Rappel des faits. Le 1er juillet, un mini-déluge s’est abattu sur le parc national du Fjord-du-Saguenay. Avec Pascale Racine, son amie de cœur, Jean-Philippe Caty était en randonnée quand le ciel s’est déversé.

Trempés, ils ont rebroussé chemin jusqu’à leur voiture et se sont mis en route vers le camping. Mais, signe de la violence de la tempête, un arbre arraché bloquait la route 170.

Jean-Philippe et Pascale sont sortis de l’auto. De l’autre côté de l’arbre, des gens, dont un employé de la SEPAQ avec une scie mécanique.

Le couple est retourné à la voiture. Une autre voiture s’est garée derrière lui, ses occupants sont allés voir l’arbre : ils ont commencé à tenter de le déplacer.

PHOTO EDOUARD PLANTE-FRÉCHETTE, ARCHIVES LA PRESSE

Jean-Philippe Caty

Jean-Philippe et Pascale ont décidé de les aider. Dès qu’ils ont commencé à marcher vers le groupe qui s’affairait sur l’arbre, il y a eu un bruit et la montagne a cédé : un glissement de terrain a emporté Jean-Philippe, Pascale et Pascal Héon, le conducteur de l’autre voiture.

Jean-Philippe a été projeté dans la rivière, les fémurs fracturés comme des bâtons de popsicle par la force de l’impact. Il a survécu en s’accrochant à des branches pendant que le niveau de l’eau montait.

Pascale a été tuée.

Pascal Héon a aussi été tué, sous les yeux de ses deux enfants et de sa filleule.

Il y a quelques semaines, je vous ai raconté l’histoire de survie de Jean-Philippe Caty ainsi que celle de sa lente réadaptation1.

Son chemin de croix n’est pas terminé, même s’il est de retour chez lui depuis quelques jours.

Il est aussi désormais engagé, avec les familles de Mme Racine et de M. Héon, dans un combat qui s’annonce long et ardu… 

Contre la Société de l’assurance automobile du Québec (SAAQ).

Le drame de Rivière-Éternité est-il un accident de la route, au sens de la Loi sur l’assurance automobile ?

Au fil des années et des décisions des tribunaux, la notion d’« accident » et d’« accidenté » couverte par la SAAQ s’est élargie.

Exemple : un Saguenéen s’est blessé en 2014 en déneigeant son véhicule, après une chute. Au terme d’un long processus judiciaire de quatre ans, Laval Blackburn a été indemnisé sur ordre de la Cour d’appel du Québec2, qui a déterminé que cet accident tombait sous la coupe de la Loi sur l’assurance automobile.

Ce qui me ramène à Jean-Philippe Caty, à la famille de Pascal Héon et à celle de Pascale Racine…

Est-ce que Jean-Philippe Caty, Pascal Héon et Pascale Racine ont été victimes d’un accident de voiture admissible à des indemnisations de la part de la SAAQ ?

Après analyse du dossier, la SAAQ a déterminé que non.

L’avocat Marc Bellemare, de Québec, qui a consacré sa carrière à se battre pour les accidentés de la route, a pris le dossier de Jean-Philippe Caty et des proches de M. Héon et de Mme Racine. La décision de la SAAQ sera contestée.

MBellemare est convaincu que ses clients ont une cause légitime.

« C’est lié à l’usage du véhicule, dit-il. À mon avis, nous sommes dans les limites. »

L’avocat n’a pas souvenir d’une cause exactement comme celle des victimes de Rivière-Éternité. Mais MBellemare peut citer des causes semblables qui ont fait jurisprudence.

Par exemple : Rossy c. Westmount. Un homme a été tué par un arbre tombé sur son véhicule. Ses proches ont poursuivi la Ville de Westmount jusqu’en Cour suprême. Et le plus haut tribunal du pays a tranché3 dans une décision unanime : M. Rossy doit être considéré comme un accidenté de la route et c’est la SAAQ qui a dû indemniser sa famille, pas la Ville de Westmount.

Je cite une partie de la décision de 2012 : « Il n’est pas nécessaire que le véhicule ait été une cause active de l’accident. La simple utilisation ou conduite du véhicule en tant que véhicule suffiront pour que la Loi s’applique. »

De plus, la Cour suprême a rappelé que la Loi sur l’assurance automobile étant une loi « remédiatrice », elle doit être interprétée de façon « large et libérale ».

On ne peut bien sûr jamais présumer de l’aboutissement d’un processus judiciaire. Mais la cause que porte l’avocat Marc Bellemare au nom des victimes de ce drame est intéressante.

Si les victimes du glissement de terrain n’avaient pas été en voiture, jamais elles ne se seraient trouvées sur la route 170. Si un arbre n’était pas tombé sur cette route, jamais elles ne seraient sorties de leur véhicule. Si Jean-Philippe Caty, Pascale Racine et Pascal Héon n’étaient pas sortis de leur véhicule, ils n’auraient pas été emportés par le glissement de terrain.

Et les enfants de M. Héon, de même que sa filleule, n’auraient pas été témoins de son horrible fin.

MBellemare devra prouver que la SAAQ devrait indemniser les victimes même si le véhicule n’a pas été une cause active de l’accident, si je reprends les mots de la Cour suprême.

J’ai dit plus haut qu’il s’agit d’une cause « intéressante ». Je suis bien sûr un observateur désintéressé. C’est une cause « intéressante » si vous n’avez pas souffert de la tragédie de Rivière-Éternité.

Pour tous ceux qui ont souffert de cet évènement, justement, comme Jean-Philippe Caty qui est physiquement et psychologiquement traumatisé, qui a perdu des revenus et qui doit engager toutes sortes de frais liés à sa réadaptation, la cause n’est pas « intéressante ». Elle est stressante.

Pour les enfants et la filleule de M. Héon qui ont subi des traumatismes psychologiques durables, ce n’est pas une « cause », ni pour les enfants de Mme Racine qui ont perdu leur mère en pleine adolescence. C’est un prolongement du calvaire.

Pour tous ces gens, ce qui se profile à l’horizon, ce sont de longues années de bras de fer avec la SAAQ pendant qu’ils paient pour panser des blessures apparentes (physiques) et moins apparentes (psychologiques).

Je ne sais pas si la SAAQ a raison d’avoir refusé d’indemniser les victimes directes et indirectes de la tragédie de Rivière-Éternité. À la fin, un juge tranchera. Je sais seulement que la souffrance ne prend pas congé une fois qu’un fait divers a disparu des manchettes.

1. Lisez la chronique « “Pourquoi j’ai survécu et pas eux autres ?” »  2. Lisez l’article « Il se blesse en déneigeant son véhicule : la SAAQ devra payer » 3. Consultez le jugement de la Cour suprême Westmount c. Rossy