Deux choses remplissent le cœur d’une admiration et d’une vénération toujours nouvelles, a déjà dit un sage : le ciel étoilé au-dessus de nous et la capacité en nous de s’indigner sur l’internet.

Même si les attentes étaient grandes, je n’ai pas été déçu. Des gens furent bel et bien contents d’être fâchés en voyant la nouvelle pub du gouvernement caquiste sur le français. Leurs motivations étaient épaisses comme un brouillard.

Pour ceux qui n’ont pas vu la publicité litigieuse, en voici le résumé : un faucon pèlerin vole dans un ciel aussi bleu que la nation. Une voix hors champ vante la bête en franglais. C’est de l’ironie, une espèce qui comme le faucon lutte encore pour sa survie1.

La morale arrive vers la fin. « Au Québec, le français est en déclin. Renversons la tendance », dit le narrateur.

Une première catégorie de reproche était d’ordre ornithologique. En 2017, le fédéral a réévalué le statut du faucon pèlerin. Grâce au plan de gestion, son état n’est plus jugé « préoccupant ». Or, la publicité vise justement à montrer qu’il est possible de renverser la tendance.

(Intermède écologiste : les amis des oiseaux et de la vérité devraient canaliser leur frustration ailleurs. Comme ses prédécesseurs, le gouvernement caquiste ignore les recommandations de ses biologistes, révélait La Presse en décembre dernier⁠2.)

Autre catégorie de critiques : le « pourquoi ceci plutôt que cela ? » En matière de sophisme du faux choix, la récolte a été généreuse.

Puisque l’espace manque ici pour résumer l’internet, je synthétise de mon mieux.

Au lieu d’une vidéo, il faut du concret, pouvait-on notamment lire. Bien sûr, entre une réclame télévisée et la loi 101, le choix est facile. Mais personne n’a dit que l’offensive se limiterait à cette pub. Le ministre responsable de la Langue française, Jean-François Roberge, prévoit déposer un plan d’action d’ici juin. On verra ce qu’il propose de concret.

D’autres soutiennent que pour améliorer le français, il faut mieux l’enseigner, ce qui passe par la valorisation du métier d’enseignant et le financement de la culture. C’est vrai, bien sûr. Les conventions collectives sont en renégociation et les professeurs ont tout à fait raison de réclamer d’urgence de meilleures conditions de travail. Mais l’un n’exclut pas l’autre.

C’est comme si un cancéreux fulminait en voyant un message de la Santé publique contre le tabagisme, en clamant que la priorité devrait être de lui donner accès à un oncologue. On devrait pouvoir mâcher de la gomme et se plaindre en même temps.

Une dernière variante critique vient des nationalistes. Elle porte sur la qualité de la langue. Chaque fois qu’un politicien veut protéger le français, une personne hésitante répond qu’il faudrait commencer par soigner notre parlure.

Sur le fond, ces nationalistes ont raison. Pensons aux Américains – beaucoup de leurs concitoyens font des erreurs, mais ils ne s’inquiètent pas pour l’avenir de l’anglais. La qualité ne remplace pas la loi du nombre.

Mais M. Roberge ne confond pas ces deux notions. Ce n’était qu’une première vignette filmée, la phase zéro de l’offensive publicitaire. On le jugera selon ce qui suivra.

D’autres internautes regrettent qu’on cible les jeunes. Or, de nombreux sondages ont montré que plus une personne est jeune, moins elle tend à valoriser la protection du français.

Les mécomprend-on alors ? Un peu, sans doute. Le franglais est déjà de l’histoire ancienne. Leur patois amalgame maintenant plusieurs langues, et ce métissage fait la richesse du Québec.

Que fallait-il faire alors ? Crier à la panique ? Dans le doute, ça peut faire du bien. Mais ça fait surtout rire.

Le ton pédagogique était une autre possibilité. C’est utile, dans les rares cas où les gens demeurent éveillés jusqu’à la fin du message.

Le brave faucon a essayé de percer une troisième voie, celle de l’ironie taquine en reprenant des expressions à la mode comme sick et sketch. La France a déjà tenté la même chose⁠3.

Je n’ose pas conclure au succès. Je doute que les jeunes écoutent. D’ailleurs, la simple utilisation du terme « les jeunes » est suspecte. En l’employant, on a l’impression de leur crier à des kilomètres de distance. Cela évoque un malaise télévisuel récurrent des années 1990, l’adulte qui entonne un rap pour faire passer son message. C’était aussi efficace qu’un ongle qui grafigne le tableau au ralenti.

N’empêche que ça valait la peine d’essayer. Car la pub a au moins un mérite : elle rappelle que le multilinguisme des conversations n’est pas neutre. Il n’y a pas de tendance forte menant des anglophones à intégrer de plus en plus d’expressions en français. La pente pousse toujours du même bord.

C’est cela que montre la pub. Et elle a aussi révélé malgré elle une pente encore plus irrésistible dans nos échanges en ligne. Celle qui glisse vers la colère performative. Vers le comique involontaire de l’esprit de sérieux à la dérive.

1 Lisez « Québec lance une publicité sur un oiseau “vraiment sick” » 2 Lisez « Québec ignore des espèces en péril et cache des recommandations » 3 Voyez une publicité française sur la protection du français