrêmement rare. Dans le monde, neuf cas de H5N1 ont été signalés chez les humains depuis le début de l’année dernière, selon l’Organisation mondiale de la santé. Au Cambodge, une fillette de 11 ans a récemment succombé au H5N1 et son père a également été infecté, bien que le virus soit une version différente de celui qui circule chez les oiseaux aux États-Unis.

PHOTO TANG CHHIN SOTHY, AGENCE FRANCE-PRESSE

Cette Cambodgienne achète des poulets au marché de Phnom Penh, le 24 février dernier, deux jours après la mort d’une fillette de onze ans des suites de la grippe aviaire. La souche qui l’a tuée n’est toutefois pas la même que celle qui sévit aux États-Unis.

Les cas concernent généralement des personnes exposées à des volailles. Aux États-Unis, les CDC, en partenariat avec les services de santé publique des États et des villes, surveillent les personnes qui ont été exposées au H5N1.

La semaine dernière, 6315 personnes avaient été suivies, 163 avaient signalé des symptômes et une avait été testée positive, selon le DTim Uyeki, médecin en chef de la division grippe des CDC.

Dans le même temps, les responsables du ministère fédéral américain de l’Agriculture, qui est chargé de la santé des animaux d’élevage, déclarent avoir commencé à tester des vaccins potentiels pour la volaille et entamé des discussions avec les dirigeants de l’industrie au sujet d’un programme de vaccination à grande échelle contre la grippe aviaire pour la volaille, ce qui serait une première aux États-Unis.

Des impacts commerciaux

Les oiseaux d’élevage sont déjà vaccinés contre les maladies infectieuses des volailles, comme la variole aviaire. Mais un programme de vaccination contre la grippe aviaire serait une entreprise complexe, et les associations professionnelles de la volaille sont divisées sur l’idée, en partie parce qu’elle pourrait entraîner des restrictions commerciales susceptibles de détruire l’industrie d’exportation de la volaille, qui représente 6 milliards US. La docteure Carol Cardona, spécialiste de la santé aviaire à l’Université du Minnesota, a déclaré que la crainte des interdictions commerciales constituait un énorme obstacle à la vaccination massive des volailles.

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La vaccination massive des volailles pourrait entraîner des restrictions commerciales susceptibles de détruire l’industrie d’exportation de la volaille, qui représente 6 milliards US.

« C’est une guerre non déclarée – celle du commerce », a précisé Mme Cardona.

Les experts de la grippe aviaire estiment toutefois que le gouvernement Biden devrait aller de l’avant avec une campagne de vaccination, en partie pour réduire le risque d’une pandémie humaine. Dans des interviews, plusieurs d’entre eux ont appelé l’administration à agir rapidement.

« Mon opinion est que, dans les circonstances actuelles, nous devrions absolument vacciner la population avicole des États-Unis contre le H5N1 », a déclaré Robert G. Webster, expert en grippe aviaire au St. Jude Children’s Research Hospital de Memphis (Tennessee). Une telle campagne pourrait « empêcher la transmission inévitable à l’homme », a-t-il ajouté.

Le virus contribue à l’inflation dans ce secteur

Pour le président Joe Biden, des considérations politiques entrent également en jeu. Le prix des œufs, qui a grimpé en flèche en 2022, était en janvier 70 % plus élevé qu’un an auparavant. Ces prix élevés ont donné aux républicains une nouvelle occasion d’attaquer Biden sur l’inflation, juste au moment où il se prépare à se représenter en 2024.

Les experts craignent depuis longtemps qu’une version de la grippe aviaire adaptée à l’homme ne déclenche une pandémie mondiale.

C’est pourquoi les États-Unis et le reste du monde doivent faire davantage pour se préparer, a déclaré James Krellenstein, conseiller auprès de Global Health Strategies, un cabinet de conseil international.

M. Krellenstein et Garrett Wilkinson, experts en politique de santé auprès de l’organisation à but non lucratif Partners in Health, ont examiné l’état de préparation du monde à une pandémie de H5N1 et ont identifié plusieurs « lacunes importantes », selon un rapport qu’ils ont communiqué au New York Times.

Avec un schéma à deux doses, les États-Unis pourraient avoir besoin d’au moins 650 millions de doses de vaccin H5N1 pour une utilisation chez l’homme, et le rapport indique qu’il n’est pas clair comment le pays pourrait atteindre ce chiffre avec sa capacité de production actuelle.

« S’il est extrêmement important que des efforts sérieux soient déployés pour maîtriser l’épidémie chez les oiseaux domestiques et sauvages, la réalité de la situation est suffisamment grave pour que nous prenions davantage de mesures pour nous préparer à une éventuelle épidémie de ce virus chez l’homme », a déclaré M. Krellenstein dans une interview, ajoutant : « Nous devrions considérer cette situation comme un exercice d’évacuation en direct. »

Avant la COVID-19, de nombreux experts prédisaient que la prochaine pandémie serait causée par la grippe. En 2020, le département fédéral de la santé et des services sociaux a publié une stratégie décennale pour actualiser la production de vaccins contre la grippe ; l’un des responsables de la Maison-Blanche a déclaré que l’administration Biden était en train de revoir le document à la lumière de l’épidémie chez les oiseaux.

