Les autorités de Kahnawake ont ordonné lundi la fermeture du populaire casino Magic Palace, soupçonné par la Gendarmerie royale du Canada (GRC) d’être utilisé pour blanchir l’argent sale des cartels mexicains. Le restaurant de l’établissement a aussi été fermé.

L’avocat des propriétaires de l’établissement, Me Pierre L’Écuyer, a confirmé à La Presse que six Peacekeepers se sont présentés sur place lundi afin de fermer le casino et son restaurant, situés sur la route 132. Il affirme que l’entreprise va contester cette décision des autorités de la réserve mohawk.

En octobre dernier, La Presse a révélé que la GRC soupçonnait le cartel de Sinaloa, l’une des plus puissantes organisations criminelles au monde, de laver son argent sale par l’entremise du Magic Palace.

À partir d’informations provenant du Mexique et de l’Albanie, la police fédérale avait identifié un ressortissant albanais et résidant de l’île de Montréal, Luftar Hysa, comme étant possiblement impliqué dans des opérations présumées de blanchiment d’argent pour le compte des trafiquants mexicains.

Officiellement, Luftar Hysa n’est pas inscrit publiquement comme l’un des propriétaires du Magic Palace. Toutefois, dans une entrevue à la télévision albanaise, il a dit être propriétaire du restaurant Mirela, aménagé à l’intérieur du casino.

« Tout indique que Luftar Ali HYSA s’est infiltré dans la réserve indienne de Kahnawake pour faciliter les activités de blanchiment d’argent au nom du cartel mexicain de Sinaloa, ainsi que pour son propre compte », affirmait une enquêteuse dans une dénonciation sous serment déposée au palais de justice de Montréal et que La Presse a obtenue.

CAPTURE D’ÉCRAN D’UNE ÉMISSION DE LA CHAÎNE ALBANAISE TELEVIZIONI KLAN

Luftar Hysa, lors d’une entrevue à la télévision albanaise

La policière affirmait que l’équipe nationale du renseignement criminel de la GRC considérait M. Hysa comme un blanchisseur d’argent international établi au Québec. Elle notait que l’homme d’affaires fait de constants allers-retours entre Montréal, le Mexique et l’Europe.

Elle révélait aussi que les autorités de l’Albanie ont demandé l’aide de la police canadienne pour enquêter sur Luftar Hysa. Dans leur demande, celles-ci mentionnaient que l’homme d’affaires « était suspecté de faire partie d’un groupe criminel avec des activités de recyclage des produits de la criminalité au Mexique, Canada, Panamá, Pologne et Albanie ».

La majorité des profits à l’investisseur externe

M. Hysa a fait la manchette au Mexique en septembre 2022 à cause de ses liens allégués avec le crime organisé : deux journaux concurrents, El Universal, puis Milenio, ont cité des sources des services de sécurité fédéraux mexicains selon lesquelles il aurait conclu un accord pour blanchir l’argent du cartel de Sinaloa.

En décembre dernier, le journal Excelsior a toutefois soulevé un doute sur ces allégations en citant des documents du Procureur général du Mexique qui stipulaient que la famille Hysa n’a fait l’objet d’aucune enquête dans le pays et que ses membres n’ont pas d’antécédents judiciaires.

Après la publication du reportage dans La Presse, le conseil de bande de Kahnawake avait embauché une firme américaine spécialisée dans les examens de maisons de jeu pour mener un audit du Magic Palace.

« Le résultat de cette enquête a révélé qu’il y avait un bénéficiaire propriétaire non divulgué du Magic Palace », a précisé le conseil dans un communiqué diffusé mardi.

Ce bénéficiaire n’est pas membre de la Première Nation mohawk, exerce un contrôle important sur le casino et empoche la majorité de ses bénéfices, poursuit le communiqué. Selon le conseil, la présence de ce propriétaire de l’extérieur de la communauté viole les termes de l’entente qui permettait l’exploitation du casino sur le territoire.

« L’objectif de permettre [aux opérateurs d’appareils de loterie vidéos] d’opérer au sein de la communauté a toujours été d’assurer que la communauté en bénéficie », poursuit le conseil, qui parle d’un « message fort » envoyé aux entreprises de jeu afin qu’elles adhèrent aux plus hauts standards éthiques afin de préserver la réputation de Kahnawake.

Des spéculations, dit son avocat

Me Pierre L’Écuyer a confirmé mardi que Luftar Hysa est « un investisseur » dans l’établissement, qui fait profiter ses partenaires de son expérience dans la gestion de casinos au Mexique. Mais l’avocat affirme du même souffle que les deux propriétaires sont bel et bien membres de la communauté de Kahnawake. Il s’agit de Stan Myiow et d’Alfred Barry.

Me L’Écuyer affirme par ailleurs que les soupçons de la GRC sur M. Hysa, qui est aussi son client, sont basés sur des informations erronées colportées au Mexique par des concurrents qui souhaitaient éjecter M. Hysa de l’industrie des casinos.

« La personne qui a lancé ces allégations a reconnu que c’était faux », affirme-t-il.

Le mot se serait passé du Mexique à l’Albanie puis à la police canadienne, croit l’avocat. « Ce sont des spéculations, sans aucune donnée concrète », dit-il.

Quant aux montants des virements suspects que la GRC dit avoir retracés, « les chiffres sont d’une fausseté grandiose », dit-il.