Cela devrait être l’un des quartiers les plus prisés de Montréal, mais c’est devenu l’un des plus malfamés depuis le début de la pandémie.

La portion est du centre-ville, autour de la station Berri-UQAM, a connu un nouveau coup dur vendredi avec l’annonce de la fermeture du légendaire magasin Archambault, qui y avait pignon sur rue depuis plus d’un siècle.

Le groupe a cité la « détérioration croissante » des perspectives commerciales pour justifier sa décision1. Le secteur est devenu un « laboratoire de mixité urbaine » peu invitant pour les clients potentiels, fait-il valoir.

Archambault a malheureusement raison.

Le quartier fait dur, plus que jamais, en fait.

Je fréquente les environs de la place Émilie-Gamelin depuis plus de 20 ans, à l’époque de mes études à l’UQAM. C’était déjà pauvre et délabré et gris, à n’en point douter, mais c’était aussi à l’image de bien d’autres quartiers de la métropole.

Montréal était paumé, et ainsi allait la vie.

L’économie de la ville a pris du tonus, comme en témoignent tous ces gratte-ciels qui poussent partout au centre-ville. Mais le secteur de Berri-UQAM, pourtant situé stratégiquement au croisement de trois lignes de métro, n’a jamais vraiment réussi à profiter de l’élan.

Il s’est même dégradé depuis le début de la crise de la COVID-19.

Le spectacle qui joue en boucle tous les jours à la sortie du métro est d’une tristesse infinie. La population itinérante a explosé dans la place Émilie-Gamelin, l’usage et la vente de drogues dures aussi. Bien des résidants ne s’y sentent plus en sécurité.

PHOTO OLIVIER JEAN, LA PRESSE

Des portes placardées de l’ancienne gare d’autocars

La plaie béante que constitue l’ancienne gare d’autocars ajoute à l’aspect sinistre des lieux. La Ville de Montréal a racheté le site à l’abandon en 2018 pour 18 millions de dollars et avait promis de réaliser rapidement un projet qui inclurait des bureaux et des habitations abordables, mais rien n’a bougé depuis.

Pourquoi est-ce si long ?

L’administration de Valérie Plante pointe la pandémie pour justifier le cheminement interminable du projet. Le télétravail a réduit les besoins en bureaux prévus au départ, et la Ville a adopté entre-temps une nouvelle stratégie sur le logement abordable, si bien que les plans initiaux ont dû être jetés au panier.

Benoit Dorais, responsable du dossier de l’habitation au comité exécutif, m’assure que l’exercice de « révision des besoins » devrait être terminé d’ici à l’été. La Ville décidera ensuite si elle construira elle-même l’immeuble ou si elle fera un « appel de projets » auprès de promoteurs.

La Ville a « la volonté » d’appuyer sur l’accélérateur dans ce dossier, mais aucun échéancier précis n’existe à ce stade-ci. On ne peut qu’espérer qu’elle cesse de se traîner les pieds, car l’urgence est double ici.

Ce projet pourrait non seulement redonner de la vitalité à un secteur en grave difficulté, mais aussi fournir un toit aux personnes de plus en plus nombreuses qui ont du mal à se loger.

La Ville devrait – littéralement – prêcher par l’exemple.

Un autre projet, privé celui-là, pourrait voir le jour plus tôt si l’administration Plante donne son feu vert. Le groupe Mondev compte ériger deux tours d’habitation locatives du côté sud de la place Émilie-Gamelin, à côté du magasin Archambault qui fermera ses portes. L’entreprise a déjà acquis plusieurs immeubles voués à la démolition et mis fin aux baux des commerces qui y logeaient, comme les restaurants Amir et Da Giovanni.

IMAGE FOURNIE PAR MONDEV

La version initiale du projet de deux tours locatives de 18 étages, présenté par le groupe Mondev en 2020. Le projet doit occuper deux pâtés de maisons complets, le long de la rue Sainte-Catherine Est, de part et d’autre de la rue Saint-Hubert. La nouvelle version, pas encore dévoilée, présentera des changements au basilaire commercial et un gabarit moins imposant, entre autres.

Mondev déposera d’ici « une à deux semaines » une nouvelle mouture du projet, après avoir apporté plusieurs « correctifs » à la version initiale de 2020, m’a appris lundi l’architecte Maxime-Alexis Frappier, du cabinet ACDF, responsable de dessiner les plans. Ce complexe immobilier pourrait servir de « bougie d’allumage » pour relancer le secteur, croit-il.

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Des immeubles voués à la démolition, à l’angle des rues Sainte-Catherine Est et Saint-Hubert. La Ville a demandé à ce que certains éléments des façades soient conservés dans le projet immobilier.

Il faudra voir le détail des nouveaux plans, mais un investissement privé d’environ 200 millions de dollars ne ferait certainement pas de tort dans le secteur.

Des projets sont dans l’air, bref, et c’est positif, mais le problème de fond demeure.

Les populations marginalisées ont explosé dans le quartier, avec des enjeux de toxicomanie, d’itinérance et de santé mentale de plus en plus lourds, sans que les ressources suivent.

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Place Émilie-Gamelin

La situation ne se réglera pas par magie sans un réinvestissement de l’État, me fait valoir Jean-François Mary, directeur général de l’organisme communautaire CACTUS Montréal. La « coexistence » risque de rester épineuse avec les nouveaux résidants qui pourraient s’installer autour de Berri-UQAM, ajoute-t-il.

Le Partenariat du Quartier des spectacles, qui anime la place Émilie-Gamelin quelques mois par année depuis huit ans, croit pour sa part que davantage de policiers devraient être déployés pour rehausser le sentiment de sécurité sur les lieux lorsqu’il y a des évènements sur place.

Il ne s’agit pas de chasser les sans-abri, mais plutôt d’assurer une « cohabitation » harmonieuse avec les spectateurs et les employés, avance son directeur général, Éric Lefebvre.

Dans tous les cas, les autorités ne peuvent plus se permettre de laisser le problème s’aggraver.

D’autres commerces du coin risquent de fermer, comme l’a annoncé le mythique bar Le Saint-Sulpice pas plus tard que dimanche, et l’attractivité du cœur de Montréal pourrait subir des dommages durs à réparer.

1Lisez l’article « Le magasin Archambault de la rue Berri fermera en juin »