Pour une rare fois, un plan d’action fédéral sur les langues officielles suscite autre chose que des bâillements.

Dans l’ensemble, les Franco-Canadiens sont satisfaits. Mais au Québec, la grogne monte. Le fédéral aide la minorité anglophone même si sa langue reste hégémonique sur le continent, et même si ses établissements postsecondaires sont financés bien au-delà de son poids démographique.

Ces critiques arrivent soit trop tard, soit trop tôt.

Trop tard parce qu’elles valaient pour les plans précédents. Et trop tôt parce que cette fois, ce pourrait être différent.

Le plan 2023-2028 prévoit un budget et des sommes pour divers programmes, comme les infrastructures communautaires, l’embauche de personnel pour les écoles et les garderies, et l’enseignement d’une langue minoritaire.

Deux nouveautés : de l’argent pour la science en français et une hausse de l’immigration francophone hors Québec, une belle intention qui sera toutefois difficile à atteindre, surtout avec la hausse record du nombre de nouveaux arrivants prévue par Ottawa.

Dans l’ensemble, quelle sera la somme précise dépensée, et dans quel but exactement ? Tout dépendra des négociations entre le fédéral et Québec, et elles n’ont pas commencé.

Le Bloc québécois est sceptique, car les plans précédents posaient deux problèmes.

D’abord, ils étaient plutôt opaques. Le fédéral énumérait les objectifs des différents programmes financés. Pour vérifier ensuite où allait l’argent, il fallait fouiller les comptes publics et parfois faire des demandes d’accès à l’information.

Ensuite, ils étaient déconnectés. On y traitait l’anglais au Québec de la même façon que le français au Manitoba. Sous prétexte de défendre le bilinguisme canadien, les fonds publics servaient ainsi à financer la communauté anglo-québécoise. Or, elle n’est pas malade.

Sa force d’attraction est justement ce qui fragilise la langue de Leclerc.

Des preuves parmi d’autres : le taux de bilinguisme des francophones au Québec a augmenté depuis 20 ans (de 36,9 % à 42,8 %). Le taux de bilinguisme des anglophones au pays est resté presque stable (de 7,2 % à 7,4 %). Et le pourcentage de Canadiens pour qui le français est la première langue officielle parlée a chuté depuis 1971 (de 27,5 % à 22 %).

Ces vices sont-ils encore dans le nouveau plan d’action ?

Pour la transparence, on l’ignore. Les ententes n’étant pas encore conclues, on ne peut pas dire qu’elles sont cachées.

Pour la cohérence, les soupçons se comprennent.

Depuis 2021, les libéraux reconnaissent que les deux langues officielles ne sont pas égales. Pour défendre « l’égalité réelle » des deux langues, leur réforme de la Loi sur les langues officielles promet de protéger le français aussi au Québec. Or, puisque le plan d’action a été déposé avant l’adoption de la loi, ce virage n’y apparaît pas.

Une partie du caucus québécois du Parti libéral fédéral dénonce la loi 96 du gouvernement caquiste, qui invoque la disposition de dérogation pour se mettre à l’abri de contestations juridiques. Le gouvernement Trudeau veut apaiser ces députés. Tout en disant défendre le français, il écrit ceci : « Le gouvernement du Canada tient à réaffirmer tout son engagement en faveur de la vitalité des communautés d’expression anglaises du Québec. »

Depuis le dépôt du plan, les 137,5 millions prétendument consacrés aux Anglo-Québécois font couler beaucoup d’encre. Or, cette somme n’apparaît nulle part dans le document.

La seule somme inscrite : 2,5 millions pour les arts. Si l’argent va aux petites institutions qui ne diffusent pas la culture de masse, cela n’a rien de mal. Il faut distinguer entre le théâtre local et l’invasion Netflix. Et de toute façon, cela demeure minime face à la hausse des budgets pour les artistes canadiens et québécois depuis 2015.

Pour le reste du budget, le passé justifie la méfiance.

Par exemple, l’année dernière, il calcule que sur 48 millions envoyés aux écoles du réseau anglophone du Québec, seulement 4 millions ont servi à enseigner le français. Selon le Bloc, le fédéral en a offert quatre fois plus pour enseigner l’anglais dans le réseau francophone. Et dix fois plus pour perfectionner l’anglais des anglophones.

Dans sa réforme de la loi 101, le gouvernement caquiste ajoute trois cours obligatoires de français dans les cégeps anglophones. Un compromis qui sert à justifier que les fonds publics servent à envoyer l’élite québécoise dans les établissements anglophones, une trajectoire qui les mènera ensuite vers McGill, Concordia et Bishop.

Les fonds fédéraux pourraient être utilisés pour améliorer l’enseignement du français langue seconde avant le cégep. D’autant que la demande de cours en immersion française est déjà forte.

Le ministre caquiste responsable de la Langue, Jean-François Roberge, a formulé ce souhait. La décision ne dépend toutefois pas seulement de lui. Celui qui tient les cordons de la bourse dans son gouvernement, Eric Girard, est également responsable du Secrétariat aux relations avec les Québécois d’expression anglaise.

Les caquistes ont raison de rester vigilants face au plan d’action fédéral sur les langues officielles. Mais s’ils jouent bien leurs cartes, ils pourraient enfin utiliser les sommes pour aider d’abord le français. Ça ferait changement.