Si vous lui aviez dit, il y a trois mois, qu’il deviendrait une icône au Québec, Horacio Arruda vous aurait sans doute traités de fous.

Si vous lui aviez parlé des t-shirts à son effigie, des figurines et de la page Facebook « Horacio, notre héros », il ne vous aurait pas crus.

La popularité fulgurante du directeur national de santé publique du Québec l’a pris de court, tout comme la pandémie. Et elle l’effraie presque autant.

« Des fois, je me pince en me disant : “Je pense que je rêve, ça n’a pas de bon sens…” » Ça le flatte. Bien sûr. Mais ça lui fait aussi « peur, beaucoup ». « Vous savez, l’amour, c’est très proche de la haine… »

Horacio-le-héros sait que le vent peut tourner.

D’ailleurs, il sent déjà monter la grogne, en sourdine.

Il admet que, maintenant qu’on l’a hissé sur un piédestal, la chute pourrait faire très mal.

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Ce déferlement d’amour lui est tombé dessus sans crier gare, comme sur d’autres directeurs de santé publique ailleurs dans le monde.

Il y a trois mois, ces experts anonymes ont été propulsés au rang de superhéros par une population en mal de voix rassurantes. Aux États-Unis, Anthony Fauci, 79 ans, fait battre les cœurs. En Suède, on s’est fait tatouer le visage d’Anders Tegnell sur la peau. Au Québec, on a craqué pour la spontanéité du DArruda. Mais après 11 semaines de crise, il faut bien le dire, sa bonhomie et ses facéties commencent à nous taper sur les nerfs. Les tartelettes portugaises nous font moins envie.

PHOTO JACQUES BOISSINOT, LA PRESSE CANADIENNE

Le DHoracio Arruda

Le DArruda en est parfaitement conscient.

« Cette popularité est montée très vite, comme lorsqu’on réchauffe une soupe au micro-ondes, m’a-t-il dit en entrevue téléphonique, jeudi. Elle peut refroidir très vite. Ça monte et ça peut redescendre. Plus on monte haut, plus ça fait mal quand on arrive en bas. »

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On a senti le vent tourner avec le rap du confinement. Beaucoup ont réagi comme si le DArruda avait carrément dansé sur les tombes des morts du coronavirus.

Et puis, on lui a découvert un côté ombrageux. D’abord, quand il a rabroué la scientifique en chef du Canada, Mona Nemer, affirmant ne pas avoir de comptes à rendre à « madame ».

Vendredi, il n’a pas caché sa frustration envers les commentaires de la directrice de santé publique de Montréal, Mylène Drouin, qui a déploré en entrevue avec La Presse que la crise ait été gérée de Québec. Montréal n’a pas été pénalisé par la distance, a-t-il dit d’un ton irrité, en conférence de presse, accusant La Presse d’avoir fait un « collage » de citations donnant l’impression d’une tentative de putsch…

Mes collègues ont enregistré les propos de la Dre Drouin. Ils n’ont rien inventé. Bref, ils ont fait leur job de journalistes ; on ne peut pas les blâmer si le message ne plaît pas.

Il faut croire que les « merveilleux pigeons voyageurs », comme les qualifiait le DArruda au début de la crise, ne sont plus si merveilleux que ça…

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D’accord, tout le monde est sur les nerfs, y compris le DArruda, qui se bat comme un damné contre un ennemi féroce et encore largement inconnu.

Nous sommes entrés dans la phase la plus délicate de la crise : le déconfinement. À Montréal, les hôpitaux sont déjà sous tension. Tout pourrait basculer.

« C’est un très gros risque. Je le sais, j’en suis très conscient. Je ne sais pas, si les choses vont mal, comment je vais le vivre. Avec ma tête, je suis prêt à vivre avec ça. Avec mon cœur, ça pourrait faire mal. »

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Imaginez un peu la pression. Si le plan de déconfinement échoue, il faudra donner un nouveau coup de frein à l’économie québécoise. Des milliers de vies sont en jeu. Une deuxième vague pourrait les emporter.

Et le DArruda avec elles.

« Je le sais depuis le premier jour. Les crises sanitaires ont souvent entraîné la chute d’une personne qui n’est pas nécessairement responsable de tout le système. »

Parce qu’évidemment, les ultimes responsables, ce sont les élus.

Pourtant, François Legault semble parfois tenté de faire porter à la Santé publique la responsabilité du déconfinement. Ne répète-t-il pas sans cesse qu’il se laisse docilement guider par la science ?

Au fait, est-ce vraiment le cas ?

Oui, répond le DArruda. Face au gouvernement Legault, « jusqu’à maintenant, on a tenu notre bout et il a fait ce qu’on lui avait dit ».

On peut supposer qu’il y a eu des négociations. Le gouvernement est soumis à des pressions énormes – et parfois contradictoires – pour relancer l’économie, pour rouvrir les écoles ou, au contraire, pour les garder fermées. Il n’a pas que des facteurs épidémiologiques à considérer.

« Les gens qui prennent la décision définitive, en mettant en balance tous les facteurs, ce sont les élus, admet le DArruda. Mais jusqu’à maintenant, le facteur santé a été très important. La preuve : on a tout arrêté. Plus que dans d’autres pays. »

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Le gouvernement en ferait même plus que le client en demande. Horacio Arruda ne s’attendait pas à ce que François Legault ferme tous les secteurs de l’économie. Il pensait devoir faire des compromis.

Même chose pour le maintien de la fermeture des écoles à Montréal. « On a fait l’analyse. On aurait pu, pour des raisons de santé publique, les rouvrir. Mais il y avait des craintes, les parents avaient peur… » Une décision a donc été prise : celle de maintenir les écoles primaires fermées, à Montréal. Une décision politique, puisqu’elle n’était pas basée sur les recommandations des experts en santé publique.

Horacio Arruda peut vivre avec ça. Vrai, ce n’était pas nécessairement une bonne décision de maintenir les écoles fermées. Mais ce n’en était pas nécessairement une mauvaise. La lutte contre la pandémie, on le sait, est loin d’être une science exacte.

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Horacio Arruda a établi ses quartiers à Québec au début de la crise. Son bureau fait face à celui du premier ministre. « Être très proche de l’endroit où se prennent les décisions, ça permet d’avoir une plus grande influence. »

Mais peut-il être… trop proche ?

La formule des points de presse quotidiens, où il se présente à la droite de François Legault, peut donner cette impression, admet-il. « On ne passe pas la journée au complet ensemble. On passe une heure, avant le point de presse, à le préparer. »

Mais comme membre en règle du « trio de 13 h », bien des Québécois ont fini par le croire caquiste. « Peut-être que je suis trop associé au politique, sur le plan de l’image. »

Jamais, pourtant, il n’acceptera de perdre sa crédibilité scientifique pour plaire aux élus. « Le jour où je ne pourrai pas vivre avec une décision [du gouvernement], ce n’est pas moi qui vais l’annoncer. Je ne serai plus là. »