L’heure de la chaise musicale n’a pas encore sonné. Il n’y aura pas de remaniement ministériel cet été.

« Pourquoi on ferait ça ? », demande une source au gouvernement. L’effet sur les sondages serait modeste, si on se fie aux précédents exercices. Les mécontents seraient au moins aussi nombreux que les heureux promus. Et si l’exercice se fait trop vite, des députés déçus auraient le temps de démissionner pour tenter leur chance aux prochaines élections municipales.

On ne peut pas faire plusieurs remaniements. C’est une carte spéciale à ne pas gaspiller.

On s’en sert pour donner de la visibilité à de nouveaux visages. Ce sera nécessaire dans la deuxième moitié du mandat – le départ anticipé de Christian Dubé et de Pierre Fitzgibbon en 2026 créera un vide qu’il faudra combler. Mais on n’en est pas encore là.

On utilise aussi un remaniement pour régler un problème au gouvernement.

Éric Caire, ministre de la Cybersécurité et du Numérique, est une cible facile. Mais il ne justifie pas à lui seul cet exercice.

France-Élaine Duranceau, ministre de l’Habitation, a rapidement été identifiée par l’opposition comme un maillon faible. Elle a prolongé son espérance de vie en fin de session avec sa volte-face bienvenue. Son moratoire de trois ans sur les évictions a calmé un peu la grogne des locataires. Le cabinet du premier ministre lui a prêté une conseillère en renfort, signe qu’on voulait encore lui donner une chance.

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La ministre de l’Habitation, France-Élaine Duranceau, est félicitée par le premier ministre du Québec, François Legault (à gauche), après le dépôt d’une nouvelle loi sur le logement.

Pour le reste, les piliers du gouvernement apparaissent encore indélogeables. À la Santé et à l’Éducation, Christian Dubé et Bernard Drainville ont fait adopter leurs réformes. Ils doivent maintenant les appliquer sur le terrain, un travail difficile. Changer le pilote mettrait cet atterrissage en péril.

Au Trésor, Sonia LeBel s’est distinguée en renégociant plusieurs conventions collectives et en déposant un projet de loi bien accueilli pour décloisonner les professions, notamment en impliquant davantage les infirmières et les pharmaciens dans les soins de première ligne. Enfin, le gouvernement caquiste paraît livrer du concret. Elle consacrera les prochains mois à étudier ce projet de loi et à conclure les dernières négociations en cours.

Aux Finances, Eric Girard est aussi bien en selle même s’il rate parfois la cible avec ses prévisions. Si rien ne change, il aura réalisé le plus long mandat à ce poste depuis Gérard D. Lévesque sous le gouvernement Bourassa.

Aux Affaires municipales, si Andrée Laforest termine son mandat, elle aura assuré le plus long règne à ce poste depuis Bona Dussault en 1953.

À l’Économie, Pierre Fitzgibbon vient tout juste de déposer son testament politique, une réforme costaude de l’énergie. Lui aussi en aura plein les bras jusqu’à la prochaine neige.

Et aux Transports, Geneviève Guilbault a enfin accouché de son projet d’agence indépendante après une gestation laborieuse. Cette structure ne réglera pas le problème de financement du transport collectif. Elle a raison, les municipalités pourraient mieux contrôler leurs dépenses. Mais même avec la gestion la plus rigoureuse, l’argent manquera pour améliorer l’offre et attirer plus d’usagers. Certains maires donnaient l’impression d’attendre un remaniement pour avoir un nouvel interlocuteur. Sauf que la pire façon d’obtenir un changement de ministre, c’est de le demander.

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La ministre des Transports et de la Mobilité durable, Geneviève Guilbault

Deux autres ministres ont moins fait parler d’eux, et pour de bonnes raisons. Le ministre du Travail Jean Boulet a réussi l’exploit de réduire la rigidité syndicale en construction sans déclencher de guerre. Et à la Justice, Simon Jolin-Barrette a fait adopter à l’unanimité le troisième volet de la réforme du droit de la famille, qui avait été lancée il y a une décennie déjà. C’est tout à leur honneur, mais l’harmonie n’attire pas les caméras.

La CAQ respire un tantinet mieux. Il faut dire qu’à l’interne, les attentes étaient basses.

Au début de l’hiver, une présentation a été faite aux députés. Le parti n’est pas sur le point de remonter dans les sondages, prévenait-on. L’urgence était plutôt d’appliquer les freins.

Le gouvernement Legault venait d’avoir un automne misérable. C’était à cause de ses décisions, mais aussi à cause de sa façon de les prendre. Le symbole était le troisième lien routier entre Québec et Lévis, pour lequel François Legault semblait changer d’idée en fonction des sondages. On perdait confiance en son jugement. À cela s’ajoutaient les erreurs non provoquées comme la subvention pour la visite des millionnaires des Kings de Los Angeles ou la hausse de rémunération que les députés se sont votée juste avant la renégociation des conventions collectives.

Pour 2024, le mot d’ordre était donc : discipline. M. Legault a évité de trop réfléchir à chaud devant les caméras. Il n’y a pas eu de geste nerveux pour faire bouger l’aiguille des sondages.

Le bilan est mitigé. Mais au moins, la CAQ a mis fin à sa chute. Un petit frétillement s’observe même dans le plus récent sondage Léger, avec une hausse de trois points de pourcentage.

En 2022, la CAQ avait fait campagne sur le thème « Continuons ». Une façon de miser sur sa popularité pandémique et de rappeler son intention de reprendre les chantiers suspendus durant cette crise.

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Le premier ministre François Legault lors de la soirée électorale de 2022

À en juger par son programme de gouvernement, le slogan pourrait maintenant être « Complétons ». Ça ne fait pas rêver. La CAQ parle plutôt de « changement », ce qui est plus difficile à vendre au milieu de son deuxième mandat. Avec un remaniement à la fin 2024 ou au début 2025, ce serait plus convaincant.

Bien sûr, un travail colossal reste à faire pour achever les réformes entamées. L’équivalent d’une demi-Hydro-Québec devra être construit. Possiblement le plus gros chantier de l’histoire du Québec. Et il faudra entretenir et rénover les routes et les réseaux de transport collectif, rénover les écoles, construire les maisons des aînés, développer les soins à domicile, décarboner l’économie et accélérer la construction de logements.

Après six ans au pouvoir, François Legault commence à souffrir de l’usure. L’amour que certains lui portaient durant la pandémie ne reviendra pas.

Il espère plutôt sortir gagnant d’une comparaison avec ses adversaires pour prétendre être la meilleure personne pour gérer l’État face à un Parti québécois qui préparera l’indépendance et un Parti libéral qui ne protège pas, dira-t-il, l’identité québécoise.

Ce pari est toutefois risqué. M. Legault lie son sort à la qualité des services publics.

Il n’a pas répété l’erreur du gouvernement Couillard, qui avait lancé une réforme en santé tout en imposant des compressions. Mais tôt ou tard, le budget devra être équilibré. Et plus le mandat avancera, plus des choix douloureux se présenteront.

La promesse de « compléter » ce travail ne suffira pas. Un nouveau projet sera nécessaire. Surtout si M. Legault a encore l’intention de briguer un troisième mandat.