(Ottawa) La mère du Québécois tué par une frappe aérienne sur des travailleurs humanitaires dans la bande de Gaza, lundi, rejette l’explication d’Israël sur ce qui s’est passé ce jour-là.

Mais Sylvie Labrecque, la voix nouée par l’épuisement et le chagrin, garde espoir que la mort de son fils, Jacob Flickinger, et six de ses collègues apportera un changement positif pour tous les travailleurs humanitaires et pour la population de la bande de Gaza.

« Je me sens sereine dans le sens où j’ai l’impression que beaucoup de gens honorent Jacob de différentes manières, a-t-elle déclaré en entrevue. J’espère donc qu’il y aura un impact positif en termes de possibilités d’éviter une partie de ces morts. »

Son fils Jacob Flickinger, un ancien militaire âgé de 33 ans, était l’un des sept employés de l’organisme non gouvernemental (ONG) « World Central Kitchen » morts le 1er avril lorsque leur convoi a été touché par une série de frappes de drones, après avoir livré 100 tonnes de nourriture dans un entrepôt à Deir el-Balah, au centre de la bande de Gaza.

Alors qu’il était membre du Royal 22e Régiment de Québec, M. Flickinger avait été déployé en Afghanistan en 2010. Retraité de l’armée canadienne en 2019, il s’était joint à l’ONG « World Central Kitchen » l’automne dernier pour se remettre d’un syndrome de stress post-traumatique. Il se trouvait dans la bande de Gaza depuis le début du mois de mars.

Lui et sa compagne, Sandy Leclerc, vivaient au Costa Rica avec leur fils, aujourd’hui âgé de 18 mois.

Outre le Québécois, la frappe israélienne a tué l’Australienne Lalzawmi (Zomi) Frankcom, 43 ans, le Polonais Damian Sobol, 35 ans, le Palestinien Saifeddin Issam Ayad Abutaha, 25 ans, ainsi que les Britanniques John Chapman, 57 ans, James Henderson, 33 ans, et James Kirby, 47 ans.

La mort de ces travailleurs humanitaires a suscité l’indignation dans le monde – et même l’allié le plus ardent d’Israël, les États-Unis, a émis une sévère réprimande et un avertissement.

Le président Joe Biden a déclaré jeudi au premier ministre Benyamin Nétanyahou, lors d’un appel téléphonique, que le soutien continu des États-Unis aux efforts d’Israël pour éradiquer le Hamas dans la bande de Gaza dépendait de mesures concrètes visant à protéger les travailleurs humanitaires et à ouvrir davantage de voies d’accès pour l’aide humanitaire.

Le bureau de M. Netanyahou a déclaré vendredi matin que son Cabinet de sécurité avait approuvé une série de « mesures immédiates » pour augmenter le flux d’aide humanitaire vers la bande de Gaza, y compris la réouverture d’un passage clé qui avait été détruit lors de l’attaque du Hamas le 7 octobre.

Une enquête interne

Israël a également publié les conclusions d’une enquête menée par un général israélien à la retraite, qui a imputé la frappe aérienne à une violation des procédures et à une erreur d’observation sur le terrain.

Le porte-parole militaire a déclaré qu’en vertu des règles d’engagement de l’armée israélienne, les officiers doivent avoir plus d’une raison pour identifier une personne comme cible avant de pouvoir la toucher.

Mais l’enquête a déterminé qu’un colonel avait autorisé la série de frappes meurtrières de drones en se basant sur l’observation d’un major – à partir d’images granuleuses d’une caméra montée sur un drone – selon laquelle quelqu’un dans le convoi était armé. Cette observation s’est révélée fausse, ont déclaré des responsables militaires.

L’armée a indiqué que le colonel et le major avaient été limogés, tandis que trois autres officiers avaient été réprimandés, dont le plus haut gradé était le responsable du commandement sud.

Les résultats de son enquête ont été transmis au procureur général de l’armée, qui décidera si les officiers ou toute autre personne impliquée dans la mort des humanitaires doivent être davantage punis ou même poursuivis en justice.

« C’est une tragédie », a déclaré aux journalistes le porte-parole de l’armée, le contre-amiral Daniel Hagari. « C’est un évènement grave dont nous sommes responsables et ça n’aurait pas dû se produire – et nous veillerons à ce que ça ne se reproduise plus. »

Sylvie Labrecque, elle, soutient que cette explication sonne faux. « Ils nient que ce soit de leur faute », a-t-elle déclaré. « Les gens peuvent bien décider quoi penser, mais pour moi, c’est des conneries. Bien sûr, c’était absolument prévu de telle manière que c’est ce qu’ils voulaient faire : ils voulaient éliminer ces travailleurs, ces humanitaires, (puisqu’ils) ne veulent tout simplement pas nourrir les réfugiés. Ils veulent qu’ils meurent, vous savez. »

Les travailleurs humanitaires empruntaient un itinéraire approuvé par l’armée israélienne pour transférer de la nourriture depuis une jetée de fortune, construite par « World Central Kitchen » sur la côte de la bande de Gaza, jusqu’à un entrepôt à Deir el-Balah, une ville située entre Rafah et Gaza.

À la mi-mars, les efforts de l’ONG pour construire cette jetée, en utilisant les gravats de bâtiments bombardés, lui ont permis d’acheminer de l’aide vers la bande de Gaza par voie maritime pour la première fois depuis plus de deux décennies.

Dans un communiqué, vendredi, « World Central Kitchen » souligne que le rapport israélien indique clairement que l’armée (Tsahal) « a déployé une force meurtrière sans tenir compte de ses propres protocoles, chaîne de commandement et règles d’engagement ».

« Tsahal a reconnu que nos équipes avaient suivi toutes les procédures de communication appropriées. La propre vidéo de Tsahal ne montre aucune raison de tirer sur notre convoi de personnel, qui ne transportait aucune arme et ne représentait aucune menace. »

L’ONG réclame une commission indépendante pour enquêter sur cette tragédie. « World Central Kitchen » a suspendu lundi ses activités dans la bande de Gaza.