Un rapport du Protecteur du citoyen soulève des « pratiques discutables » dans un centre jeunesse de Lévis

Confinement à leur chambre jusqu’à 15 heures par jour, périodes d’isolement « sans raison », silence lors des déplacements, manque voire privation de nourriture dans certains cas : un rapport du Protecteur du citoyen révèle des « pratiques discutables » encadrant le quotidien des adolescents hébergés dans un centre jeunesse de Lévis.

Ce qu’il faut savoir

  • Le Protecteur du citoyen a dévoilé un rapport d’enquête jeudi sur l’unité Le Boisé du Centre de protection et de réadaptation pour les jeunes en difficulté d’adaptation de Lévis dans Chaudière-Appalaches.
  • Le rapport révèle des pratiques discutables ou s’écartant du mandat de réadaptation du Centre, notamment le nombre élevé d’heures – jusqu’à 15 par jour – que les adolescents passent confinés à leur chambre.
  • Le CISSS de Chaudière-Appalaches s’engage à suivre toutes les recommandations du Protecteur du citoyen.

Le Protecteur du citoyen est intervenu à la suite d’un signalement rapportant des « pratiques préoccupantes » concernant l’unité Le Boisé du Centre de protection et de réadaptation pour les jeunes en difficulté d’adaptation – communément appelé centre jeunesse – de Lévis.

Il s’agit d’une unité sécuritaire qui accueille des adolescents âgés de 12 à 17 ans. Les jeunes hébergés sont assujettis à une mesure judiciaire en vertu de la Loi sur le système de justice pénale pour les adolescents ou à une mesure d’encadrement intensif.

Le Boisé ne fournit pas toujours les soins et services favorisant la réadaptation, conclut le Protecteur du citoyen, MMarc-André Dowd. Dans son rapport de 19 pages, MDowd sent le besoin de rappeler au CISSS que le centre jeunesse n’est pas un « milieu carcéral », mais bien un établissement de santé.

Le temps de réclusion en chambre est très élevé (environ 4 heures quotidiennement et jusqu’à 8 heures le samedi) et il est difficile de saisir la portée clinique de cette pratique dans un parcours de réadaptation.

Extrait du rapport du Protecteur du citoyen

Dans son rapport, MDowd insiste sur le fait qu’il est « préoccupé par la rigidité du cadre exercé ». Des adolescents sont confinés à leur chambre jusqu’à 15 heures sur 24, a-t-il découvert.

Ailleurs au Québec, dans les centres avec la même clientèle judiciarisée nécessitant une intensité élevée d’encadrement, les jeunes ne passent pas autant de temps dans leur chambre, révèle MDowd.

Moisissures et manque de nourriture

Le Protecteur rappelle aussi au CISSS que les adolescents doivent… « manger à leur faim ». En effet, il a constaté une « insuffisance de nourriture » pour les jeunes hébergés dans cette unité. Il a aussi découvert que dans certains cas, des mesures punitives impliquant de la nourriture avaient cours dans l’établissement, parlant même de « privation » – mesures qui « n’ont pas leur place dans un centre de réadaptation », rappelle-t-il.

Même chose pour l’accès à des bouteilles d’eau « sans bouchon » qui est considéré comme un privilège dans l’unité sécuritaire. « J’ai beaucoup de difficulté à considérer l’hydratation comme un privilège », ajoute MDowd en entrevue avec La Presse jeudi, au moment où son rapport a été rendu public.

Des moisissures ont également été constatées dans les douches. « Au bloc sanitaire, l’éclairage est pauvre et la ventilation est absente », indique le rapport. Le CISSS a reconnu ce problème et s’est engagé à faire des rénovations l’automne prochain.

Ce n’est pas tout, les adolescents hébergés ne sortaient pratiquement jamais dans la cour extérieure, en plus de devoir effectuer leurs déplacements en silence. Durant l’enquête du Protecteur du citoyen, l’établissement a corrigé le tir et a ajouté deux sorties obligatoires de 15 minutes par jour.

« Quand on sait que des adultes en prison ont droit à une heure de sortie par jour à l’extérieur », souligne MDowd, cette correction lui paraît essentielle, mais minimale. Il a senti que le centre « banalisait » l’importance de prendre l’air pour sa clientèle adolescente.

En entrevue avec La Presse, le CISSS tient à « nuancer » certaines conclusions du rapport, bien qu’il assure prendre la situation « au sérieux ».

Le confinement jusqu’à 15 heures sur 24, « c’est un maximum », et non la moyenne quotidienne, et cela inclut la nuit, précise la directrice de la protection de la jeunesse de la région de Chaudière-Appalaches, Caroline Brown.

« Moi aussi, je passe la nuit dans ma chambre », illustre la gestionnaire.

De son côté, le Protecteur du citoyen persiste et signe : les chambres des jeunes sont verrouillées, ce qui empêche ces derniers de pouvoir en sortir la nuit. C’est donc bel et bien un « isolement » au sens de la loi, n’en déplaise à la direction de la protection de la jeunesse locale, dit-il.

Concernant le fait que les jeunes ne mangent pas à leur faim, « ce n’est pas vrai qu’on les prive de nourriture », réagit Mme Brown du CISSS. Il s’agit d’un problème « d’approvisionnement » puisque la nourriture est préparée « à l’extérieur » – dans un hôpital – et livrée au centre ensuite. Il est arrivé que les jeunes manquent de nourriture, reconnaît la gestionnaire. Mais le personnel lui laissait alors les portions qui lui étaient destinées, « justement pour qu’ils mangent à leur faim », et il se « faisait venir de la restauration rapide ».

Les intervenants prenaient leurs repas de restauration rapide devant les jeunes. Le Protecteur du citoyen estime que cela témoigne d’une « apparence de manque de sensibilité » à l’égard des jeunes hébergés. Cette pratique va cesser, assure Mme Brown du CISSS de Chaudière-Appalaches.

Des mesures de contrôle… hors de contrôle

Dans son rapport, le Protecteur du citoyen se penche longuement sur les mesures de contrôle exercées à l’endroit des jeunes hébergés, constatant que le personnel ne suit pas toujours les normes provinciales établies.

Le temps passé par les jeunes à leur chambre démontre clairement qu’il s’agit d’une pratique d’isolement qui n’est pas reconnue par le personnel du centre de réadaptation, et ce, malgré la formation qui leur a été offerte au printemps 2022 sur la nouvelle procédure.

Extrait du rapport du Protecteur du citoyen

« Dans les faits, rappelons que les jeunes ne peuvent pas sortir de leur chambre librement sans avoir préalablement sonné à la console en journée. […] Si un jeune omet de le faire, il est rapidement recadré et la consigne lui est rappelée par le personnel. Il s’agit donc d’un véritable isolement au sens de la loi 10 », précise le Protecteur du citoyen.

Par ailleurs, les formulaires qui doivent être remplis afin de comptabiliser les informations sur l’utilisation des mesures de contrôle ne le sont pas toujours, a découvert le Protecteur du citoyen. Cela peut sembler « bureaucratique », mais cet outil est « essentiel pour s’assurer que les droits des jeunes sont respectés », insiste MDowd en entrevue.

La Presse révélait le mois dernier que l’isolement et la contention de jeunes hébergés dans des centres de réadaptation et des foyers de groupe sont en hausse dans la plupart des régions du Québec alors qu’ils sont censés demeurer des mesures d’exception.

Lisez notre dossier

Au total, le Protecteur du citoyen a fait 11 recommandations au CISSS – toutes acceptées par ce dernier – qui visent principalement à faire respecter les droits des jeunes hébergés et à recentrer les interventions sur leur réadaptation.