Il y avait longtemps que je n’avais pas lu une histoire aussi abracadabrante. Ça touche un jeune participant au Parlement étudiant en 2023 : il a été expulsé de l’évènement parce que des rumeurs d’inconduites sexuelles passées ont causé des « inconforts » chez des participantes.

Si vous n’avez pas lu le dossier de Tristan Péloquin1, lâchez tout et allez lire ça.

Contexte : le Parlement étudiant du Québec est une simulation parlementaire où des jeunes s’affrontent, répartis entre Bleus et Rouges. L’activité existe depuis 1987.

La Presse a révélé l’histoire sur la base de documents judiciaires (des poursuites sont en cours) : le jeune homme, désigné comme « M. Bergeron », se fait expulser parce qu’une rumeur (dont on cherche toujours l’origine) l’accuse (sans détails) d’inconduites sexuelles passées.

Informée de ces allégations et leur prêtant une véracité totale, une participante désignée comme « Mme Bélanger » fait alors une crise de panique dans sa chambre d’hôtel. La raison : M. Bergeron est venu à sa rencontre… 

Sauf que l’histoire dira plus tard qu’elle a confondu M. Bergeron avec un autre participant. Oups.

N’empêche : au moins quatre participantes s’enferment dans leur chambre, décrétant ne plus vouloir se trouver dans la même pièce que M. Bergeron.

La suite est surréaliste. Je cite le texte de Tristan : « Les Bleu.e.s demandent alors l’exclusion du participant, une décision notamment appuyée “sur l’expertise” de Samuel Vaillancourt, un technicien juridique de la clinique Juripop (spécialisée en violence conjugales et sexuelles), qui fait partie du caucus. Il est “habilité à mettre des gens à l’aise puis gérer des crises du genre”, explique la présidente de l’[Assemblée parlementaire étudiante du Québec], Hilal Pilavci, dans son témoignage. »

Je souligne ici que personne n’a jamais demandé à M. Bergeron de s’expliquer. Personne n’a jamais tenté de vérifier ces rumeurs, personne n’a tenté de les confirmer ou de les infirmer.

Pas grave : le jeune homme a été expulsé du Parlement étudiant. Raison ? Sa présence causait un « inconfort » chez des participantes.

Le père de l’exclu, avocat, déposera plus tard une poursuite en diffamation contre des protagonistes de l’expulsion de son fils et contre des administrateurs du Parlement étudiant.

C’est ici que ça devient encore plus fou. Avant même les travaux du Parlement étudiant, ce Samuel Vaillancourt avait commencé à répandre des ragots non-vérifiés sur M. Bergeron, peut-on lire dans des documents judiciaires déposés dans le cadre des poursuites en diffamation :

« Samuel Vaillancourt a contacté le secrétaire de l’Assemblée parlementaire des étudiants du Québec pour dénoncer M. Bergeron : “Tout d’abord, a-t-il écrit, je tiens à faire un traumavertissement quant au sujet de cette conversation. Elle concerne des questions de VACS (violences à caractère sexuel) et harcèlement.” Il évoque ensuite vaguement, sans nommer M. Bergeron, des évènements qui se seraient déroulés “il y a environ trois ans”, basés sur le témoignage anonyme “d’une amie qui a été témoin (et a vécu) une situation de violence sexuelle”. »

Des rumeurs, du ouï-dire invérifiable, de l’anonymat. Rien de tout cela ne tiendrait devant un tribunal, ou dans une enquête journalistique. Pas grave : pour M. Vaillancourt, c’était suffisant pour lancer une cabale.

Ce qui frappe dans cette saga, c’est que des gens qui devraient comprendre quelques éléments de justice naturelle (comme des avocats liés à l’administration du Parlement étudiant du Québec et ce M. Vaillancourt qui travaille pour Juripop) s’en sont fichés complètement.

Tout ce qui comptait, c’était le ressenti basé sur absolument rien, c’était l’« inconfort » de participantes qui n’auraient pas pu expliquer ce qu’on reprochait à M. Bergeron.

L’expulsion de M. Bergeron n’a pas été sans conséquence : cette mesure sans fondement a été utilisée pour le faire bannir des Jeux de la science politique de l’Université de Montréal… Décision que le Bureau du respect de la personne de l’UdeM a infirmée.

