Longtemps, les policiers ont dû cacher leur homosexualité. Cette époque est derrière nous. Une véritable révolution a eu lieu ces dernières années. Alors que la semaine de la Fierté bat son plein à Montréal, certains d’entre eux ont accepté de parler en toute liberté à notre chroniqueur.

Gabriel Bélanger, agent de la Sûreté du Québec (SQ), se souviendra toute sa vie de ce professeur de cégep lors de sa formation en techniques policières. « Il disait à tout le monde que les homosexuels devaient être enfermés dans des prisons ou des hôpitaux, car c’était des malades mentaux. Je trouvais ça très difficile à entendre. Mes camarades de classe riaient nerveusement. Il y avait un gros malaise. »

Ébranlé, le jeune élève se demande s’il doit poursuivre ses études. Il décide de s’accrocher. Il rédige un texte anonyme intitulé Lettre ouverte à un professeur fermé qui est publié dans le journal étudiant. La chose fait boule de neige. « En guise de soutien, des camarades ont imprimé des centaines de copies du texte et sont allés les glisser sous la porte du professeur. Disons que le message a passé. »

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Gabriel Bélanger, agent de la Sûreté du Québec

Cet évènement ne s’est pas déroulé dans les années 1970, mais bien en 2003. Cela démontre à quel point les choses ont rapidement et grandement évolué en ce qui a trait à la place des gais, des lesbiennes et des trans au sein des corps policiers. Cette révolution, je l’ai profondément sentie dans les rencontres que j’ai faites ces derniers jours avec des policiers du Service de police de la Ville de Montréal (SPVM) et de la SQ.

Maxime Falardeau est entré au SPVM en 2010. Au départ, il ne parlait pas de son homosexualité à ses collègues. « J’avais peur d’être ostracisé ou de devenir le gai de service. Je voulais d’abord être vu comme un individu, comme un policier. Je me mettais beaucoup de pression. »

L’homosexualité de Maxime Falardeau était connue des membres de sa famille depuis longtemps. Au moment où il est entré au SPVM, il était en couple avec un homme. Lorsqu’il racontait ses week-ends aux collègues, ce conjoint devenait une femme. « Si tu dis que tu es célibataire aux autres policiers, tu es foutu. Ils veulent t’organiser des blind dates. »

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Les agents Maxime Falardeau et Giovanna Di Stefano, du SPVM

Cet aspect de sa vie, il en parlait à quelques rares collègues. Avant de faire partie de l’Équipe de soutien en urgence psychosociale (ESUP), Maxime Falardeau a été agent au poste 22, qui englobait le secteur du Village. « Mon partenaire était également gai. À la blague, on s’appelait le “22-Gai”. »

Son arrivée au sein de l’équipe de l’ESUP lui a donné l’envie de s’ouvrir davantage.

On vit des choses qui sont parfois lourdes dans cette unité, je ne voulais pas porter en plus le poids d’une homosexualité cachée.

Maxime Falardeau, de l’Équipe de soutien en urgence psychosociale du SPVM

Il en a alors parlé plus librement. Ses collègues se sont empressés de lui dire qu’il avait gardé cela pour lui inutilement.

Cette réaction, Giovanna Di Stefano l’a aussi connue. « Quand je suis arrivée au SPVM, en 1997, je disais à tout le monde que j’avais un chum. Comme j’avais déjà fréquenté des hommes, j’utilisais mon dernier chum comme exemple. »

À cette époque, Giovanna Di Stefano sortait dans des bars gais du Village où se rassemblaient des femmes. « Je voyais plein de policières gaies, on se saluait. Mais une fois au travail, en uniforme, on ne parlait pas de ça. »

À 30 ans, en 2001, Giovanna Di Stefano est tombée amoureuse d’une collègue. Elle a pris la décision de faire son coming out auprès de sa famille, de son cercle d’amis élargi et de ses collègues. Là encore, la nouvelle n’a fait aucune vague. « Je m’étais cachée pour rien », dit-elle en riant.

Un changement de garde

Au moment où Giovanna Di Stefano est arrivée au SPVM, elle entendait parfois des commentaires homophobes de la bouche de certains collègues. « Ils pouvaient dire : “Elle, c’est une estie de gouine !” » Mais au tournant des années 2000, un changement de garde s’est opéré. « Plusieurs dinosaures ont pris leur retraite », ajoute-t-elle.

