Des haies de cèdres entièrement dégarnies, sinon pour une infime partie à leur cime. En cause : des bêtes affamées ayant jeté leur dévolu sur la seule nourriture qu’ils ont pu trouver. La saga des cerfs de Longueuil n’a pas fini de hanter la Ville, alors qu’elle doit dédommager deux citoyens dont la propriété a été saccagée par les animaux sauvages.

Aux petites créances

En 2019, Pierre Avon et Michel Harvey ont chacun intenté une poursuite aux petites créances contre la Ville de Longueuil, après que leurs haies de cèdres eurent été dévorées par des cerfs. Les bêtes, avaient tranché les petites créances en 2022, manquaient de nourriture pour subvenir à leurs besoins, notamment dans le parc Michel-Chartrand, où leur surpopulation « menace l’équilibre écologique ». Ce faisant, nombre d’entre elles se sont rabattues sur les haies de cèdres de particuliers, parfois situées à des centaines de mètres du parc, pour se nourrir. MM. Avon et Harvey alléguaient ainsi que « la Ville avait manqué à ses obligations dans sa gestion de la surpopulation des cerfs ». La Division des petites créances de la Cour du Québec avait tranché en leur faveur.

Situation « prévisible »

Les petites créances avaient estimé que la Ville était au fait du problème de surpopulation sur son territoire « et des risques qui y sont associés » depuis de nombreuses années, mais qu’elle avait tardé à agir. Ce faisant, elles ont conclu que la situation « vécue par Harvey et Avon en 2019 était prévisible et que la Ville n’a pas agi avec prudence et diligence afin de contrôler la surpopulation de cerfs ». Le tribunal leur avait conséquemment accordé les dommages réclamés, soit des sommes de 5000 $ et 15 000 $. Depuis les faits reprochés à Longueuil dans cette affaire, la Ville a annoncé son intention de procéder, à l’automne, à l’abattage de cerfs – jusqu’à 100 bêtes pourraient être mises à mort.

« Négligence »

Le feuilleton judiciaire ne s’est pas arrêté aux petites créances, même si les décisions y sont d’ordinaire « sans appel », tel que le souligne la Cour supérieure. La Ville de Longueuil, avançant qu’il y avait eu « absence ou excès de compétence de la part du tribunal », a déposé un pourvoi en contrôle judiciaire. Joints par La Presse, MM. Avon et Harvey ont tous deux préféré ne pas commenter la récente décision, puisque la Ville dispose de la possibilité d’en faire appel. M. Harvey, dont la propriété a perdu de la valeur en raison des dommages à ses cèdres, dit-il, a toutefois déploré que la municipalité soit prête à dépenser des sommes considérables plutôt que de reconnaître sa responsabilité. Et il insiste : « En cour des petites créances, je n’ai pas attaqué les chevreuils, j’ai attaqué la négligence de la Ville. »

Lien juridique mis en cause

Devant la Cour supérieure, la Ville a argué qu’aucun lien juridique ne l’unissait aux cerfs, puisqu’il s’agit d’« animaux sauvages en liberté et sans maître ». Après analyse, la Cour supérieure a toutefois établi que le statut juridique des cerfs n’engageait pas une « immunité de responsabilité » de la Ville. Cette dernière prétendait également que la Cour ne pouvait lui imposer une obligation à l’égard de bêtes seulement parce qu’elles se retrouvent sur des terrains lui appartenant – dont le parc Michel-Chartrand –, un « argument rejeté ». Aux petites créances, les plaignants avaient avancé que la Ville avait au contraire reconnu sa responsabilité dans un document remis aux citoyens où on pouvait lire qu’« il est de la responsabilité de la Ville de gérer la population de cerfs sur son territoire ».

Argument rejeté d’emblée

Enfin, la Ville tentait de faire valoir que « sa responsabilité ne peut être engagée, car il y a absence de preuve de faute lourde ou intentionnelle, ou de mauvaise foi ». Cet argument n’ayant pas été plaidé aux petites créances, la Cour supérieure l’a rejeté d’emblée, affirmant que le « contrôle judiciaire n’est pas une analyse de novo de la décision contestée ». La Ville de Longueuil a jusqu’au 18 mai pour interjeter appel de la décision. Puisque ce délai n’est pas encore écoulé, elle a préféré ne pas commenter l’affaire.