(Montréal) Québec estime qu’il n’est pas nécessaire que les élèves portent le masque en tout temps à l’école, mais dans le milieu scolaire, on s’inquiète. Si leurs parents n’ont pas le droit d’aller au cinéma, pourquoi les élèves peuvent-ils côtoyer des dizaines de leurs camarades de classe sans couvre-visage ?

Enseignante de 6e année à Montréal, Marisa Thibault estime que le concept de bulle-classe est « de la poudre aux yeux » pour les parents. Une fois que la cloche sonne la fin des cours, les élèves se mélangent et l’école n’y peut rien.

Elle aimerait que les enfants portent le masque dès qu’ils mettent le pied dans la cour d’école. Pour l’instant, il n’est obligatoire qu’à partir de la 5e année du primaire, lorsque les élèves circulent – dans les corridors, par exemple. Quand ils sont à leur pupitre, ils peuvent le retirer.

« Dès qu’ils enlèvent leur masque dans la classe, il y a un risque de contamination. Il ne faut pas avoir un doctorat en infectiologie pour comprendre ça. C’est la réalité », estime Mme Thibault, qui craint les éclosions de COVID-19 dans son école du quartier Saint-Michel.

En Ontario, les élèves de la 4e à la 12e année sont obligés de porter un masque à l’intérieur de l’école, incluant dans les classes.

Le premier ministre François Legault a expliqué lundi que le port du masque en classe n’a pas été recommandé par la Santé publique. Pourtant, tant dans la classe qu’en dehors de la classe, cela limiterait la propagation du virus, selon la Dre Anne Gatignol, professeure en microbiologie à l’Université McGill.

Même si, en général, ces jeunes sont moins malades, ils sont très susceptibles de ramener le virus dans leur famille pour une transmission intergénérationnelle.

Dre Anne Gatignol, professeure en microbiologie à l’Université McGill

L’inconfort du masque est « limité et similaire au port de lunettes », ajoute-t-elle, et il suffirait d’expliquer aux jeunes les raisons d’une telle règle. En réponse à une question sur les écoles, le directeur national de santé publique, le DHoracio Arruda, a estimé lundi qu’il était « très difficile » de porter un masque pendant huit heures.

Dans tous les cas, le masque « est une arme intéressante à considérer », estime pour sa part la Dre Marie-Pascale Pomey, spécialiste des politiques publiques à l’École de santé publique de l’Université de Montréal.

« Le masque est un geste barrière important, mais il faut aussi qu’on ait des salles de classe aérées, un renouvellement de l’air, et on a un petit problème dans ce domaine-là dans les classes au Québec. Pour compenser au non-renouvellement de l’air, le masque peut être une bonne alternative », poursuit la Dre Pomey.

Aux côtés de microbiologistes et d’experts en santé publique, Marie-Pascale Pomey a cosigné mardi une lettre ouverte dans laquelle on appelle à une plus grande aération des classes. « Le risque de contamination au nouveau coronavirus est à son maximum dans un local fermé abritant plusieurs personnes ayant un contact prolongé et ne portant pas le masque », une situation qui caractérise les dizaines de milliers de classes du Québec, estiment les signataires.

> (Re)lisez la lettre ouverte

Une décision « difficile à justifier »

Enseignante de mathématiques dans une école secondaire de Montréal, Élyse Bourbeau a eu la consigne de son directeur de demander aux élèves de mettre leur masque s’ils s’approchent d’elle. C’est loin d’être le cas dans toutes les écoles secondaires de la province.

Les élèves comprennent très bien, ils en entendent parler partout.

Élyse Bourbeau, enseignante de mathématiques dans une école secondaire de Montréal

L’enseignante estime qu’il serait « faisable et probablement préférable » que les élèves portent le masque en tout temps.

La présidente de l’Alliance des professeures et des professeurs de Montréal, Catherine Beauvais Saint-Pierre, observe que maintenant que plusieurs spécialistes se sont prononcés pour le port du masque en classe, « c’est difficile de ne pas en venir à la conclusion que ça n’améliorerait pas la sécurité dans les écoles ».

Tous les enseignants ne s’entendent pas sur la question, mais une chose est certaine : le « double standard » entre l’école et les autres endroits publics fait jaser, dit l’enseignante Élyse Bourbeau.

« Les restaurants sont fermés, les salles de cinéma sont fermées, c’est des endroits où les gens portaient leur masque de façon très rigoureuse. Dans une classe de 30-35 élèves, on ne porte pas le masque ? C’est difficile à justifier », croit Élyse Bourbeau.

Mardi, l’attaché de presse du ministre de l’Éducation Jean-François Roberge a réitéré à La Presse que « les discussions avec la Santé publique se poursuivent, au regard de l’évolution de la situation épidémiologique des derniers jours ». « Si des mesures supplémentaires doivent être prises pour protéger nos écoles, nous le ferons », ajoute Francis Bouchard.

Dans certaines écoles, on regarde les cas de coronavirus augmenter en croisant les doigts. « Entre nous, on se dit à la blague que si on n’attrape pas la COVID-19, on va aller s’acheter un 6/49 », dit l’enseignante Marisa Thibault.

Des explications demandées à la Santé publique

La Centrale des syndicats du Québec (CSQ), qui représente 125 000 travailleurs de l’éducation, a réclamé mardi un resserrement des mesures sanitaires dans les écoles qui se trouvent en zone rouge. On demande également à la Santé publique d’expliquer les raisons pour lesquelles elle n’applique pas les mêmes règles pour ceux qui travaillent en éducation que pour le reste de la société.

Le président de la Fédération autonome de l’enseignement estime pour sa part que le gouvernement doit d’abord assurer la sécurité des élèves. « Ce qui nous inquiète, c’est la multiplication des cas. Même le gouvernement ne se cache plus de son étonnement de voir à quel rythme ça va. Ça alimente un climat anxiogène », dit Sylvain Mallette.

Selon le dernier bilan de Québec, 1833 cas de coronavirus ont été diagnostiqués dans les écoles de la province et 673 classes sont actuellement fermées en raison de la COVID-19.