Des commentaires homophobes, Gabriel Bélanger en a aussi entendu.

Ce que j’observe en 2023, c’est que les collègues qui font ce genre de commentaires sont montrés du doigt. C’est eux qui sont ostracisés.

Gabriel Bélanger, de la Sûreté du Québec

La SQ a été le premier corps de police à mettre sur pied à l’interne un comité LGBTQ+. Depuis cinq ans, ce groupe, qui possède des antennes ailleurs au Québec, accompagne l’ensemble du personnel et travaille à combattre les préjugés.

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Geneviève Daoust, conseillère en communication à la Sûreté du Québec

« La première chose que les nouvelles recrues font à leur arrivée, c’est de rencontrer la haute direction, explique Geneviève Daoust, une conseillère en communication à la SQ qui fait aussi partie de ce comité. La deuxième chose, c’est une formation avec notre comité. Ça démontre l’importance qu’on accorde à ça. »

Lors de mon passage à la SQ, on préparait pour la cinquième année consécutive la levée du drapeau arc-en-ciel devant le siège social, rue Parthenais à Montréal. « On considère que le + dans LGBTQ+ est là pour les alliés, dit Geneviève Daoust. Il y a des gestionnaires hétérosexuels qui prennent position. Leur présence fait toute la différence. »

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Maxime Falardeau et Giovanna Di Stefano ont participé à la création du comité LGBTQ+ du SPVM

Le SPVM a imité le modèle de la SQ en créant il y a deux ans un comité LGBTQ+. Maxime Falardeau et Giovanna Di Stefano font partie des cofondateurs. Leur rôle est de lutter contre la discrimination ou l’intimidation en organisant des formations et des ateliers.

Des policiers trans

Sur les 4000 policiers du SPVM, combien font partie de la communauté LGBTQ+ ? « Je dirais autant que dans la population en général », m’a dit sans hésiter Maxime Falardeau. Selon plusieurs sources, environ 13 % de la population serait constituée de personnes LGBTQ+. Cela voudrait dire que plusieurs dizaines de policiers appartiendraient à ce groupe.

Gabriel Bélanger pense la même chose. Selon lui, les 8000 employés de la SQ (dont 5000 policiers) sont un reflet de la société. « Maintenant, la décision de faire un coming out appartient à chacun. » Giovanna Di Stefano trouve que les nouveaux policiers qui amorcent leur carrière parlent plus facilement de leur identité.

Il ne faudrait pas croire qu’il est plus difficile de vivre son homosexualité ou sa transidentité en région. Je me suis entretenu avec Nicolas (prénom fictif) qui, au moment de se joindre à un corps policier situé en région, a amorcé un processus de transition pour devenir un homme.

« Quand j’ai été embauché, je n’avais pas commencé l’étape hormonale et chirurgicale, raconte-t-il. Ça a pris un certain temps avant que je sois assez à l’aise pour clarifier la situation. »

Une employée des ressources humaines lui a tendu la main. « Elle m’a proposé d’envoyer un mémo à tout le monde afin de mettre les choses au clair. C’est un petit corps de police. Les choses se sont faites facilement. J’ai changé de vestiaire et c’était réglé. »

Nicolas, qui n’est pas le seul policier trans au Québec, a reçu plein de messages positifs. « Plusieurs collègues sont venus me voir pour saluer mon courage. Au début de ma transition, des citoyens m’interpellaient au féminin. Mes collègues intervenaient pour dire que j’étais “un” policier. »

Inspirer les autres

Au milieu des années 1990, le chef du SPVM Jacques Duchesneau a contribué à faire tomber les préjugés et rapprocher la police de la communauté gaie. L’arrivée récente de Fady Dagher permet d’aller encore plus loin. « C’est quelqu’un de très ouvert qui est proche des policiers, dit Maxime Falardeau. Il fait en sorte que le SPVM rayonne. »

Les fameuses descentes policières des années 1970, 1980 et 1990 à Montréal continuent de hanter de nombreux militants gais. Sans doute que parmi les policiers qui y ont participé, il y avait des gais et des lesbiennes qui n’ont pas osé s’y opposer. « C’est ça, la différence, dit Maxime Falardeau. Aujourd’hui il y a des policiers, hétéros ou gais, qui lèveraient la main. On oserait se questionner et ne pas faire comme des soldats qui montent au front. »

