Quand on demande au gouvernement libéral pourquoi il ne fait rien pour juguler le flux de migrants qui passent par le chemin Roxham, on a droit à beaucoup de bons sentiments, mais pas beaucoup de clarté.

Lundi, à la Chambre des communes, le député du Bloc québécois Alexis Brunelle-Duceppe a demandé pourquoi le fédéral ne suspendait pas l’entente canado-américaine sur les « tiers pays sûrs ».

Le ministre Pablo Rodriguez n’a pas raté l’occasion de dénoncer la pub du Bloc sur le supposé « tout inclus » canadien pour migrants – j’ai dit dimanche ce que j’en pensais.

Puis, pour bien affirmer la supériorité morale de sa position, le ministre a dit que quand des demandeurs d’asile se présentent à la frontière canadienne, « le moins qu’on puisse faire est de les accueillir avec dignité ».

Or, c’est justement ça, le problème. Et si le Bloc a fait une mauvaise pub l’autre jour, il a bien documenté ceci depuis longtemps : le système craque tellement que les demandeurs du statut de réfugié ne sont pas accueillis dignement.

Le retard dans le traitement des dossiers, la difficulté de plus en plus grande à les loger, les délais interminables pour délivrer des permis de travail : tout ça, ce n’est pas une invention de l’opposition ou du gouvernement du Québec. C’est le gouvernement fédéral qui fait mal le travail.

Autrement dit, il ne suffit pas au gouvernement fédéral de dénoncer ceux qui instrumentalisent le chemin Roxham à des fins politiques en inquiétant les Québécois. Encore faudrait-il prouver qu’il se soucie vraiment des migrants en gérant l’afflux avec un plan qui a du sens.

Faut-il mettre fin à l’entente avec les États-Unis sur les « tiers pays sûrs », comme le réclament le Bloc, le NPD et plusieurs experts ?

Pour faire court, l’abolition de cette entente permettrait aux demandeurs de se présenter aux postes frontaliers de façon régulière, au lieu de passer la frontière à travers champ.

En ce moment, un demandeur qui passe par la douane terrestre canadienne en provenance des États-Unis se fera refouler vers ce tiers pays « sûr ». Sûr dans le sens qu’il n’y risque pas la persécution et qu’il doit faire sa demande dans ce pays.

Ce que ça ferait, c’est de répartir les passages géographiquement au Canada. En 2022, 40 000 personnes sont passées par le seul chemin Roxham, sur les 92 000 (un record) qui ont cherché refuge politique au Canada.

C’est 43 % de tous les demandeurs qui passent par Roxham. Si l’on additionne ceux qui arrivent par l’aéroport, ça veut dire que le Québec reçoit à peu près la moitié des demandeurs au Canada.

Abolir l’entente ? C’est peut-être la chose à faire. Mais on s’illusionne si l’on pense que le problème va se régler par une sorte de prestidigitation juridique. Plus d’entente, pouf ! Plus de chemin Roxham !

D’abord, le gouvernement américain se fout complètement de notre problème de migrants. Il a assez du sien à la frontière mexicaine. Mieux encore, comme on a vu la semaine dernière, des douaniers, des employés municipaux et des transporteurs américains dirigent le trafic vers Roxham. Et hop, le problème est déménagé en partie au Canada.

Ensuite, le gouvernement canadien n’est pas particulièrement enthousiaste à l’idée de déclarer officiellement que notre principal partenaire économique, militaire, politique… n’est pas un « pays sûr ». Ce jeu se joue à deux, et ce qu’on penserait régler en déchirant cette entente pourrait fort bien ressurgir dans d’autres contentieux.

Si l’entente est abolie, on peut penser que les passages se feraient de manière plus ordonnée et seraient mieux répartis à travers le Canada. Mais même les passages par avion ont augmenté significativement au Canada l’an dernier.

Roxham ne serait peut-être plus la voie principale, mais on ne peut pas être certain que les passages irréguliers cesseraient.

Le nombre de gens qui fuient la persécution ou la pauvreté ne diminuera pas dans les années qui viennent.

Bref, la « solution » n’est pas si simple.

Ça ne veut pas dire que le gouvernement fédéral doive se contenter de cette platitude selon laquelle on « travaille à moderniser l’entente ». Ah oui ? Ça avance ?

Ça ne veut pas dire non plus qu’en attendant une « solution », on doive être obsédé par ce « problème » qui n’est certainement pas une menace existentielle pour la Nation.

J’ai rencontré depuis trois, quatre ans de ces femmes et hommes qui sont passés par Roxham, souvent après un périple dangereux et épuisant. Ils bossent dans les CHSLD, les abattoirs et les usines du Québec. Certains y ont laissé leur peau pendant la COVID-19.

Je me souviens de cet Africain, ex-joueur de soccer professionnel. Il ne parlait pas même français deux ans plus tôt en arrivant au Québec. Il était devenu employé dans une usine de La Tuque et entraîneur de soccer pour les enfants de la ville dans ses temps libres.

De ça aussi, il faudrait parler.