Guerre entre mafia et Hells Angels pour le contrôle des paris sportifs illégaux, meurtre de Gregory Woolley, révolte de trafiquants de drogue indépendants dans l’est du Québec et enquête majeure autour des révélations chocs d’un ancien tueur à gages qui rend des acteurs importants du milieu criminel très nerveux… Si 2023 a été mouvementée, 2024 pourrait l’être tout autant, sinon plus.

« Le crime organisé de haut niveau est déstabilisé et fragilisé. Et dans ce milieu-là, lorsqu’il y a une odeur de sang, il y a des requins ou des piranhas qui vont tenter de prendre position », dit le commandant Francis Renaud, de la Division du crime organisé du Service de police de la Ville de Montréal (SPVM).

Le 15 mars dernier, Leonardo Rizzuto, fils cadet de l’ancien parrain de la mafia Vito Rizzuto, a été blessé par balles à Laval. Il faut remonter à 2009 et 2016, alors que le clan des Siciliens faisait face à de véritables tentatives de putsch, pour trouver des attaques directes contre la famille qui règne sur la mafia montréalaise depuis plus de 40 ans.

PHOTO ALAIN ROBERGE, ARCHIVES LA PRESSE

Leonardo Rizzuto

En Beauce et à Hérouxville, des opposants aux Hells Angels s’en prennent depuis quelques semaines aux acteurs locaux du groupe de motards international et de leurs clubs subalternes.

Il aurait été impensable, il y a un an à peine, que des trafiquants indépendants osent s’attaquer aux Hells Angels, considérés par la police comme l’organisation criminelle la plus puissante au Québec, et même au Canada.

« Ce que l’on voit présentement, c’est que différentes cellules du crime organisé montréalais se sont fractionnées et ont perdu de l’influence et de la force. Cela fait en sorte que le milieu se demande ce qui se passe et se questionne : “Y a-t-il un pilote dans l’avion ou est-ce que la cabine de pilotage est vide présentement ?” », illustre le commandant Francis Renaud, selon qui la situation actuelle rappelle celles de 2009-2010 et de 2016, alors que des clans rebelles de la mafia et celui des frères Scoppa se sont attaqués aux Siciliens, qui sont sortis gagnants mais affaiblis de ces putschs avortés.

PHOTO MARTIN TREMBLAY, ARCHIVES LA PRESSE

Francis Renaud, commandant de la Division du crime organisé du SPVM

Pour la première fois depuis 2016, on voit certaines frictions. Et des frictions, dans ce monde-là, se traduisent toujours en de la violence, violence que les gens en place présentement n’ont jamais vécue. Tout le monde est surpris, s’observe, s’étudie et essaie de voir qui sont ses ennemis et ses vrais amis.

Francis Renaud, commandant de la Division du crime organisé du SPVM

Climat de confrontation

Depuis la mort naturelle de Vito Rizzuto en 2013, le crime organisé montréalais était dirigé par une alliance entre mafia et Hells Angels, dont le chef de gang Gregory Woolley était le pivot.

Une accalmie régnait depuis plusieurs années, mais l’alliance s’est dissoute quelque part en 2022, lorsqu’un conflit a éclaté entre le clan Rizzuto et des Hells Angels de Montréal pour le contrôle des lucratifs paris sportifs illégaux, détenu depuis des décennies par le clan sicilien de la mafia montréalaise.

PHOTO CHARLES WILLIAM PELLETIER, ARCHIVES LA PRESSE

Francesco Del Balso, ancien lieutenant du clan Rizzuto devenu associé des Hells Angels, a été assassiné le 5 juin, à Dollard-des-Ormeaux.

C’est dans ce contexte que Leonardo Rizzuto a été blessé en mars et que Claudia Iacono – par erreur – et Francesco Del Balso ont été assassinés en mai et en juin, vraisemblablement en représailles à l’attentat contre le fils du défunt parrain.

Il y a certains partenariats qui existaient depuis longtemps et qui n’existent plus aujourd’hui. On avait une certaine stabilité qui semble s’être évaporée et ça va amener une course à la chefferie ou le sacre d’une organisation qui va prendre le dessus sur une autre. C’est ce qu’on peut voir présentement.

Francis Renaud, commandant de la Division du crime organisé du SPVM

« Je ne pense pas que l’on soit près de voir des alliances. Je pense plus qu’on est dans la confrontation. Il y a des gens qui semblent vouloir prendre la balle au bond et saisir une opportunité, car il y a des places lucratives qui semblent vouloir s’ouvrir. Mais ce ne sera peut-être pas de tout repos de s’emparer de ces places-là », poursuit le commandant.

