« Nos enfants et nos petits-enfants nous jugeront sur les décisions que nous prendrons. »

Voilà la prédiction qu’a faite la ministre Mélanie Joly lors du discours qu’elle a prononcé sur la politique étrangère canadienne au Conseil des relations internationales de Montréal (CORIM), jeudi.

Elle a raison, mais je mettrais la phrase au présent plutôt qu’au futur et je la relierais au conflit entre Israël et le Hamas au Proche-Orient. Les positions que défendent ces jours-ci la ministre Mélanie Joly ainsi que le gouvernement qu’elle représente auront un impact à long terme sur la cohésion sociale dans ce grand Canada pluriel, ainsi que sur l’image du pays à travers le monde.

Pour le moment, Mélanie Joly marche sur des œufs. Si son gouvernement a été prompt à dénoncer – avec raison – l’attaque terroriste du Hamas en Israël qui a fait 1400 morts le 7 octobre, la ministre tient un discours tiède sur la situation actuelle dans la bande de Gaza, où le ministère de la Santé rapporte que 8805 Palestiniens ont été tués, en majorité des femmes et des enfants, au cours des trois dernières semaines.

En entrevue éditoriale jeudi après-midi, Mme Joly a utilisé sensiblement les mêmes tournures de phrases que pendant son allocution au CORIM.

PHOTO MARCO CAMPANOZZI, LA PRESSE

La ministre des Affaires étrangères du Canada, Mélanie Joly, dans les locaux de La Presse, jeudi

Ce qui se passe à Gaza est catastrophique et je suis particulièrement inquiète de l’impact de cette guerre sur les femmes et les enfants. Le droit international doit être respecté en tout temps et la manière dont Israël mène la guerre doit être conforme à ce droit international. La réponse d’Israël ne peut pas être la souffrance de tous les civils palestiniens et c’est une préoccupation qu’on a.

Mélanie Joly, ministre des Affaires étrangères du Canada

Difficile d’être contre la vertu, mais tous ces « doit ceci » et « ne peut pas cela » semblent quelque peu abstraits et hypothétiques alors que des milliers de bombes israéliennes sont déjà tombées sur l’enclave où 2,2 millions de Palestiniens cherchent, en vain, à se mettre à l’abri et peinent à subvenir à leurs besoins les plus élémentaires : manger, boire, dormir, se garder au chaud et se soigner.

Mardi, le camp de réfugiés de Jabaliya – le plus grand de la bande de Gaza – a été la cible de frappes israéliennes. En réaction, le bureau du haut-commissaire aux droits de l’homme des Nations unies a écrit sur le réseau social X avoir « de sérieuses préoccupations » après « des attaques disproportionnées qui pourraient s’apparenter à des crimes de guerre ». Le même secteur a été bombardé à nouveau mercredi et jeudi.

Dans les circonstances, alors que le Canada affirme que sa priorité est la protection des civils, on aimerait entendre des énoncés un peu plus musclés de la part de la ministre.

L’idée n’est pas de nier le droit d’Israël de se défendre ni de minimiser la responsabilité du Hamas dans ce conflit meurtrier, mais de montrer que nos positions vont de concert avec nos principes en toutes circonstances.

Bien sûr, une bonne partie du travail diplomatique ne se fait pas sur la place publique. Mélanie Joly s’est déjà rendue au Moyen-Orient deux fois depuis le début de la crise et parle régulièrement avec ses homologues israélien, qatari, jordanien, saoudien, pour ne nommer que ceux-là. Elle multiplie, de son propre aveu, les « conversations difficiles ».

Ces jours-ci, la chef de la diplomatie canadienne plaide en faveur d’une « trêve humanitaire » dans les combats qui permettrait, selon ses propres mots, de « sortir les ressortissants étrangers de Gaza, d’évacuer les otages [du Hamas] et de faire entrer l’aide humanitaire ».

Ces objectifs sont louables et nécessitent du doigté pour les atteindre, mais ils paraissent incomplets dans les circonstances.

Le départ des ressortissants étrangers de Gaza – dont 440 Canadiens – doit être accompagné de garanties de sécurité pour les deux millions de civils qui resteront derrière.

Si les bombes, les obus et les roquettes recommencent à pleuvoir immédiatement, cette trêve n’aura fait que permettre aux gouvernements étrangers de venir à la rescousse des leurs. Sans plus.

Le sentiment d’injustice, de deux poids, deux mesures, que ressent une partie de la planète, perdurera.

En 2003, alors que George W. Bush se préparait à lancer une offensive contre le régime de Saddam Hussein en Irak, Jean Chrétien lui a annoncé que le Canada n’en ferait pas partie si les Nations unies n’autorisaient pas l’intervention dans le pays du Moyen-Orient. Malgré l’importance de la relation avec les États-Unis. Malgré les conséquences que pouvait subir le pays. Malgré l’isolement temporaire.

Vingt ans plus tard, sa décision courageuse est saluée, étudiée, citée.

Au Proche-Orient, la situation est fort différente, mais à nouveau, les valeurs que le Canada promeut sont en jeu. La ministre des Affaires étrangères affirme vouloir défendre l’ordre international basé sur les règles qui a permis au pays de prospérer. Parmi ces règles, on trouve le droit de la guerre et le droit humanitaire. Elle a devant elle une excellente occasion de mettre ces principes en pratique, en ne ménageant ni nos ennemis ni nos alliés quand ils dépassent les bornes.