Déjà voisins de la plus grosse prison au Québec, des citoyens d’Ahuntsic-Cartierville dénoncent l’idée du gouvernement d’en construire une nouvelle juste à côté, un projet pour lequel ils déplorent ne pas avoir été consultés.

« On a assez donné », souffle Martin Chapdelaine, résidant de la rue Tanguay dont la cour donne directement sur le site du futur établissement de détention pour femmes de Montréal, un grand terrain gazonné où ont poussé de grands arbres.

Une invitation a été déposée dans sa boîte aux lettres vendredi dernier pour le convier à une « rencontre citoyenne » sur le projet, tout comme chez ses voisins et les résidants de la rue Poincaré, à l’ouest.

Le document mentionne qu’il y sera abordé le projet de « reconstruction de l’établissement de détention pour femmes de Montréal ». Or, il s’agit en fait de construire une nouvelle prison, une troisième, sur cet immense terrain du nord de l’île de Montréal.

Jusqu’en 2016, deux établissements de détention y ont cohabité. L’établissement de détention de Montréal, connu sous le nom de prison de Bordeaux, au nord, pour les hommes, et l’établissement de détention Maison Tanguay, au sud, pour les femmes.

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Terrain projeté pour la construction de la nouvelle prison pour femmes, jouxtant celui de l’établissement de détention de Montréal, situé juste au nord.

Puis ce dernier établissement a été fermé en 2016 en raison de sa désuétude, et ses détenues ont été transférées à la prison pour femmes Leclerc, à Laval.

« Dans le respect des considérations du voisinage »

Depuis, le Protecteur du citoyen, qui enquête sur les conditions de détention au Québec, a dénoncé à plusieurs reprises le caractère inadapté et vétuste de ce bâtiment surpeuplé.

En décembre 2022, il recommandait au gouvernement Legault « de s’engager, par une décision ferme, à construire un nouvel établissement de détention dans les meilleurs délais possibles ».

Quelques semaines plus tard, le ministre de la Sécurité publique, François Bonnardel, annonçait la construction d’un nouvel établissement de détention pour femmes à Montréal « sur une portion de terrain situé entre [la prison] Tanguay et [la prison de Bordeaux]. »

Le choix du site s’est effectué en fonction des besoins de construction […] et des besoins opérationnels tels que la proximité du palais de justice, la proximité d’un centre hospitalier et des services d’urgence, l’accès au transport en commun, la présence de services scolaires et professionnels offerts aux femmes.

Extrait du communiqué diffusé à l’époque

Le projet prévoit également la déconstruction des bâtiments désaffectés de l’ancienne prison Tanguay.

INFOGRAPHIE LA PRESSE

Site projeté pour le nouveau centre de détention pour femmes

Le document mentionne également que la réalisation du projet se fera « dans le respect des considérations du voisinage » et évoque « des rencontres avec les citoyens et citoyennes [...] à ce sujet ».

« Une, c’est assez »

Or, plusieurs voisins rencontrés affirment qu’ils n’ont jamais été consultés depuis cette annonce avant de recevoir vendredi dernier l’invitation à la rencontre citoyenne. Ils dénoncent également le fait qu’ils doivent s’y inscrire préalablement pour participer, alors que seuls les résidants des rues adjacentes au site l’ont reçue.

Pour eux, c’est la goutte qui fait déborder le vase.

« On a des expériences de vie avec Bordeaux qui font en sorte qu’on dit : une, c’est assez », lance Martin Chapdelaine.

Parmi ces expériences : la présence incessante de drones utilisés pour livrer de la drogue et des armes à l’intérieur des murs de l’établissement. Un désagrément plutôt léger si ce n’était des individus qui rodent parfois autour des résidences et jusque dans leurs cours pour récupérer de précieuses cargaisons échappées, selon M. Chapdelaine.

« Mon ami en a déjà vu un dans la cour de sa voisine et voulait appeler le 9-1-1, mais son ami l’a convaincu de ne pas le faire de peur d’avoir des problèmes avec ces gens », raconte Alexandre Daoust, un autre voisin du site projeté de la nouvelle prison pour femmes.

Or, le nombre de ces colis perdus risque d’augmenter si la construction de la nouvelle prison de 237 places se concrétise, craignent plusieurs.

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Alexandre Daoust et Martin Belhumeur, deux résidants du secteur opposés à la construction de la nouvelle prison pour femmes.

Sans parler des cris de détenus, de l’interphone qui peut être entendu bien au-delà des murs de la prison de Bordeaux et des phares des voitures de patrouille qui arpentent parfois le site et dérange le voisinage, déplore Martin Belhumeur, un autre résidant du secteur.

« On comprend, il faut les mettre à quelque part, ces gens-là et on est sensible à leur situation, mais on en a déjà beaucoup », plaide sa conjointe, Joëlle Chatel-DeRepentigny, en faisant référence à la prison de Bordeaux, considérée comme le plus important centre de détention provincial avec ses 1357 places.

Le regroupement de citoyens fait valoir que d’autres options pourraient être étudiées par Québec. Il prend en exemple le cas de la nouvelle prison de Minto, au Nouveau-Brunswick. D’abord projeté à Fredericton, où une importante mobilisation citoyenne s’y est opposée, l’établissement a finalement été construit dans cette petite municipalité et sera entouré d’une zone tampon boisée.

En savoir plus
  • 400 millions
    Coût total projeté du projet de construction du nouvel établissement de détention pour femmes à Montréal
    source : cabinet du ministre de la Sécurité publique