Un juge de la Cour supérieure a autorisé en partie lundi la demande d’injonction provisoire de l’Université du Québec à Montréal (UQAM) visant à démanteler une partie du campement propalestinien installé sur la pelouse du Complexe des sciences Pierre-Dansereau. Explications.

Que dit la décision ?

Commençons par ce qu’elle ne dit pas : la Cour supérieure n’ordonne pas le démantèlement complet du campement. Elle oblige plutôt ses occupants à dégager un espace de deux mètres le long du pavillon universitaire, de manière à créer un corridor de circulation. Les manifestants devront également retirer tout matériel obstruant les portes, les fenêtres et les caméras de sécurité. Finalement, ils devront permettre au Service de sécurité incendie de Montréal de visiter le campement – présentement interdit d’accès – afin de vérifier la sécurité des lieux. « Ces mesures de sécurité ne nuiront pas à l’exercice du droit à la liberté d’expression, incluant celui de manifester », a souligné le juge Louis-Joseph Gouin dans sa décision rendue tôt lundi matin.

Et c’est ce que l’Université demandait ?

PHOTO RYAN REMIORZ, LA PRESSE CANADIENNE

Campement propalestinien sur le campus de l’UQAM

Essentiellement, oui. Lundi, la direction a réitéré que sa demande ne visait « en aucun cas » à démanteler le campement ou à remettre en question le droit de manifester des étudiants. Au contraire, elle se disait prête à tolérer la présence des manifestants, à condition qu’ils n’entravent pas la libre circulation et l’accès et la sortie des bâtiments et qu’ils n’endommagent pas les biens. Devant le tribunal, l’Université a présenté des photos montrant des murs recouverts de graffitis, des fenêtres recouvertes par des sacs poubelles et des portes entravées par des bouts de bois. Des manifestants ont également été aperçus alors qu’ils pénétraient dans le campement avec des barres de fer, des morceaux d’asphalte et des bidons d’essence, a-t-elle affirmé. « Le Tribunal est d’avis que la sécurité de la Cour intérieure et du Complexe constitue un enjeu primordial pour lequel aucun compromis ne peut être envisagé », a conclu le juge, ajoutant qu’un dégagement de deux mètres était « suffisant », contrairement aux trois mètres suggérés par l’Université.

Comment ont réagi les manifestants ?

Une assemblée générale était prévue en soirée afin de déterminer s’ils respecteraient les ordonnances du tribunal. « Ça sera une décision collective », a brièvement réagi une représentante du campement, Leila Khaled. Les autres manifestants rencontrés sur place – la plupart masqués – refusaient de s’adresser aux médias. Devant le tribunal, ils alléguaient qu’un démantèlement même partiel mettrait en péril le campement. « Il n’en est rien », a répliqué le juge Gouin. « Peut-être que cela signifiera de réduire le nombre de tentes, ou invitera les occupants du Campement à une plus grande promiscuité, mais on ne peut mettre davantage à risque la sécurité pour permettre aux occupants d’ainsi occuper, à leur aise, la presque totalité de la cour intérieure du Complexe », a-t-il expliqué. Rappelons que les manifestants demandent à l’administration qu’elle divulgue tout lien avec Israël et qu’elle adopte une politique de boycottage institutionnel.

Pourquoi la demande d’injonction de l’Université McGill n’a pas fonctionné, mais celle-ci, oui ?

PHOTO DOMINICK GRAVEL, LA PRESSE

Campement propalestinien à l’Université McGill, plus tôt ce mois-ci

Début mai, l’université anglophone a déposé une demande d’injonction interlocutoire provisoire visant à démanteler le campement propalestinien installé sur son terrain. Mais elle a été rejetée. La raison ? La direction avait échoué à démontrer l’urgence d’agir. En effet, aucun incident violent n’avait été rapporté depuis l’apparition des premières tentes sur son campus. Même la contre-manifestation évoquée par l’Université pour illustrer la crainte d’une escalade de tensions « s’est faite pacifiquement », avait souligné le juge Marc St-Pierre. Or, une demande d’injonction interlocutoire provisoire ne peut être accordée à titre préventif, avait-il rappelé. Cette fois, la situation est différente. Le week-end dernier, des affrontements ont éclaté entre des manifestants et des policiers qui ont eu recours aux bâtons et au gaz irritant, blessant « plusieurs » personnes, a dénoncé le campement. Devant la montée des tensions, la ministre de l’Enseignement supérieur, Pascale Déry, a lancé un appel au calme. « La sécurité est présentement mise à mal et il est urgent d’y pallier avant qu’un évènement malheureux ne se produise », a souligné le juge Louis-Joseph Gouin.

Qu’arrivera-t-il si les campeurs ne respectent pas l’ordonnance ?

Questionnée pour savoir si elle solliciterait l’intervention de la police, l’Université a répondu qu’elle n’en était « pas là du tout ». « Le dialogue demeure notre priorité pour la mise en œuvre du jugement », a indiqué la directrice du service des communications de l’UQAM, Jenny Desrochers. Dans une déclaration aux médias, le recteur Stéphane Pallage a fait valoir qu’il comptait sur la « collaboration » des manifestants pour mettre en œuvre les aménagements énumérés dans le jugement. « Une fois les questions de sécurité réglées, le dialogue sur le fond des revendications pourra se prolonger dans la sérénité », a-t-il poursuivi. La direction a récemment mis sur pied un comité de travail ad hoc qui lui recommandera une position commune sur les actions devant être adoptées par l’établissement en lien avec le conflit en Palestine. De son côté, le Service de police de la Ville de Montréal a pris acte du jugement. « Le rôle des policières et des policiers est d’assurer la paix, le bon ordre, la sécurité de toutes les personnes impliquées, et ce, dans le respect des droits et libertés », a-t-il déclaré.

L’Université de Toronto demandera une injonction

PHOTO CHRIS YOUNG, LA PRESSE CANADIENNE

Campement propalestinien à l’Univesité de Toronto, lundi

L’Université de Toronto a annoncé lundi qu’elle demandera une injonction pour ordonner rapidement le démantèlement du campement propalestinien installé sur son campus depuis plus de trois semaines. Dans une déclaration publiée lundi matin, le président de l’université, Meric Gertler, a soutenu que la direction demanderait au tribunal une conférence préparatoire accélérée pour sa demande d’injonction. Les manifestants ont aussitôt déclaré qu’ils étaient prêts à riposter avec leur propre équipe juridique et ils ont refusé de quitter les lieux, ignorant le délai fixé à lundi matin dans un avis d’intrusion envoyé vendredi.

La Presse Canadienne