(Québec) Même si le Québec s’est doté de cibles ambitieuses pour l’électrification des transports, les voitures à essence n’ont pas dit leur dernier mot. Les chiffres les plus récents montrent que leur nombre a atteint un sommet dans la province en 2023, malgré les intentions du gouvernement et les généreux programmes d’aide à l’achat de véhicules électriques.

Pas plus tard qu’en décembre dernier, le ministre de l’Environnement se réjouissait pourtant publiquement d’une première : le nombre de véhicules à essence avait chuté en 2022 au Québec.

« Depuis 1985, c’est la première fois qu’on note une diminution du nombre de véhicules à essence, soit 40 000 véhicules thermiques de moins », affirmait Benoit Charette.

Mais quelques mois plus tard, le portrait est entièrement différent. La Presse a obtenu de la Société de l’assurance automobile du Québec (SAAQ) les chiffres au 31 décembre 2023, afin de vérifier si la baisse de 2022 était le début d’une tendance. Il semble que non.

Entre 2021 et 2022, le nombre d’automobiles et de camions légers de type promenade à essence (hors véhicules électriques, à pile à hydrogène et hybrides branchables) a en effet baissé de 46 385 dans la province. Il s’agissait d’une première en 40 ans. Mais de 2022 à 2023, leur nombre a grimpé de 162 249 pour atteindre le sommet de 4,8 millions sur les routes du Québec.

Il est vrai que le nombre de véhicules « verts » augmente beaucoup plus vite toutes proportions gardées. Il a presque doublé en 2023. Le nombre d’automobiles et de camions légers électriques, à hydrogène et hybrides est en effet passé de 148 862 à 247 025, note la SAAQ.

Rappelons que Québec a annoncé son intention d’interdire dès 2035 la vente de véhicules à essence neufs. Le gouvernement Legault a aussi énoncé l’objectif d’avoir deux millions de véhicules électriques sur les routes d’ici 2030.

La démographie montrée du doigt

Comment expliquer ce renversement statistique important ? « Nous ne faisons pas ce genre d’analyse », a répondu la SAAQ.

Invité à commenter ces chiffres, le ministre de l’Environnement a pointé la démographie. « La croissance de la population du Québec semble être le principal déterminant de la croissance du parc de voitures en 2023 », écrit le cabinet de Benoit Charette dans un courriel.

L’Institut de la statistique du Québec (ISQ) note que la population du Québec a augmenté de 218 000 habitants en 2023 pour atteindre 8,98 millions au 1er janvier 2024. « Cette croissance repose presque exclusivement sur la migration internationale, et principalement sur l’immigration temporaire (+174 200) », note l’ISQ.

La Corporation des concessionnaires automobiles du Québec (CCAQ) se demande si le contexte économique n’a pas favorisé la vente de véhicules à essence. « On peut présumer que la question de l’abordabilité des véhicules électriques pèse lourd dans la décision d’achat. C’est d’autant plus vrai dans une période économique marquée par l’inflation et la hausse des taux d’intérêt », souligne Ian P. Sam Yue Chi, PDG de la CCAQ.

PHOTO PATRICE LAROCHE, ARCHIVES LE SOLEIL

Le contexte économique a-t-il favorisé la vente de véhicules à essence ? se demande la Corporation des concessionnaires automobiles du Québec.

« Dans ce contexte, l’abandon par le gouvernement du Québec des subventions du programme Roulez vert envoie un signal négatif aux consommateurs », ajoute-t-il.

La « pensée magique » ?

Les subventions de la province aux acheteurs de véhicules électriques vont commencer à fondre dès 2025 et disparaître en 2027, a récemment annoncé Québec.

L’ancien ministre de l’Environnement du Québec Daniel Breton critique l’approche du gouvernement actuel dans ce dossier. « Ça fait des années que je dis au gouvernement que la façon la plus efficace de réduire les émissions, c’est de mettre en place un bonus-malus qui coûterait zéro dollar la tonne et qui encouragerait la vente de véhicules électriques et découragerait la vente de véhicules énergivores », indique en entrevue M. Breton.

Les ventes de véhicules à essence sont reparties à la hausse en 2023, après une accalmie en 2022. Alors, que le gouvernement veuille enlever le rabais à l’achat de véhicules électriques et ne pas décourager l’achat de véhicules à essence, pour moi, ça relève de la pensée magique. Ils n’y arriveront pas sans véritables mesures.

Daniel Breton, PDG de Mobilité électrique Canada

Pendant que le nombre d’automobiles à essence augmente, le recours au transport collectif stagne. En effet, les transporteurs du pays constatent que l’achalandage plafonne à 80 % du niveau prépandémique, selon les données de Statistique Canada.

Chez Équiterre, on ne se montre pas surpris par les dernières statistiques de la SAAQ. « Ça ne nous surprend pas, même si ça nous désole. Ça montre qu’il y a encore trop peu d’alternatives à l’auto solo », lâche Anne-Catherine Pilon, analyste en mobilité durable à Équiterre.

Selon elle, les efforts doivent être surtout investis dans le transfert modal des automobilistes vers le transport collectif ou actif. Le parc automobile, qu’il soit thermique ou électrique, croît plus vite que la population, note-t-elle.

« On parle très peu de faire un réel transfert modal vers le transport collectif, le transport actif. On a besoin d’avoir une vision pour le transport collectif. Ça doit faire partie de la vision du gouvernement », dit Mme Pilon, alors même que les sociétés de transport en commun vivent une crise des finances.

Le ministre de l’Environnement soulève que « plusieurs investissements envers l’électrification ont été faits et que, sans cette action de notre gouvernement, la croissance du nombre de voitures à essence aurait pu être plus élevée puisqu’en 2023, 20 % des nouveaux véhicules immatriculés étaient des voitures électriques ou hybrides branchables ».

Le cabinet de Benoit Charette rappelle que de toute façon, Québec veut interdire la vente de voitures à essence en 2035, ce qui va signifier le début de la fin pour la voiture thermique.