« Je suis ici parce que les profs n’en pouvaient plus de moi », lance Noah*.

« J’ai piraté la messagerie de profs et d’autres comptes d’école », avoue Samuel*.

« J’ai été suspendu parce qu’avec les amis, on rigolait, on faisait des petites batailles », explique Jérémie*.

Ces trois adolescents qui ont été suspendus de leur école se retrouvent en ce lundi ensoleillé au YMCA de l’avenue du Parc, à Montréal.

Comme tous les jeunes obligés de suivre en petit comité le programme « Alternative Suspension », ils y passeront entre trois et cinq jours, davantage en réflexion qu’en punition.

Un peu comme dans le film Breakfast Club, mais sous étroite supervision.

Toutes les écoles de l’île de Montréal, mais aussi des écoles de Laval, de la Rive Sud, de Trois-Rivières et de Québec sont inscrites au programme et peuvent y recommander les élèves qu’ils suspendent et qui ont besoin d’un petit électrochoc.

L’un des premiers objectifs du programme, c’est d’éviter de récompenser le jeune suspendu par une journée de farniente à la maison, devant ses jeux vidéo.

Les matins au YMCA sont consacrés au travail scolaire et l’après-midi, à des ateliers (sur l’intimidation, la violence, le racisme, etc.).

« Un séjour réussi, pour nous, c’est quand les jeunes ont aimé ça, mais qu’ils n’ont pas envie de revenir », résume le directeur Étienne Pagé, responsable au YMCA de la réussite scolaire.

Avant d’en arriver là, les jeunes ont d’abord fait quelques séjours au local de retrait de leur école, une espèce « de garderie pour ados », note M. Pagé (Noah qualifie plutôt le sien, à son école, de « local dépressif » sans fenêtre).

Au YMCA, c’est la vraie affaire. Obligés d’être sur place de 8 h 30 à 15 h 30, les jeunes sont alors coupés de leur milieu, sans contact avec leurs amis.

« Certains arrivent avec un petit crayon, en nous disant qu’ils n’ont pas de travaux à faire et que de toute manière, ils n’ont aucune idée pourquoi ils ont été suspendus », explique M. Pagé.

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Étienne Pagé, responsable au YMCA de la réussite scolaire à l’échelle du Québec

Mais ils ne peuvent pas faire la couleuvre avec nous : nous sommes en contact étroit avec leur école, qui nous envoie une liste de devoirs à leur faire faire. Et nous savons très bien la raison pour laquelle ils nous ont été référés.

Étienne Pagé, responsable au YMCA de la réussite scolaire

L’école peut envoyer le jeune au YMCA une fois par an, exceptionnellement deux fois par an tout au plus « pour ceux qui ont besoin d’une piqûre de rappel en fin d’année ! », lance M. Pagé.

Si le comportement n’est pas corrigé, l’artillerie lourde sera déployée : l’expulsion de l’école et, ultimement, l’admission dans une école pour jeunes qui présentent des troubles de comportement, là où « où ça brasse pas mal », fait observer M. Pagé.

Aucun des adolescents interviewés ce jour-là n’est un revendeur de drogue, un délinquant fini ou un jeune suspendu pour possession d’arme à l’école.

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L’intervenante Wadly Dejala aide un étudiant avec son travail scolaire.

Ils semblent bien encadrés à la maison. Par exemple, Jérémie raconte s’être fait chauffer les oreilles par ses parents. « Ils m’ont dit qu’ils ne m’ont pas élevé comme cela, ils ont confisqué mon téléphone, ils m’ont empêché d’aller à mon match de basket. »

Pour Sam, les derniers temps n’ont pas été jojo non plus. L’école a mis un mois avant d’identifier ceux qui avaient piraté les comptes de l’école. « Moi, je ne disais rien, j’avais peur qu’ils m’expulsent, puis j’espérais qu’ils oublient ça et passent à autre chose, mais non… »

Les parents de Sam lui interdisent maintenant de fréquenter son acolyte.

« Mon ami, c’est un très bon gars et dans le fond, pour être honnête, quand il a commencé à aller trop loin et à écrire de très mauvais mots, j’aurais pu l’arrêter », admet-il en entrevue.

Aux premières loges des effets des réseaux sociaux

Cela fait 19 ans que M. Pagé dirige le programme et il a été aux premières loges, ces dernières années, « de l’impact terrible des réseaux sociaux », de l’anxiété, de la violence et des comparaisons qu’ils favorisent, dit-il. « Les jeunes se comparent à ceux qui font du bateau en Jamaïque ! »

Quand les cas les plus lourds se présentent au YMCA, les responsables savent souvent qu’il n’y aura pas de miracle.

« Ça nous permet tout au plus de démontrer aux parents que même une intervention serrée dans un petit groupe ne change rien » et qu’une école spécialisée s’impose alors, explique M. Pagé.

Lensa Hassan, intervenante jeunesse, explique avoir d’ailleurs appris à être plus réaliste.

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Lensa Hassan, intervenante jeunesse au YMCA, ne cache pas son inquiétude devant les nombreuses remarques sexistes, racistes et homophobes qu’elle entend des jeunes.

Contrairement à mes débuts, je sais maintenant que je ne pourrai pas en quelques jours changer du tout au tout les jeunes que j’ai devant moi.

Lensa Hassan, intervenante jeunesse

Certains la bouleversent, comme cet adolescent qui, au détour d’une discussion en atelier sur les relations amoureuses, a lancé qu’il n’en avait rien à faire vu « qu’on peut s’acheter une femme ».

Mme Hassan ne cache pas être troublée de voir autant d’adolescents être des adeptes d’Andrew Tate et de Kai Cenat, qui professent des horreurs sur les femmes sur l’internet.

À l’inverse, quels jeunes émeuvent le plus Mme Hassan ? Ceux qui ont été suspendus parce qu’ils ont répondu à la violence par la violence, comme cette adolescente sans cesse insultée sur son physique et qui s’est vengée après des mois d’intimidation.

« Elle ignorait qu’elle aurait pu aller chercher de l’aide. »

* Les prénoms ont été modifiés pour préserver l’anonymat des jeunes qui ont gentiment accepté de nous parler.

Un programme exporté en Europe

Le programme Alternative Suspension fête cette année son 25anniversaire. Il y a un quart de siècle, le ministère de la Justice fédéral a financé la création de ses quatre premières antennes, à condition qu’il soit étroitement évalué par des experts et qu’il donne des résultats.

Le programme a fait boule de neige. Lancée à Montréal, sa formule a été exportée intégralement dans trois communes de France, de même qu’en Irlande, en Grande-Bretagne et en Australie. Le programme est aujourd’hui offert dans 70 points de service au total.

En savoir plus
  • 3200
    Nombre de jeunes référés au programme Alternative Suspension à travers le Canada, dont 1700 au Québec
    Source : YMCA (Données de 2023-2024)