Au début, il était divertissant. Pas de langue de bois, au risque d’en échapper une de temps à autre. Régis Labeaume est arrivé à la mairie de Québec en 2007 comme un ovni.

À un moment donné, de loin, de l’« autre bout » de la 20, d’ici, il semblait un peu s’éparpiller. Prêt à se battre avec n’importe qui, juste pour avoir raison. Au sens figuré, bien sûr… Mais il me semble avoir vu un extrait de bulletin de nouvelles où le maire semblait à un centimètre de mèche (courte) d’inviter un importun à aller régler ça sur la Grande Allée !

Au début, donc, il était divertissant. Juste ça. Il donnait de la bonne copie, ne s’enfargeait pas dans les fleurs du tapis. Puis, avec les années, Régis Labeaume est devenu… intéressant.

Je sais que les gens de Québec ont peut-être une opinion différente de Régis Labeaume, à force de le côtoyer. Le troisième lien, les radios, les ordures, le tramway, les voies réservées, les relations avec les banlieues : je laisse ça aux gens du « 418 », ce n’est pas de ce Labeaume-là que je veux parler ici.

C’est de l’autre Labeaume, le Labeaume rayonnant au-delà des frontières de sa ville. Le Labeaume lucide sur les enjeux du vivre-ensemble, notamment. Je vais m’ennuyer de ce Labeaume-là.

Après l’attentat de la Grande Mosquée, le maire a perçu cette ignominie pour ce qu’elle était : une attaque contre l’humanité d’une partie de ses concitoyens, qui s’adonnaient à être musulmans. Il ne s’est pas enfargé dans les fleurs du tapis, là non plus, n’a pas cherché à ménager les susceptibilités de quiconque en insistant uniquement sur les problèmes de santé mentale de l’assaillant que je ne nommerai pas ici.

Contrairement à un agitateur qui avait affirmé sans rire que ledit assaillant était une sorte de prisonnier politique, le maire a nommé l’intolérance incarnée par ce tireur paranoïaque face aux musulmans.

Régis Labeaume s’est dressé comme un rempart, sincèrement blessé dans sa fierté de « gars d’Québec » : pas ça, pas chez nous, grands dieux, non.

Dans la saga du cimetière musulman, il a encore une fois affiché du leadership. Il aurait pu ne pas s’en mêler, ce n’est pas exactement populaire de prendre fait et cause pour des musulmans dans le climat actuel – même des musulmans morts. Eh bien, Régis Labeaume l’a fait, il a pris la parole, il a dit : « Ça va se faire », alors que la résistance était immense…

Et ça s’est fait.

Bien sûr, il y avait le Labeaume cassant, un peu chicanier. Ce Labeaume-là n’est peut-être jamais loin sous la surface. Aussi, quand j’ai appris il y a quelques années qu’il refusait mes demandes d’entrevue parce qu’il était fâché contre moi, sans que j’aie la moindre idée pourquoi il était fâché, j’ai juste ri : Bah, ça va passer…

Ça a fini par passer.

Au début du règne de Trump, de bonnes âmes un peu naïves ont pensé que la fonction allait élever ce populiste puant. Ce ne fut pas le cas. Trump a plutôt entraîné sa fonction avec lui vers les sous-sols des dépotoirs politiques. Bref, la fonction n’élève pas toujours l’homme, ni la femme…

Mais Régis Labeaume – vu de Montréal, toujours – me semble s’être élevé avec la fonction de maire de Québec.

Il semble avoir compris qu’il n’était pas que le maire de Québec. Qu’il devenait, à force de victoires électorales, une sorte d’éminence grise pour la chose municipale. Il m’a semblé que ces dernières années, l’homme avait moins envie d’être divertissant que d’attirer l’attention sur ce qui est important.

Santé mentale, itinérance, logement, importance du communautaire, vivre-ensemble : il a utilisé sa tribune pour jeter de la lumière sur des enjeux qui ne font pas forcément du clic.

Et quand un autre être troublé a pris un sabre pour aller tuer et mutiler des gens dans sa ville par une soirée d’Halloween funeste, le maire a nommé la difficulté grandissante pour les villes d’être des asiles psychiatriques à ciel ouvert.

Après presque 15 ans de règne sans partage, je souligne que Régis Labeaume n’a trempé dans aucun de ces scandales de contrats d’asphalte qui ont marqué la vie politique des années 2010, le cœur de son époque politique. Ramenez-vous à 2007 : plusieurs grandes villes du Québec étaient alors noyautées par des affairistes, dont plusieurs ont été arrêtés, accusés.

Il avait bien des défauts, Régis. Mais il n’a jamais visité de yacht ni fait de voyage en Suisse pour y déposer du cash. Il part intègre.

Dans la ronde d’entrevues qui ponctuent son dernier tour de piste, Régis Labeaume a parlé de choses importantes, justement : le choc démographique qui ne va pas s’adoucir, l’importance d’accueillir l’immigration et son corollaire : il faut que les leaders politiques rejettent la tentation de faire du kilométrage politique sur le dos des minorités, même si ça peut sembler politiquement payant.

J’ajouterais, aussi, un autre de ses thèmes, inattendu chez un maire de Québec : l’importance de ne pas négliger Montréal, mal-aimé politique, punching bag si souvent commode.

Je sais aussi qu’en coulisses, avec une grande générosité, Régis Labeaume prenait sous son aile des maires et des mairesses, généreux de son écoute et de ses conseils, qu’il appelait parfois juste pour prendre des nouvelles… Alors qu’il n’avait absolument rien à gagner à le faire, sans calcul.

C’est un gars de Montréal qui vous le dit, monsieur Labeaume : on va s’ennuyer de vous.