Régine Laurent, tout le monde la connaît. Ex-présidente du syndicat des infirmières, présidente de la commission sur la réforme de la DPJ, commentatrice à TVA.

André LeBon ?

Presque personne ne connaît André LeBon, ou presque. C’est pourtant le Wayne Gretzky de la protection de l’enfance au Québec.

Il était le lieutenant de Mme Laurent à la commission sur la DPJ, le vice-président. Il œuvre en aide à l’enfance depuis 40 ans. Dans le milieu, c’est une référence. Quand il y a eu cette crise des fugueuses à Laval, c’est lui qui a enquêté, fait des recommandations.

Bref, il n’y avait rien d’étonnant à ce qu’André LeBon soit nommé à la commission présidée par Mme Laurent : c’est un expert reconnu et respecté, qui connaît le réseau et qui avait déjà fait des sorties publiques au fil des années pour dénoncer les travers du système.

C’est cet homme-là que Katia Gagnon a confessé en entrevue.

Et il n’aime pas du tout ce qu’il voit quant aux suites données par le gouvernement de François Legault au rapport qu’il a cosigné avec Régine Laurent, avec le projet de loi 15. Il ose même nommer le mot en T : tablette, comme dans Notre-rapport-risque-d’aboutir-sur-une-tablette. Il s’étonne et se désole de voir que le gouvernement prévoit mettre sur pied des « chantiers » à venir pour réfléchir à certaines recommandations du rapport Laurent…

« Honnêtement, 10 millions plus tard, 4000 personnes qui se sont prononcées, et on va faire des chantiers ? On va aller reparler de ça ? Avec qui ? Combien de temps ? Vous me sentez découragé ? Oui, je suis découragé ! On nous dit qu’on ne l’a pas oublié, que ça va se faire. Si c’est pas fait au printemps, quand est-ce que ça va se faire ? De l’autre bord des élections ? Je suis plus que découragé, je suis désespéré. »

En une semaine, c’est le deuxième coup de semonce décoché vers la réforme du gouvernement, de la part des anciens de la commission Laurent. La présidente Laurent elle-même, la semaine dernière, a reproché au gouvernement de ne pas avoir bien cerné le principe de l’intérêt de l’enfant, dans le préambule de la loi, comme envisagé par le projet loi 15.

Pour Mme Laurent, l’intérêt de l’enfant est LA considération qui doit guider toute la loi et les interventions en découlant, pas UNE des considérations.

Cette notion de l’intérêt de l’enfant – par opposition, par exemple, aux intérêts des parents – devant guider toutes les actions en aide à l’enfance, c’était au cœur du rapport de Mme Laurent.

Qu’elle soit inquiète de la place faite à cette notion fondamentale dans le projet de loi 15 devrait tous nous inquiéter.

Puis, cette semaine, quelques jours après la sortie de Mme Laurent, c’est son VP LeBon qui en rajoute, de façon beaucoup moins diplomatique que sa présidente. Quand on sait à quel point M. LeBon connaît le système comme le fond de sa poche, ça devrait nous inquiéter encore plus que la sortie de Mme Laurent.

André LeBon connaît la machine gouvernementale, ses défauts et son inertie bureaucratique. Il sait comment la machine peut bouffer les meilleures intentions ministérielles, comment les vieilles façons de faire ont le don de tuer l’innovation, les ambitions de réforme.

Je lisais les propos de M. LeBon et j’avais un sentiment de déjà-vu : une crise qui devient débat de société, des appels à l’État pour qu’il agisse, une commission d’enquête qui se transforme en soupape pour nommer des maux systémiques…

Et une fois déposé, le rapport de la Commission qui finit par se ramasser sur une tablette, l’essentiel de ses recommandations ayant été peu ou mal appliquées…

Ça, c’était Bouchard-Taylor.

Est-ce que le rapport de la commission Laurent va subir le même sort ?

Si André LeBon le craint, permettez-moi de le craindre, le tablettage, moi aussi. Ce ne serait pas la première fois qu’un rapport est tabletté, une fois que la colère et la stupeur des Québécois se sont apaisées. Ce ne serait pas la première fois que les belles promesses sont diluées dans le mammouth de la Santé et des Services sociaux.