La présidente de la FAE Mélanie Hubert a donné mardi un bel exemple de ce travers syndical détestable, l’empressement à défendre ses membres les plus pourris.

C’est Le Devoir qui a relevé ce passage de Mme Hubert en commission parlementaire à Québec pour l’étude du projet de loi 47 visant à renforcer la protection des élèves1.

Ce projet de loi fait suite à la médiatisation de cas de violences et d’inconduites (sexuelles, notamment) commises par du personnel envers des élèves2. Exemple : un enseignant qui démissionne du centre de services scolaire X au cours d’une enquête sur des allégations de comportements déplacés avec des élèves peut se faire embaucher dans le centre de services scolaire voisin sans que son nouvel employeur soit mis au courant de l’enquête.

L’affaire, c’est que la confidentialité des dossiers d’employés empêche le transfert de ces dossiers disciplinaires d’un centre de services scolaire à l’autre.

C’est complètement fou, bien sûr, mais bienvenue dans l’univers surréaliste du droit du travail québécois.

Pensez par exemple qu’après 12 mois, la sanction reçue au dossier d’un employé n’existe généralement plus. C’est ce qu’on appelle la « prescription ». Donc, si vous êtes sanctionné en 2024 pour un mauvais comportement qui vous avait valu une note au dossier en 2022, l’employeur ne peut pas prendre en compte l’infraction de 2022 : elle n’« existe » plus. Votre dossier est « vierge » et il faut sanctionner en conséquence… Comme s’il s’agissait d’une première faute.

Je vous ai expliqué l’absurdité de cette cape d’invisibilité disciplinaire en 2021 à partir d’un cas impliquant un concierge scolaire aux mains baladeuses3. J’y expliquais mon exaspération devant l’empressement des syndicats à défendre ses membres les plus pourris.

Avançons le curseur à 2024. La cheffe syndicale Mélanie Hubert est donc à Québec pour témoigner sur le projet de loi 47. Le ministre Drainville veut que, justement, les dossiers disciplinaires du personnel scolaire soient « transférable ». Pour que le centre de services scolaire X puisse, par exemple, savoir que ce prof de maths qui vient d’envoyer son CV faisait tout récemment l’objet d’une enquête dans son ancien centre de services scolaire pour une relation déplacée avec une élève. Ce genre de chose…

C’est trop pour la présidente de la FAE.

Je cite l’article du Devoir :

« Dans son mémoire, la FAE demande de “biffer” un article du projet de loi qui interdirait des clauses ayant pour effet “d’empêcher un centre de service scolaire […] de tenir compte d’une mesure disciplinaire” qui a précédemment été imposée à un employé, dans un esprit de gradation des sanctions. “Il faut quand même avoir le droit, jusqu’à un certain point, de pouvoir s’amender. Le principe d’une mesure disciplinaire, c’est de donner un avertissement et de dire aux gens : ‘Amendez-vous et corrigez-vous’”, a fait valoir Mme Hubert. »

Quand ils justifient la défense de camarades qui ont commis des bêtises, les syndicats ont une ligne toute prête : Oui, mais la loi nous y oblige ! Fort bien, mais dans le cas du projet de loi 47, Mme Hubert veut que la loi continue à protéger les éléments problématiques. Même le concierge dont je parlais en 2021 a eu une défense syndicale pour ses dérapages… Pendant dix ans.

Mme Hubert illustre par l’absurde ce réflexe absolu et tout-puissant de la défense syndicale des plus pourris. Il est absurde et contre-productif qu’un centre de services scolaire n’ait pas accès – au nom de la sacro-sainte confidentialité – au dossier disciplinaire d’un candidat qui était employé jusqu’à tout récemment d’un autre centre de services scolaire…

La future loi 47 portée par le ministre Drainville, inspirée par des cas absurdes relevés par les médias, vise à colmater cette brèche. Pour protéger les élèves.

Ce n’est ni extrême ni cruel. C’est pourtant trop pour Mme Hubert. C’est un syndiqué depuis 1988 qui vous le dit : les syndicats ont plusieurs qualités, mais ils sont trop souvent trop heureux de servir de bouclier à des pommes pourries.

La prise de position de la FAE va-t-elle dans le sens de la protection des élèves ? J’en doute.

Je termine sur une anecdote que j’estime révélatrice. Je vais la raconter jusqu’à ma retraite. En 2015, j’ai enquêté pour La Presse4 sur une enseignante aux comportements délirants, dans une école de Notre-Dame-de-Grâce. Ce sont des parents qui m’avaient contacté, après avoir échoué à la faire sanctionner ou, mieux, à la faire renvoyer.

L’enseignante pratiquait l’humiliation publique de ses élèves en riant de leurs erreurs, devant toute la classe. Elle sortait son cellulaire et faisait mine d’appeler les parents d’élèves qu’elle jugeait en retard, devant toute la classe.

L’enseignante criait sur les élèves, infligeait des châtiments démesurés, commandait des devoirs qu’elle ne corrigeait pas, prenait des photos des enfants sans permission…

Je parle ici d’enfants de 1re année… Dont certains avaient mal au ventre à l’idée de devoir aller dans sa classe.

La Commission scolaire de Montréal était au courant, depuis des années. Toute l’équipe-école était au courant. Tout le voisinage était au courant : la légende de cette prof-furie se rendait aux oreilles de parents dans les parcs et garderies du quartier avant même que leurs enfants ne commencent à fréquenter l’école !

J’avais retrouvé des parents d’anciens élèves et qui s’étaient plaints dès 2001 des folies de cette enseignante. J’avais contacté d’anciens élèves désormais adultes qui m’ont raconté les abus subis dans la classe de cette enseignante.

Cette enseignante était farouchement défendue par l’Alliance des profs depuis des années. Défense du syndicat ? Je paraphrase la substance de mes discussions avec des officiers syndicaux : l’employeur n’a qu’à monter de bons dossiers disciplinaires s’il veut congédier des profs…

La phrase dérogatoire « Les parents de cette école s’attendent à un service comme dans une école privée » m’avait aussi été dite par un officier syndical lors d’une conversation off the record.

Finalement, après la publication de ma chronique, il y a eu évolution miraculeuse dans ce dossier !

L’enseignante problématique n’est pas revenue dans cette école de NDG pour la rentrée 2015-16.

Problème réglé ?

Non…

J’ai appris plus tard qu’elle avait été déplacée dans un autre quartier de Montréal, un quartier dit défavorisé, au sein de la même CSDM.

Mais le punch n’est même pas dans ce déplacement de problème en douce, comme l’Église le faisait avec ses prêtres abuseurs de jadis-naguère, non, le punch c’est que l’enseignante a fini par devenir déléguée syndicale dans sa nouvelle école.

I rest my case, Votre Honneur : les syndicats n’ont aucune gêne à défendre les pommes pourries, même qu’ils en font parfois des officières syndicales.

1. Lisez l’article du Devoir « La FAE ne veut pas que les sanctions disciplinaires suivent les profs » 2. Lisez l’article du Devoir « Les lourdes conséquences de garder confidentiel le dossier disciplinaire d’un enseignant » 3. Lisez la chronique « À la défense des plus pourris » 4. Lisez l’article « Si l’école était importante (5) »