On en apprend beaucoup sur la préparation en CHSLD lors de la première vague, depuis quelques semaines. Chez la coroner Géhane Kamel, chez la protectrice Marie Rinfret et dans les médias : plus on en apprend, plus c’est gênant.

Gênant d’improvisation, de désorganisation. Gênant, aussi, parce que c’était écrit dans le ciel : le mammouth québécois de la Santé, dont le manque d’agilité est dénoncé depuis des décennies, a failli à la tâche dans les premiers mois de 2020.

Les travaux de la coroner Kamel se poursuivent, son rapport suivra ces prochains mois. Le rapport de la protectrice Rinfret est sorti, c’est un travail d’enquête remarquable. Et les médias sortent des scoops costauds sur la gestion de la première vague.

Ces derniers temps, on a donc su le comment du pourquoi de la négligence de la Santé à se préparer à affronter ce bizarre de virus qui naissait en Chine, dès les premiers jours de 2020. On a su comment les CHSLD ont été ignorés dans les plans de Québec.

Le Québec n’est pas le seul territoire à avoir négligé ses résidences pour aînés. Il faut le dire. La France, l’Italie, New York et plusieurs États américains ont vécu des hécatombes. Il reste qu’au Canada, le Québec a été distinct dans son bilan catastrophique à cet égard.

Mais quand même, la protectrice du citoyen a posé des questions déplaisantes : pourquoi l’Alberta et le Manitoba ont-ils eu la prescience de commander des stocks de protection comme des masques pour leur personnel hospitalier…

Et pas le Québec ?

Et on a su, ces derniers jours, que l’ex-ministre de la Santé Danielle McCann avait dit une fausseté quand elle a affirmé que dès janvier, son ministère avait enjoint au réseau de la Santé – dont les CHSLD – de se préparer à affronter le virus (1). La directive à laquelle elle faisait référence m’a semblé aussi vague que les divinations d’une cartomancienne.

Puis, mardi, on a appris de Radio-Canada (2) qu’une association représentant 59 CHSLD avait averti à répétition une sous-ministre adjointe à la Santé, Natalie Rosebush, que ses établissements avaient un besoin urgent d’équipement, comme des masques, dès la mi-mars. Ces jours-là, le politique – le PM Legault en tête – assurait pourtant publiquement que le Québec ne manquait pas de masques.

Pour toutes ces raisons, une enquête publique permettrait de savoir qui a fait quoi, à quel moment, pendant les balbutiements de la pandémie. Et on pourrait avoir des recommandations pour éviter la répétition d’un tel dérapage. J’ai déjà été dubitatif face à la pertinence d’une telle enquête. Je ne le suis plus.

Mais je répète qu’on en apprend énormément ces jours-ci sur la gestion de la première vague, grâce aux médias québécois, grâce à la coroner Kamel et grâce à la protectrice Rinfret. Le gouvernement québécois – politique et bureaucratique – est passé aux rayons X, et cela est sain.

Savez-vous qui s’en tire remarquablement bien, dans cette reddition de comptes ?

Ottawa.

Oui, la santé est une compétence provinciale. Non, le fédéral ne gère pas les CHSLD québécois. Et non, Ottawa n’a rien à voir dans les opérations quotidiennes des réseaux de la santé et des services sociaux des provinces.

Mais le fédéral n’est pas complètement absent de la santé au pays. Et Ottawa avait même un plan d’action pour affronter une pandémie comme celle qui a fait rage dans le monde et au Canada, et ce plan d’action existait depuis 2006.

Le document (3) s’intitule Préparation du Canada en cas de grippe pandémique : Guide de la planification pour le secteur de la santé. Il fait plus de 500 pages. Il a été conçu comme une sorte de simulation, après la crise du SRAS en 2003.

Et plusieurs passages se lisent très exactement comme ce qui s’est passé au Canada 14 ans plus tard, quand le coronavirus SARS-CoV-2 est débarqué : personnel hospitalier infecté, manque de respirateurs, manque d’équipement de protection personnelle, rapidité de la transmission communautaire et vagues successives de la pandémie, faite de hauts et de bas, sur des années.

Il existe au Canada une « Réserve nationale stratégique d’urgence » administrée par le fédéral. Celle-ci doit stocker de l’équipement médical en cas – comme son nom l’indique – d’urgence nationale.

Et dans le rapport fédéral de 2006, qu’est-ce que les auteurs recommandaient ?

Ils recommandaient qu’Ottawa puisse compter à tout moment sur un stock équivalent aux besoins du pays en masques et autres équipements de protection pour… 16 semaines (4).

Je ne rappelle pas l’existence de ce rapport une nouvelle fois – j’en ai parlé dans La Presse en février dernier – pour mettre le désastre de la pénurie d’équipement de protection individuelle dans le réseau de la santé québécois sur les épaules d’Ottawa. Les provinces sont responsables de pourvoir à leurs besoins en matière d’équipement de protection personnelle.

Mais Ottawa avait la responsabilité de stocker ledit équipement en cas d’urgence et Ottawa a failli à cette responsabilité. Si le fédéral avait stocké assez de masques N95 pour 16 semaines comme le lui recommandait son propre rapport d’anticipation pandémique de 2006, les provinces – comme le Québec – auraient évité bien des souffrances…

Et peut-être même bien des morts.

Qui, aujourd’hui, reproche à Ottawa de ne pas avoir ces réserves de N95, réserves suffisantes pour tenir 16 semaines ?

Personne.

On pourrait aussi parler de la gestion catastrophique des frontières et des quarantaines, au début de la pandémie : Ottawa s’est empêtré alors dans un laisser-faire délétère.

Qui, aujourd’hui, lui reproche ça ?

Personne.

J’insiste : je ne rappelle pas ces faits pour absoudre la gestion de l’État québécois. Je les rappelle parce que dans l’examen de conscience qui s’enclenche au Québec, Ottawa est complètement évacué de l’exercice… Comme d’habitude, ou presque.

Comme je le dis souvent, Ottawa, c’est loin, très loin du plancher des vaches. La pandémie est un autre exemple de cette réalité.

1. Lisez la chronique « Spin le mammouth » 2. Lisez l’article de Radio-Canada 3. Consultez le document de préparation du gouvernement fédéral 4. Lisez un article du Globe and Mail (en anglais)