« J’aime bien ça, ici. Tous les gens sont polis. On est bien traités. Oh ! je n’ai pas le temps de m’ennuyer ! Il y a des activités. On chante beaucoup. Et en plus, les repas sont bons. On mange bien ! »

Non, Denise Francœur ne parle pas d’un hôtel cinq étoiles au bord de l’océan ni d’une résidence privée de luxe avec vue imprenable sur le centre-ville.

Elle parle d’un bâtiment de briques beiges boulevard Cartier, à Laval : le CHSLD Idola-Saint-Jean. Et, oui, elle aime ça. Beaucoup. Pour vrai.

C’est ça, la nouvelle. Ou, devrais-je dire, la non-nouvelle. Parce que, bien sûr, les gens heureux ne font pas les manchettes. C’est bien connu : ils sont « sans histoire ». Permettez-moi de faire exception et de vous raconter celle de Denise Francœur.

Parce qu’au-delà des scandales de maltraitance, de négligence et de patates en poudre, ça existe, des résidants heureux dans les CHSLD du Québec. Et il y en a plus qu’on le pense.

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Denise Francœur, donc, a emménagé au CHSLD Idola-Saint-Jean le 19 août dernier. Auparavant, l’ancienne infirmière de 82 ans habitait une chic résidence privée pour aînés. Là-bas, elle avait l’habitude de faire ses bagages, de jeter tout le reste à la poubelle et de prendre la poudre d’escampette. Elle fuguait sans cesse.

Bien sûr, on finissait par la retrouver, confuse et désorientée. Mais ça commençait à devenir franchement dangereux. Alors, ses proches se sont résignés à la placer dans un centre d’hébergement et de soins de longue durée.

Le CHSLD Idola-Saint-Jean ne faisait pas partie de leurs choix, mais une place s’y est libérée. « Mon cousin m’a demandé : “Comment tu trouves ça ?” J’ai répondu qu’il ne fallait pas regarder les murs, qui avaient besoin d’un bon coup de peinture », raconte Diane Pelletier, la nièce de Denise Francœur.

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Denise Francœur et sa nièce Diane Pelletier

« Mais les murs, on ne les voit pas », s’empresse-t-elle d’ajouter. On les oublie vite, tant le personnel rend cet endroit accueillant. Les infirmières. Les préposés aux bénéficiaires. Les médecins. Toute une équipe attentionnée, compétente, dévouée.

Ma tante ne me parle jamais du trou dans la porte de sa salle de bains, mais tous les jours de chaque employé, par son nom, avec une grande reconnaissance.

Diane Pelletier, nièce de Denise Francœur

Un rayon de soleil illumine la chambre de Denise Francœur. Les murs sont décorés de tableaux qu’elle a peints elle-même. Sur son lit trône sa chatte Lulu, une peluche mécanique spécialement confectionnée pour les personnes atteintes de pertes cognitives. « C’est Docteur Mohamed qui me l’a donnée. Lui, on l’aime ! »

Docteur Mohamed, c’est Mohamed Amadah, l’infirmier. Il sourit sous son masque : « Je viens de monter en grade ! » Un CHSLD, explique-t-il, ce n’est pas un hôpital. C’est le milieu de vie des résidants. « Nous, nous sommes des employés, chez eux. Nous sommes là pour répondre à leurs besoins. C’est ça, la philosophie. »

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Denise Francœur et l’infirmier Mohamed Amadah

Au fil des mois ou des années à venir, les souvenirs de Denise Francœur s’effaceront. La confusion s’installera davantage. Elle deviendra un « cas lourd ». Mais ici, au contraire d’une résidence privée, une équipe l’accompagnera jusqu’à la fin.

« Le CHSLD, c’est la dernière maison, explique la Dre Laurence Tavernier. Il faut qu’on puisse administrer des soins de la même façon jusqu’au bout. »

Si Mme Francœur perd son autonomie, « on saura tout ce qu’elle aimait et tout ce qu’elle voulait partager avec nous. Cette connaissance-là va faire en sorte qu’on sera beaucoup plus pertinents dans notre accompagnement ».

Non, les CHSLD ne sont pas des mouroirs où on parque les vieux pour s’en débarrasser. En fait, la plupart des résidants reçoivent la visite de leurs proches, assure Linda A., préposée aux bénéficiaires.

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Linda A., préposée aux bénéficiaires

« Et même ceux qui n’ont pas de visites, nous, les employés, nous constituons leur famille, dit-elle. Dans nos temps libres, on jase avec l’un et l’autre. Même ceux qui ne s’expriment pas, on leur touche doucement la main… »

Diane Pelletier craignait que l’état de sa tante ne régresse à son arrivée au CHSLD. Mais pas du tout. « Elle est ici comme un poisson dans l’eau. Elle a tellement été bien entourée, dès le début. Je suis toujours impressionnée des services et des soins qu’on lui apporte. Je sens une bonne humeur, un bel esprit d’équipe, de bons soins. »

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Dans la chambre, de gauche à droite : la préposée aux bénéficiaires Linda A., la Dre Laurence Tavernier, la cheffe d’unité Marilou Langlois et l’infirmier Mohamed Amadah

Sa tante aussi le sent. Malgré la confusion. La preuve : depuis qu’elle réside au CHSLD Idola-Saint-Jean, Denise Francœur n’a plus jamais cherché à fuguer.

Je dis que c’est une non-nouvelle, mais en fait, une résidante de CHSLD heureuse de son sort, c’est pratiquement une nouvelle. C’est tellement, comment dire… inattendu ?

Ça semble incongru au milieu des manchettes catastrophiques. Parmi les plus récentes : « On n’a même pas le temps de laver les dentiers » ; « Des dizaines d’aînés négligés, un CHSLD sous tutelle » ; « Maltraitance avérée dans deux CHLSD privés : Québec promet des mesures »…

Pas étonnant que des personnes âgées (et moins âgées) soient terrifiées à l’idée de finir leurs jours en CHSLD. Certaines préféreraient mourir que d’aboutir là.

Reste qu’avec le vieillissement de la population, le nombre de demandes d’hébergement en CHSLD augmente d’année en année. Et ce n’est pas fini : Québec estime que les besoins doubleront d’ici 20 ans.

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Denise Francœur

Raison de plus pour que la population sache à quel point les résidants sont bien traités, estime Diane Pelletier, elle-même médecin de famille. « Il y a plein de CHSLD qui fonctionnent bien et où on a de bons soins. Ce que je constate, c’est que tante Denise est heureuse. »

En résidence privée, elle était laissée à elle-même. « Ce n’est pas comme ça ici, se réjouit Denise Francœur. Ici, on s’occupe de nous. On sent que les gens nous aiment. »