Vous n’avez pas à convaincre la Dre Catherine Matte de l’importance cruciale du vaccin pour combattre la pandémie de COVID-19. Vous n’avez pas davantage à la convaincre de l’importance, pour les infirmières, d’être vaccinées pour soigner des patients à la santé fragile.

De tout ça, la Dre Matte est déjà fermement convaincue.

Pourtant, le 14 septembre, la médecin a écrit une lettre ouverte au ministre de la Santé, Christian Dubé, pour lui demander de reconsidérer sa décision de rendre la vaccination obligatoire dans le réseau de la santé.

Lisez la lettre ouverte de la Dre Catherine Matte

Je vous entends déjà hurler. Je sais, vous êtes à bout de patience. Vous vous dites que le ministre ne doit reculer sous aucun prétexte. Il ne doit surtout pas donner raison aux égoïstes qui font passer leur « choix » avant la santé des autres.

Ces récalcitrants n’avaient – n’ont toujours – qu’à retrousser leur manche. S’ils s’obstinent à ne pas le faire, c’est leur problème. Tant pis pour eux.

Nous en avons tous ras le bol, c’est vrai. Mais laissez-moi vous raconter le dilemme cornélien auquel fait face la Dre Matte. Il montre à quel point l’enjeu de la vaccination obligatoire dans le réseau de la santé n’est pas simple. Et risque d’être bientôt déchirant.

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Catherine Matte est cheffe du service de néphrologie du Centre intégré de santé et de services sociaux de la Montérégie-Ouest (CISSSMO), région particulièrement touchée par la pénurie de personnel qui menace de couler le paquebot de la santé.

Aux deux unités de dialyse du CISSSMO, les infirmières spécialisées sont au bout du rouleau. Leurs vacances ont été annulées. Elles sont forcées de faire des heures supplémentaires. Forcées de prendre en charge trop de patients. La cadence est épuisante. Certaines ont quitté le navire. Celles qui restent tiennent la barre tant bien que mal.

Et c’est à ce moment critique que doit entrer en vigueur la vaccination obligatoire, le 15 octobre.

Bref, c’est la tempête parfaite.

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Les gestionnaires du CISSSMO ont tout fait pour les convaincre, en vain : quatre infirmières en dialyse refusent le vaccin. Vendredi prochain, elles tomberont en congé sans solde. Deux autres infirmières, d’abord récalcitrantes, semblent avoir accepté de se faire vacciner.

Tant bien que mal, le CISSSMO a colmaté les fuites. Il a formé du personnel en catastrophe, affiché des postes, retardé le départ d’employées et conscrit des infirmières spécialisées d’un autre hôpital.

Les unités de dialyse devraient tenir le coup. Pour la Dre Matte, c’est un soulagement. Quand elle a publié sa lettre au ministre Dubé, elle pensait devoir annuler des dialyses – un traitement vital pour les patients atteints d’insuffisance rénale terminale.

Pas d’infirmière, pas de dialyse. Pas de dialyse, le patient meurt. Ça risquait d’être aussi simple (et aussi terrible) que cela.

Grâce aux travaux de colmatage des gestionnaires, la Dre Matte respire mieux. « On pense qu’on va être capables de faire tous les traitements de dialyse, même si on va perdre énormément d’expertise. »

Mais tout cela ne tient qu’à un fil. Il suffirait qu’une poignée d’infirmières tombent malades pour que tout s’écroule. « Le problème n’est pas réglé. »

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« On ne peut pas changer d’idée. La vaccination, pour moi, c’est la solution », a répété vendredi Christian Dubé.

C’est vrai, le ministre de la Santé doit tenir tête aux 27 000 employés du réseau non vaccinés. Si on ne retire pas ces gens des hôpitaux, cliniques, CLSC et autres CHSLD, ils risquent d’exposer les patients à un virus mortel. L’idée même est intolérable.

Cela dit, le ministre a aussi le devoir de s’assurer que les Québécois aient accès à des soins de santé de qualité acceptable.

La semaine prochaine, il présentera un plan de contingence pour pallier le départ « forcé » de milliers d’infirmières non vaccinées.

Il n’y a pas longtemps, il avait présenté un autre plan, d’urgence celui-là, pour convaincre des milliers d’infirmières de… revenir dans le réseau !

Une tempête parfaite, c’est ça. En Abitibi, 66 infirmières non vaccinées partiront le 15 octobre. Il en manque déjà 250 pour offrir tous les services et les soins de santé dans la région. Une unité d’obstétrique a même été fermée jusqu’à nouvel ordre.

Lisez le texte « Des ruptures de services appréhendées »

Le plan de contingence ? Réduire les soins à domicile, le nombre de lits aux soins intensifs, le nombre de salles d’opération. À Senneterre, ouvrir les urgences de 8 h à 16 h.

Prière de ne pas vous casser la gueule en dehors des heures d’ouverture…

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Le Parti québécois s’est fait rabrouer, cette semaine, pour avoir osé demander si le remède ne dépassait pas la maladie. Les syndicats ont été fustigés pour avoir craint des ruptures de services dans le réseau.

On a tellement épuisé notre réservoir de patience qu’on est prêts à balayer toutes les inquiétudes, même les plus légitimes.

On a dit que les syndicats se discréditaient à vouloir protéger leurs membres non vaccinés. Je les ai surtout entendus s’inquiéter pour leurs membres… vaccinés. Pour ceux qui paieront le prix de l’entêtement de leurs collègues.

À Drummondville, une équipe d’intervenants de la DPJ sera réduite de moitié. Elle devra mettre les bouchées doubles, mais craint d’en échapper. Elle craint un drame.

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Bien sûr, la vaccination obligatoire permettra d’éviter d’autres sortes de drames dans le réseau.

Des drames comme celui de Céline Hade, qui a contracté la COVID-19 en côtoyant du personnel non vacciné lors de son tout dernier traitement de chimiothérapie, fin mai à l’hôpital Fleurimont, à Sherbrooke.

Elle en est morte.

La Dre Catherine Matte insiste : elle est tout à fait pour la vaccination du personnel soignant. Seulement, il faut bien le dire : rendre cette mesure obligatoire risque de compromettre la qualité des soins dans certains secteurs.

Le gouvernement ne peut ni reculer ni reporter la date butoir. Il doit rester ferme, même si le paquebot se met à craquer ici et là. On en sera réduits à croiser les doigts en espérant éviter le naufrage.