C’était censé être « historique ».

En 2021, la Fédération autonome de l’enseignement (FAE) se réjouissait de son entente avec Québec. Les « avancées majeures » pour le salaire et pour les conditions de travail marqueraient « l’histoire de la profession ».

Aujourd’hui, c’est vu comme une insulte, assez pour que les syndiquées déclenchent une grève générale illimitée. Elles sont réellement en colère, et cela se comprend. Le taux alarmant de jeunes profs qui quittent le métier – environ 20 % – démontre combien leurs conditions de travail sont difficiles.

La pression est immense sur Québec, qui ne pourra pas tolérer que cette grève s’étire jusqu’à Noël. La pression augmentera aussi vite pour les profs, qui n’ont pas de fonds de grève.

La pression croît également pour le Front commun intersyndical (FTQ, CSN, CSQ, APTS), qui ne fait pas encore de grève générale illimitée. Il ne voudra pas paraître moins pugnace que la FAE.

La FAE est incitée à tenir la ligne dure parce que la population la soutient – pour l’instant – et parce que le gouvernement caquiste est impopulaire.

Québec pourrait essayer de s’entendre d’abord avec la FAE afin de mettre la pression ensuite sur le Front commun. Mais l’offre devra être substantielle. Car ce syndicat ne voudra pas perdre la face en concluant une entente qui sera rejetée par ses membres.

Mon collègue Francis Vailles a décortiqué les offres salariales et en a fait un excellent résumé.

Lisez la chronique de Francis Vailles

L’offre sur la table pour les enseignants au dernier échelon (97 397 $ en 2024) n’est pas insultante, et Québec n’exclut pas de la bonifier.

Mais il faut du temps pour atteindre le sommet. Au premier échelon, le salaire demeure modeste (53 541 $ en ce moment ; ce volet de l’offre n’a pas été dévoilé).

Et surtout, trop d’enseignants mettent du temps à obtenir leur permanence et à accéder à cette première marche. Beaucoup quittent la profession avant d’y accéder.

En mai dernier, la vérificatrice générale relevait que la majorité des enseignants sondés qui décrochent le font à cause de la charge de travail trop lourde.

Par exemple, le nombre d’élèves en difficulté et requérant un plan d’intervention a bondi, de 13,6 % en 2002 à 23 % en 2020.

C’est toutefois plus facile à dénoncer qu’à corriger. Car plusieurs solutions entraînent de nouveaux problèmes.

On pourrait réduire le nombre d’élèves par classe. Cela a d’ailleurs été fait légèrement depuis 2000 au primaire et en 1re, 2e et 3secondaire (baisse de un à quatre élèves par classe selon le niveau). Les réduire davantage aggraverait la pénurie. Même chose si on augmente à nouveau le nombre de classes spécialisées, comme l’a souligné la vérificatrice générale.

On pourrait embaucher plus de professionnels comme des orthopédagogues. Or, pour eux aussi, des postes affichés restent vacants.

Les syndicats ont d’autres idées. Ils souhaitent revoir la pondération accordée aux élèves en difficulté. Et ce, avant de former les classes, afin de rééquilibrer la composition des groupes.

Le ministre de l’Éducation, Bernard Drainville, a eu une idée ingénieuse. L’hiver dernier, il a proposé d’ajouter des « aides à la classe » au primaire. Il s’agit essentiellement d’éducatrices en service de garde. Elles travaillent en ce moment à temps partiel. Sur une base volontaire, elles pourraient désormais compléter leur horaire en assistant les profs pour préparer le local, faire la transition vers la récréation ou calmer un élève en crise – d’ailleurs, elles les connaissent souvent déjà.

Comme le soulignent des chercheurs en pédagogie, ces personnes ne pourront pas remplacer les psychoéducatrices et les autres spécialistes. Mais puisque ces experts manquent eux aussi, on ne peut pas facilement en embaucher. Et dans l’attente, l’idée de M. Drainville fera indéniablement du bien. La preuve, selon un sondage mené par la Fédération des syndicats de l’enseignement, plus de 90 % de ses membres ayant participé au projet pilote se disaient satisfaits.

Cette mesure coûterait jusqu’à 280 millions de dollars par année, soit plus du quart de l’augmentation annuelle du budget du Ministère, ce qui n’est pas rien.

Sur le plan stratégique, elle a toutefois le défaut d’avoir été présentée il y a plusieurs mois. Les syndicats considèrent cela comme un gain et non comme une proposition.

L’affectation des tâches est un autre enjeu délicat.

Québec réclame plus de souplesse et cela ne vient pas de nulle part.

Dans le passé, les commissions scolaires hésitaient à accorder une permanence aux jeunes profs. Elles disaient ne pas vouloir se retrouver avec un surplus de personnel. Une crainte absurde, quand on sait que le Conseil supérieur de l’éducation mettait en garde contre la pénurie il y a 20 ans déjà.

On devine que des gestionnaires cherchaient à économiser en ne payant pas pour les avantages sociaux, comme le régime de retraite, auxquels les employés permanents auraient eu droit.

Chose certaine, le mode de gestion est rigide. En 2014, le Comité d’experts sur les commissions scolaires déplorait que les conventions collectives comprennent de plus en plus de « dispositions qui contraignent l’organisation scolaire et alourdissent la gestion ». Ça ne s’est pas amélioré.

Un exemple : les classes qui n’ont pas encore d’enseignant attribué à la rentrée.

Les causes sont multiples. Des enseignants expérimentés ne détestent pas attendre à la dernière minute pour voir si une classe plus intéressante s’est libérée, et la réclamer grâce à leur ancienneté quand c’est possible. Des profs contractuels s’en satisfont aussi – si leur affectation n’est pas confirmée en juin, ils pourront réclamer le chômage.

Des jeunes déplorent toutefois cette incertitude. Ils aimeraient obtenir une permanence plus rapidement, et si possible une classe qui n’est pas trop difficile.

Hélas, cela n’arrive pas assez souvent. Je cite à nouveau la vérificatrice générale : « Une direction d’école nous a même confié que les élèves d’un groupe plus difficile pourraient réaliser la majeure partie de leur primaire avec des enseignants inexpérimentés ou non légalement qualifiés. »

Cette gestion à la dernière minute, les directions d’école elles-mêmes en pâtissent. Elles perdent de plus en plus de temps à chercher des suppléants et à gérer la reddition de comptes du Ministère.

Les profs aussi souffrent de la paperasse. Ils doivent intégrer dans leur horaire déjà rempli du travail administratif. Les syndicats ont à ce sujet une demande fort raisonnable : pouvoir faire ce travail hors du bureau. Québec refuse, même si ça ne coûterait rien. Peut-être est-ce une concession déjà prévue mais gardée pour la dernière ligne droite.

Espérons que cette négociation accélère et qu’elle débloque les autres tables avec le Front commun. La génération sur les bancs d’école a déjà souffert de la pandémie, elle n’a pas besoin de subir ce conflit en plus.

PRÉCISION :
La version en ligne de ce texte a été modifiée pour préciser que l’expression « paye offerte » pour le 97 397 $ réfère à l’offre actuelle durant les négociations, et non à ce qui est prévu dans l’actuelle convention collective.