Ce type d’excès basé sur du ressenti n’est pas de la justice, c’est même le contraire de la justice. C’est une justice populaire qui n’a rien à voir avec les faits, tout à voir avec le militantisme. Et tant pis si on casse des œufs – et des réputations – dans le processus.

Tant pis ?

Je fais un détour par 2019, quand j’ai raconté le calvaire d’un jeune homme accusé à tort dans l’internet québécois d’être un agresseur2 : on l’avait confondu avec un autre homme, lui-même visé par des allégations d’inconduites sexuelles. Avant de vérifier, on l’a lynché.

La vérité avait fini par remonter à la surface, en lambeaux. Certaines personnes s’étaient excusées, mais pas toutes : « Les victimes d’agressions sexuelles aussi sont traumatisées, avait écrit une tortionnaire en guise de justification, et les femmes font vraiment ce qu’elles peuvent pour se protéger, elles se sont trompées et c’est plate pour lui, mais je ne dirai jamais que c’est la plus grosse erreur de ma vie d’avoir voulu faire attention… »

J’insiste sur cette phrase, lancée avec la désinvolture qui confine à une banale erreur : C’est plate pour lui…

Je ne suis pas d’accord : c’est surtout plate pour les victimes d’agressions sexuelles. Parce que les fausses accusations sont aussi utilisées pour discréditer les vraies.

Revenons à 2024 : Tristan Péloquin présente aujourd’hui un autre cas du genre impliquant un étudiant de l’UQAM qui a été harcelé, sali et exclu par des étudiantes qui avaient décidé – sur la base d’aucune base factuelle solide, encore – qu’il était un agresseur sexuel3.

Là encore, l’affaire est judiciarisée.

Là encore, une dynamique de lynchage par une meute. Sans se prononcer précisément sur le cas de l’UQAM, la politologue Eve Séguin offre cette définition du mobbing, un verbe dérivé du mot anglais mob, la foule.

Je la cite : « Le mobbing est une stratégie de groupe qui vise à se débarrasser d’une personne dans une organisation. Et pour y arriver, tous les moyens sont bons. Le groupe emploie une justice de meute, qui vise à isoler la cible. Je n’hésite pas à parler de “terrorisme organisationnel” parce que les personnes du groupe qui en sont témoins se rendent compte que très rapidement, si elles n’y participent pas, elles vont elles aussi devenir des cibles. Les gens ont peur. »

Et l’accusation d’agression sexuelle est une arme de choix de la justice de la foule, selon la professeure Eve Séguin : « Nous vivons dans une société néo-moraliste où, dès que tu touches au sexe, tu peux dire n’importe quoi. C’est une des meilleures armes du mobbing. Dans ce que j’appelle la gauche identitaire, on associe beaucoup la sexualité au harcèlement sexuel. N’importe quoi de lié de près ou de loin à la sexualité est considéré comme menaçant pour les femmes. »

Deux observations, en terminant…

D’abord, malgré tous leurs défauts, les tribunaux se basent sur des faits. Pas sur des prismes militants. Un tribunal albertain, saluant les avancées de #metoo, a récemment rétabli la réputation d’un Québécois en servant cet avertissement : avant de lancer des allégations, il faut au moins se donner la peine de vérifier si ces allégations sont fondées4.

Je souhaite à ce jeune homme, M. Bergeron, que la lumière soit faite en cour, hors de la logique militante farfelue qui l’a exclu du Parlement étudiant, lui causant de nombreux « traumas », pour surfer sur le jargon militant.

Ensuite, qu’un homme comme Samuel Vaillancourt travaille pour la célèbre clinique Juripop, ça m’enlève le goût de prendre Juripop au sérieux dans ses interventions publiques. Qu’un type aussi irresponsable quant aux faits et au droit puisse travailler dans une clinique juridique est proprement consternant.

Rectificatif
Une version antérieure de ce texte faisait mention du Parlement jeunesse alors que les événements concernent le Parlement étudiant du Québec.

1. Consultez le dossier de Tristan Péloquin 2. Lisez la chronique « Oups, mauvais Maxime ! » 3. Lisez l’article « Trois étudiantes suspendues pour mobbing » 4. Lisez la chronique « Les meutes numériques »