J’ai demandé à ces policiers s’ils ont l’impression de faire avancer les mentalités au sein de leur corps de police. « Humblement, je pense que oui », dit Maxime Falardeau. Considère-t-il qu’il est un militant ? « Ça, je ne saurais le dire. Mais je suis assurément impliqué dans ma communauté policière et gaie. »

Gabriel Bélanger et Maxime Falardeau espèrent que leur implication va aider les jeunes gais intéressés par une carrière dans la police à faire le saut. « Il y a une belle diversité à Montréal et il faut que les policiers reflètent ça, dit Maxime Falardeau. On a besoin de gens ouverts et de bons policiers. »

« Il faut que les policiers qui sont LGBTQ+ sachent que cela n’empêche rien, dit de son côté Gabriel Bélanger. C’est possible d’être authentique et de gravir les échelons. Je me souviens d’une entrevue où l’on m’a dit que c’était important de le faire. Je vais toujours m’en souvenir. Être fier de ce que l’on est et être transparent inspire les autres. Il faut des modèles dans la vie et ça me fait plaisir d’en être un. »

P.-S. – Le SPVM et la SQ tiennent à préciser que les policiers interviewés ne sont pas des porte-parole officiels. Ils se sont exprimés librement et à titre personnel.

P.-P.-S. – Je remercie chaleureusement Carole Normandin qui m’a aidé à trouver les intervenants pour ce reportage. Carole a été autrefois (alors qu’elle était un homme) chef de police. Elle est aujourd’hui une femme épanouie.

PHOTO PHILIPPE BOIVIN, ARCHIVES LA PRESSE

Les policiers rencontrés par notre chroniqueur ont bon espoir qu’un pont se construira un jour et qu’ils pourront prendre part au défilé de Fierté Montréal en uniforme.

Les policiers gais toujours interdits au défilé

Depuis deux ans, l’équipe de Fierté Montréal refuse que les policiers prennent part au défilé en uniforme. Ce mouvement, mené par un petit groupe de gens aux idées radicales, est à mon avis une aberration totale.

Plutôt que de profiter de l’arrivée d’une nouvelle génération de policiers et de policières qui ont le courage de montrer un visage différent de la police, on préfère leur faire payer des gestes commis il y a des décennies par leurs prédécesseurs.

Le directeur général de Fierté Montréal, Simon Gamache, que j’ai rencontré en avril dernier, se trouve coincé entre l’arbre et l’écorce. D’un côté, je sens une volonté d’ouvrir la porte à ces policiers et, de l’autre, il subit la pression de ces militants.

« C’est très complexe, m’a-t-il dit. Pour certains groupes, la relation avec les policiers demeure difficile. Il faut aussi dire que pour les policiers qui voudraient participer au défilé, c’est également difficile. Je tente d’établir un dialogue de part et d’autre. »

Les policiers que j’ai rencontrés ne veulent pas jeter de l’huile sur le feu. Ils ont bon espoir qu’un pont se construira un jour. Des rencontres continuent d’avoir lieu. Maxime Falardeau fait partie des délégués.

« Je pense que c’est très politique, dit-il. Ça tend à changer […] Nous ne sommes plus dans les années 1990, nous ne sommes plus dans la répression. »

Il y a des humains en dehors des uniformes. On fait une job sociale.

L’agent Maxime Falardeau, du SPVM

Gabriel Bélanger est déçu de la tournure des évènements. « Je trouve cela dommage. On comprend qu’il y a certaines sensibilités. C’est clair que si c’était permis, j’irais marcher en uniforme. J’ai plein d’amis alliés qui m’ont dit qu’ils allaient venir avec moi. »

PHOTO MARCO CAMPANOZZI, LA PRESSE

Le mot « police » aux couleurs de l’arc-en-ciel est bien en évidence sur la veste de Gabriel Bélanger.

Je précise que Gabriel Bélanger dispose d’un élément qui ne manquerait pas de faire sensation. Sa veste de protection arbore le mot « police » aux couleurs de l’arc-en-ciel.

En attendant une plus grande ouverture d’esprit de la part de Fierté Montréal, des policiers du SPVM et de la SQ seront présents aux journées communautaires des 11 et 12 août rue Sainte-Catherine.