Éviter une pandémie humaine

De nombreux experts s’accordent à dire qu’une campagne de vaccination des volailles serait un pas vers la préparation à la pandémie.

« Le simple fait que le virus soit moins répandu réduirait l’exposition des humains », a déclaré Anice C. Lowen, virologue spécialiste de la grippe à l’Université Emory, ajoutant qu’un effort de vaccination « réduirait également le potentiel d’évolution virale » qui pourrait permettre au virus de se propager efficacement d’une personne à l’autre.

Les régulateurs fédéraux n’ont pas encore autorisé la vaccination des volailles contre les souches de grippe aviaire hautement infectieuses comme la H5N1, a déclaré Mike Stepien, porte-parole du ministère de l’Agriculture. Bien qu’il existe plusieurs vaccins homologués, il n’est pas certain qu’ils soient efficaces contre la souche actuelle, a-t-il ajouté.

Les scientifiques du Ministère ont travaillé au développement de vaccins candidats en interne, a déclaré Erica Spackman, microbiologiste de recherche au Service de recherche agricole de l’agence, qui est l’un des scientifiques dirigeant les tests des vaccins pour la volaille. Mme Spackman et ses collègues ont l’intention de tester plusieurs vaccins potentiels – y compris ceux déjà homologués et les nouveaux vaccins candidats – sur des poulets, des dindes et des canards domestiques, a-t-elle précisé.

Au-delà de la science, il y a des considérations économiques. Les États-Unis sont l’un des principaux exportateurs mondiaux de produits avicoles, et leurs partenaires commerciaux veulent avoir l’assurance qu’ils n’importent pas de viande provenant d’oiseaux infectés. La vaccination pourrait rendre plus difficile le fait de prouver que les oiseaux n’ont pas été infectés.

Les poulets de chair – terme utilisé dans l’industrie pour désigner les poulets élevés pour leur viande –représentent la grande majorité des exportations de volaille, a déclaré Amy Hagerman, économiste agricole à l’Université d’État de l’Oklahoma. Il n’est donc peut-être pas surprenant que le National Chicken Council, qui représente l’industrie du poulet de chair, s’oppose à la vaccination.

« Bien que séduisante au départ, comme une solution simple à un problème répandu et gênant, la vaccination n’est ni une solution ni simple », a déclaré Tom Super, premier vice-président du Conseil chargé de la communication.

Il a ajouté que l’industrie du poulet de chair exportait 18 % de sa viande et que la perte de la capacité d’exporter du poulet lui coûterait « des milliards et des milliards de dollars. »

Le secteur de la dinde ouvert à la vaccination

Mais le secteur de la dinde, qui a été durement touché par le virus et n’exporte que 9 % de sa viande, est ouvert à la vaccination. « Nous reconnaissons que la vaccination unilatérale aurait des répercussions importantes sur les exportations », a déclaré Joel Brandenberger, le président de la Fédération nationale de la dinde. « Dans le même temps, nous avons exhorté et continuons d’exhorter le gouvernement fédéral à agir aussi rapidement que possible pour essayer de développer de nouveaux accords » avec les partenaires commerciaux.

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Si le secteur du poulet de viande est réticent à vacciner ses cheptels, le secteur de la dinde, au contraire, est plutôt en faveur, et demande au gouvernement de développer, dans le contexte, de nouveaux accords commerciaux qui prendraient en compte les volailles vaccinées.

La grippe aviaire est généralement transmise par les oiseaux aquatiques et les oiseaux de rivage, qui transmettent le virus aux volailles par leurs excréments ou leurs sécrétions respiratoires. Lors des précédentes épidémies, les autorités ont éradiqué le virus en renforçant les mesures de biosécurité, en mettant en quarantaine les exploitations touchées et en abattant les troupeaux infectés. Mais le virus étant désormais exceptionnellement répandu chez les oiseaux sauvages, ces mesures n’ont pas permis de contenir la propagation.

Une poignée de pays où la grippe aviaire est endémique, dont la Chine, l’Égypte et le Viêtnam, vaccinent déjà systématiquement les volailles contre ce virus. Les vaccins sont généralement injectés à des oiseaux individuels et nécessitent plus d’une dose, a déclaré le DLeslie Sims, consultant vétérinaire international sur la prévention et le contrôle des zoonoses, installé en Australie.

Bien que le coût varie, il peut être aussi bas que quelques cents par dose, a-t-il ajouté.

Lisez l’article original du New York Times (en anglais, sur abonnement)
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  • 9 milliards
    Les États-Unis produisent plus de 9 milliards de poulets par an, rien que pour la viande.
    Source : The New York Times