Il n’y aura pas de gros cadeaux sous le sapin, cette année, dans la famille d’Hélène*. Les temps sont durs, elle ne le cache pas. Son conjoint accumule tant qu’il peut les heures supplémentaires, mais ça ne suffit pas à combler le salaire dont elle se prive depuis trois ans. Depuis son retour aux études, en enseignement. Elle est allée piqueter avec les profs, ces dernières semaines. Mais il faut bien le dire : la grève, elle n’en peut plus.

Je ne parle pas de la grève de la FAE. Celle-là, Hélène l’appuie à 100 %. Je parle d’une autre grève, qui dure aussi depuis quatre semaines, mais dont vous n’avez probablement jamais entendu parler. Une grève de solidarité à la FAE et au Front commun qui a été, en pratique, imposée aux étudiants de la faculté des sciences de l’éducation de l’UQAM par une poignée de membres de leur association étudiante.

Ce n’est pas une première. Il y a déjà eu une grève de cinq jours au début du trimestre pour la Semaine de la rage climatique. Une grève en novembre, pour la Journée internationale des stagiaires. L’année dernière, une grève pour de meilleures conditions de stage s’est étirée pendant cinq semaines…

Chaque fois, des étudiants comme Hélène craignent de voir leur trimestre tomber à l’eau. « Je n’en peux plus de vivre ce stress-là session après session. »

Ses amis l’ont gentiment grondée : « Tu devais bien le savoir, à l’UQAM, tout est prétexte à la grève, c’est l’université du peuple… » Mais non, Hélène ne le savait pas. Du moins, elle n’aurait jamais imaginé que ce serait à ce point-là.

Au point de sincèrement se demander : « Il vaut quoi, notre diplôme à l’UQAM, au bout de quatre ans d’étude ? » Pour le trimestre d’automne à lui seul, cinq semaines de grève, ça veut dire un gros tiers des cours amputé…

Je le répète, Hélène appuie à 100 % la FAE et le Front commun. Elle s’est longtemps battue pour que l’un de ses enfants, aux besoins particuliers, bénéficie de services adéquats au primaire. Mieux que quiconque, elle comprend l’importance d’investir davantage dans l’éducation.

« Mais je pense qu’en tant qu’étudiants, il aurait été possible d’appuyer les enseignants sans brimer nos apprentissages. Surtout que l’UQAM est la seule université embarquée là-dedans. »

Cette grève étudiante n’a aucune visibilité médiatique, aucun impact, si ce n’est celui de priver les futurs enseignants d’une partie de leur formation. « Il me manque de la matière importante », regrette Sarah*, une mère de famille monoparentale inscrite à deux cours au trimestre d’automne : Didactique de l’arithmétique et Didactique de la lecture au primaire. « Ce sont des cours de trois heures, très chargés. Ces notions sont importantes pour les élèves. » Elle a payé pour ces cours, mais, depuis le 21 novembre, elle n’y a pas eu droit.

Et, même si la direction a prévu un minimum de rattrapage – la session d’automne a été prolongée jusqu’au 14 janvier pour ça –, ses futurs élèves risquent d’en payer le prix.

Les étudiants de l’UQAM ont parfaitement le droit de faire la grève – pour appuyer les grévistes du secteur public, pour le climat ou pour l’interdiction d’interdire, si ça leur chante. Ce n’est pas ça, le problème.

Le problème, c’est le taux de représentativité dérisoire de ceux qui adoptent ces mandats de grève. Lors de l’assemblée générale du 20 novembre, les membres de l’Association des étudiantes et étudiants de la faculté des sciences de l’éducation (ADEESE) ont voté à 62 % pour la grève en appui au Front commun. Un mandat fort, à première vue. Sauf que ce 62 % ne représentait que 84 étudiants sur les 4657 inscrits à la faculté !

Autrement dit, seulement 1,8 % des étudiants ont voté pour cette grève qui affecte l’ensemble de leurs collègues…

Le même scénario se répète dans d’autres facultés, généralement en sciences humaines et sociales. Et ça dure depuis des années, sans que le problème soit résolu, jamais.

À l’UQAM, la démocratie étudiante est malade. Chroniquement malade.

Le vendredi 8 décembre, à 14 h 30, Sarah s’est rendue à l’assemblée générale de l’ADEESE avec son fils de 7 ans dans l’espoir de voter contre la reconduction de la grève jusqu’au 15 décembre. Elle est partie au bout de trois heures ; son garçon n’en pouvait plus.

Les palabres se sont poursuivis jusqu’à… 19 h 47. Comme elle, beaucoup d’étudiants ont fini par repartir avant la levée de l’assemblée. La salle était déjà beaucoup plus clairsemée quand des membres militants ont proposé de prolonger la grève d’une semaine supplémentaire, jusqu’au 22 décembre. La proposition a été adoptée.

La tactique, bien rodée, consiste à faire durer les assemblées jusqu’à ce que les étudiants opposés à la grève se découragent et quittent la salle.

Myriam Simard, étudiante en droit international, en a été témoin lors d’une récente assemblée de l’Association facultaire étudiante de science politique et droit (AFESPED). Les militants interrompaient régulièrement les étudiants qui se présentaient au micro, relate-t-elle, leur disant de « ne pas assumer le genre des autres » ou de « féminiser leurs propos ». L’assemblée a duré cinq heures…

Ana Comlosanu, étudiante en enseignement et en adaptation scolaire, a assisté à une seule assemblée, en première année. « Je me suis juré que plus jamais. » Cette semaine, elle a écrit au recteur de l’UQAM pour se plaindre du manque de représentativité de l’association à laquelle elle adhère par défaut, et à laquelle elle paie des cotisations annuelles à travers les droits de scolarité.

La solution qu’elle propose est simple : le vote électronique. « Je ne comprends pas qu’en 2023, bientôt 2024, ça ne puisse pas encore se faire. » En fait, ça peut très bien se faire. La direction de l’UQAM souligne d’ailleurs qu’elle « possède cet outil technologique qu’elle peut mettre à la disposition des associations ».

Mais les associations étudiantes résistent, se doutant probablement que les résultats seraient bien différents si un plus grand nombre de membres prenaient part aux votes. « Pour favoriser le dialogue et la démocratie directe, il est important que nous soyons réuni. e. s physiquement pour échanger nos idées », se justifiait l’ADEESE auprès de ses membres, lors de la grève de l’automne 2022.

Lueur d’espoir : les choses bougent, lentement. L’ADEESE (qui a jugé « non nécessaire » de m’accorder une interview) promet maintenant de créer un comité chargé de réfléchir aux enjeux d’accessibilité aux assemblées générales. Ce comité sera composé de six personnes « majoritairement non-homme cis ». La vie étudiante à l’UQAM souffre peut-être d’un déficit démocratique, mais on ne peut pas lui reprocher de ne pas être scrupuleusement inclusive.

* Hélène et Sarah sont des noms d’emprunt. Les deux étudiantes m’ont demandé de taire leur identité par crainte de représailles.