Anne-France Goldwater a raison : on ne devrait pas abattre les cerfs de Virginie à Longueuil avec des arbalètes.

C’est une meute de loups que ça prendrait. Pas de maigres coyotes urbains qui croquent les chats. Non, non, des loups, des vrais, des gros.

Au lieu de ce qu’elle appelle un acte de « barbarie », et qui vient (enfin !) d’être autorisé par la cour, on aurait un vrai projet écologique.

Ils ont essayé ça au parc de Yellowstone, en 1995. L’introduction d’une douzaine de loups a revigoré tout l’écosystème favorablement : les herbivores ont laissé pousser les arbres, toutes sortes d’espèces ont pu proliférer, même les cours d’eau en ont bénéficié…

Oui, je vous entends, ce n’est pas avec des plans comme ça qu’on se fait élire conseiller municipal de son district.

N’empêche : quand j’entends les animalistes s’émouvoir du triste sort des chevreuils banlieusards, je trouve qu’ils font du spécisme entre bestioles.

Ils pensent aux animaux cute aux grands yeux humides, mais se foutent de la biodiversité. On parle trop d’environnement en termes techniques, catastrophistes, et pas assez de nature, au sens profond du terme.

On ferait plus pour la planète en montrant la beauté et l’importance d’une plante et d’un oiseau, et tout le cycle de la vie, ce qui mène à la protection de l’environnement. On insiste surtout sur la dégradation de l’environnement, ce qui mène à l’écoanxiété, et pas forcément à l’action.

Ce débat ridicule sur l’abattage de chevreuils trop nombreux dans une ville est une sorte d’illustration de la déconnexion du discours animalier d’avec la notion de « nature ».

Devant la Cour supérieure, il n’a été question d’écologie qu’en passant, même si l’on débat furieusement de cette affaire depuis quatre – oui, QUATRE – ans. Il a été question de sécurité routière, de tiques, d’éthique animale, du chevreuil comme bien meuble « sans maître », d’animal doué de sensibilité et de cruauté animale, etc.

La vie « naturelle » d’un chevreuil est pourtant des plus cruelles, goldwatèrement parlant. En milieu sauvage, ils meurent en s’enfonçant dans une neige trop épaisse. Crèvent de faim dans des hivers trop froids. Meurent égorgés à un âge tendre sous les crocs d’un loup, d’un coyote ou même d’un lynx. Tout ça dans le silence des forêts.

Finalement, heureusement, le juge Bernard Jolin vient de permettre l’abattage par arbalète d’une centaine de chevreuils. Mais on peut compter sur les amis des bêtes pour interjeter appel, même si cette affaire a trop duré et occupé trop de juges trop longtemps.

Les amis des chevreuils – SPCA, militants animalistes, MGoldwater – reprochent à la Ville de Longueuil de faire du « spécisme » aux dépens des cerfs de Virginie. C’est-à-dire d’affirmer une supériorité morale de l’être humain en utilisant la violence exterminatrice.

Ce n’est pas faux, remarquez.

Mais si les êtres vivants sont égaux, qui va défendre le droit des insectes, des invertébrés, des amphibiens, des oiseaux, que le chevreuil écrase ou empêche de vivre en détruisant leur habitat ?

S’il n’y a pas de hiérarchie morale entre le résidant de Longueuil et un bébé chevreuil, il ne devrait pas non plus y en avoir entre un cervidé et une paruline bleue, non ?

Car en plus de propager des tiques, les cerfs en surpopulation détruisent l’écosystème. Ils empêchent les fleurs et toutes les plantes de pousser dès le printemps. Ils bouffent les jeunes pousses d’arbres. Ils tapent comme un rouleau compresseur l’humus de la forêt. Toute cette vie minuscule qui ne s’instagramme pas. Mais qui, dans la chaîne de la nature, est vitale.

La moindre pousse d’arbre est bouffée. Ce qui empêche certaines espèces d’oiseaux de nicher – car chaque espèce a ses préférences de hauteur, de type d’arbre, etc.

Ces chevreuils gentrifient la forêt, de Longueuil au mont Saint-Bruno.

Un ami biologiste a comparé en détail le parc d’Oka, où il y a un nombre limité de chevreuils, à celui du mont Saint-Bruno, où ils pullulent. Le premier est beaucoup plus riche en végétaux, en oiseaux, etc. Le second est en train de se dessécher écologiquement.

Mieux encore : le saccage végétal des cerfs, en plus de détruire les plantes indigènes et d’empêcher la régénération de la forêt, favorise la prolifération des plantes exotiques envahissantes. Les municipalités dépensent déjà beaucoup pour éradiquer l’épine-vinette, le nerprun, etc.

MGoldwater et les animalistes proposent de capturer les cerfs et, avec l’aide de vétérinaires, les « guérir » de leurs tiques. C’est charmant, j’avoue. Mais ne risquent-ils pas, en se promenant, d’attraper de nouvelles tiques ?

MGoldwater propose des soins vétérinaires permanents pour maintenir les cerfs à Longueuil. L’assurance maladie pour chevreuils, pourquoi pas ?

Je trouve que ça ne va pas assez loin.

Un programme de soins dentaires ne leur ferait pas tort, car à ce qu’on dit, ils ont une haleine de cheval.

On pourrait aussi en stériliser un certain nombre, suggère l’avocate, ou les relâcher « dans des refuges ». Car, voyez-vous, ces animaux sont « semi-domestiques » et ne survivraient pas dans une vraie forêt sauvage.

Le coût de tout cela serait bien sûr exorbitant.

Ce serait surtout contre nature.