Une jeunesse innue « malade », un manque critique de logements, un couvre-feu mésadapté : l’enquête publique sur la mort de Raphaël « Napa » André s’est attardée mardi sur les causes ayant mené à la mort de l’homme dans une toilette chimique en janvier 2021.

Ce qu’il faut savoir

  • Raphaël André, un homme originaire de la communauté innue de Matimekush-Lac John, a été retrouvé sans vie dans une toilette chimique en janvier 2021, une affaire qui a secoué et ému la population.
  • Le Québec était en pleine pandémie de COVID-19 et un couvre-feu était en vigueur au moment de sa mort.
  • L’enquête publique du coroner visant à faire la lumière sur la mort de l’homme de 51 ans a repris mardi après une semaine de pause.

Après une semaine de pause, les audiences devaient reprendre par le témoignage de la mère du défunt. Or, il a dû être reporté puisque l’avion qui devait l’amener de Schefferville a subi un bris.

Le témoignage du chef du Conseil de la Nation innue Matimekush-Lac John, d’où venait Raphaël André, a donc été avancé.

La voix de l’élu, visiblement très émotif, s’est brisée dès qu’il a commencé à parler au micro. Réal McKenzie a d’abord rappelé le racisme vécu par les Innus de Schefferville après l’arrivée des Blancs dans la région, à la suite de la découverte des premiers gisements de fer, dans les années 1940.

Une réalité indissociable des difficultés sociales vécues encore aujourd’hui par certains des siens, a-t-il fait valoir à la coroner, MStéphanie Gamache.

« Tout ce que je dis, ça a un lien avec la mort tragique de Raphaël. Peut-être a-t-il vécu le racisme, comme itinérant, à Montréal. Je témoigne ici avec beaucoup de blessures, mais beaucoup d’espoir aussi », a déclaré M. McKenzie en précisant qu’il ne connaissait pas personnellement Raphaël André.

Une critique

Décrivant son rôle de chef comme celui d’« un médecin, un psychologue, un curé », selon la situation, Réal McKenzie a ensuite évoqué les problèmes de consommation vécus par de nombreux jeunes de sa communauté.

La jeunesse est malade. Et c’est ma responsabilité. Je ne peux pas sauver tout le monde, je ne suis pas le bon Dieu, mais ils vont s’en sortir. On a espoir.

Réal McKenzie, chef du Conseil de la Nation innue Matimekush-Lac John

À mots couverts, Réal McKenzie a critiqué la façon dont a été gérée la situation de Raphaël André, quelques heures avant sa mort. L’homme s’était retrouvé dans la rue après avoir dû quitter le refuge où il se trouvait, le centre La Porte ouverte, le soir du 17 janvier 2021. Celui-ci devait fermer à 21 h en raison des règles imposées durant le couvre-feu.

« Est-ce qu’une personne de plus aurait pu être sauvée si on avait oublié les règlements, s’il avait pu coucher par terre ? », s’est-il demandé.

Lors du témoignage suivant, le DStanley Vollant, lui aussi d’origine innue, a directement pointé l’instauration d’un couvre-feu durant la pandémie comme facteur ayant contribué à la mort de Raphaël André.

De fermer les centres [pour sans-abri], d’établir un couvre-feu, je me disais qu’il pouvait y avoir des conséquences négatives. Je ne pensais pas que ça arriverait aussi vite.

Le DStanley Vollant

« Pas de maudit bon sens »

Des propos appuyés par le témoignage, en après-midi, d’un intervenant chargé d’accompagner les personnes autochtones en situation d’itinérance pour l’organisme Médecins du monde. « Il y a plein de gens qu’on voyait plus et qu’on rencontrait régulièrement précédemment. C’est une réalité qu’on a perdu contact », a indiqué J. S., qui connaissait Raphaël André.

Le DStanley Vollant a poursuivi en racontant avoir lui aussi rencontré à quelques reprises Raphaël André. Il a aussi marché des centaines de kilomètres avec ses parents à l’occasion d’une grande marche durant laquelle il a rejoint plusieurs communautés autochtones, jusqu’à Kuujjuaq, dans le Nord-du-Québec.

« On a souffert du froid, mais pour ses parents, que leur fils soit mort de froid, en pleine zone urbaine, dans une toilette chimique, avec des maisons autour, ça n’avait pas de maudit bon sens », a-t-il expliqué à la coroner.

Pour expliquer l’exode du défunt de sa communauté, le DVollant a mentionné les problèmes de logement. Une situation qui n’est pas propre à Matimekush-Lac John, le taux de natalité des Premières Nations étant de trois à quatre fois plus élevé que la moyenne canadienne, a-t-il souligné.

« Les gens vont partir en ville dans l’espoir de trouver une meilleure situation, et c’est rarement le cas. C’est très difficile pour un Autochtone de s’y loger. C’est un des facteurs qui contribuent à l’itinérance [autochtone] à Montréal », a-t-il expliqué.

En clôture de la journée, la directrice du Réseau d’aide aux personnes seules et itinérantes de Montréal (RAPSIM), Annie Savage, a évoqué les problèmes rencontrés en lien avec la situation « instable » des refuges pour sans-abri durant la pandémie.

« Disons que j’ai pris l’habitude depuis trois semaines d’aller à tel site, mais là, il y a une éclosion [de COVID-19] et je ne peux plus y aller. Je vais où ? La réponse, souvent, c’était : nulle part », a-t-elle expliqué.

L’enquête publique se poursuit ce mercredi et se terminera le 14 juin.