De gros souliers à chausser

Selon nos informations, des représentants de groupes criminels ont, à la fin de 2023, tenu des rencontres dont on ignore les motifs. Ou bien ils forgent des alliances, ou bien ils tentent de s’entendre, en ayant bien à l’esprit que les conflits ne sont jamais bons pour les affaires, peut-on penser.

Francis Renaud croit que le milieu devra trouver un nouveau Gregory Woolley, après l’assassinat de ce dernier à Saint-Jean-sur-Richelieu en novembre, pour servir de trait d’union entre les groupes.

« Woolley, c’était une grosse pointure. Il jouait un certain rôle dans la société criminelle. C’était un officier de liaison pour l’ensemble des organisations criminelles. Il va falloir qu’il y ait quelqu’un qui joue ce rôle, sinon certaines organisations ne se parleront pas et cela va amener de la violence et de l’insécurité dans le milieu », dit M. Renaud.

PHOTO MARTIN CHAMBERLAND

Personnage central du crime organisé québécois, à la confluence des gangs de rue, de la mafia et des Hells Angels, le caïd Gregory Woolley a été tué devant sa conjointe et son nouveau-né – fait rare dans le monde interlope –, dans un stationnement de Saint-Jean-sur-Richelieu, le 17 novembre.

L’éléphant dans la pièce

En 2023, il y avait un éléphant dans la pièce qui sera encore présent en cette nouvelle année qui débute : Frédérick Silva, cet ancien tueur à gages de la mafia et des motards qui est au cœur de l’enquête de la décennie menée par le SPVM et la Sûreté du Québec. Il a fait aux enquêteurs des révélations sur une trentaine de meurtres et autant de tentatives de meurtre commis au sein du crime organisé depuis au moins les années 2010.

Lorsque les arrestations auront lieu, des groupes criminels, en particulier la mafia sicilienne, pourraient être affaiblis et la police croit que des adversaires pourraient chercher à en profiter.

PHOTO FOURNIE PAR LE SERVICE DE POLICE DE LA VILLE DE MONTRÉAL, ARCHIVES

L’ancien tueur à gages devenu délateur Frederick Silva

« Si on crée un certain vide, il y a des gens qui vont vouloir le remplir et cela pourrait engendrer de la violence. Il y aura des conséquences à cette enquête, le crime organisé sera probablement modifié et il y aura des changements. Lesquels ? On ne peut pas les prédire. Mais on croit vraiment que l’année 2024 affichera du nouveau par rapport aux quatre, cinq ou six dernières années », prévoit le commandant Francis Renaud.

Ce dernier est optimiste quant à la capacité du système de justice d’absorber les procédures à venir. Mais il espère ne pas se tromper.

Ce dossier va mettre à l’épreuve le système de justice. Si le système judiciaire n’est pas en mesure de prendre ce projet-là, on a un grave problème de société. Nous arriverons avec l’article du Code criminel le plus grave, le meurtre, et si on est incapable de faire atterrir l’avion parce qu’il est trop gros pour la piste, il va falloir que l’on remette le système en question.

Francis Renaud, commandant de la Division du crime organisé du SPVM

En conclusion, Francis Renaud ne veut pas dire si les arrestations tant attendues auront lieu en 2024.

« Tout se peut. L’enquête va bien. Ce sera la surprise. Si, dans le milieu du crime organisé, la vengeance n’a pas de date d’expiration, les policiers, nous avons la mémoire longue nous aussi », prévient-il.

Pour joindre Daniel Renaud, composez le 514 285-7000, poste 4918, écrivez à drenaud@lapresse.ca ou écrivez à l’adresse postale de La Presse.

Violences armées : la baisse s’est poursuivie en 2023

Le nombre de décharges d’arme à feu a continué de diminuer en 2023 à Montréal : au 30 décembre, on en avait enregistré 99 comparativement à 128 pour toute l’année 2022 et 144 pour 2021. Au 30 décembre, neuf meurtres avaient été commis avec une arme à feu dans la métropole en 2023, comparativement à 21 pour toute l’année 2022 et 19 pour 2021. Et à la même date, près de 750 armes à feu avaient été saisies à Montréal en 2023 ; « c’est deux par jour », dit fièrement Francis Renaud, commandant de la Division du crime organisé du Service de police de la Ville de Montréal.

« Les stratégies ciblées mises de l’avant par le SPVM ont porté fruit, les différents groupes et escouades, tout ça mis ensemble, on a pris notre erre d’aller », estime M. Renaud.

« Mais je ne mentirai pas, c’est une surprise pour nous aussi. On est les professionnels de la sécurité publique, on met en place des stratégies qui, croit-on, seront gagnantes, mais personne ne s’attendait à un été relativement tranquille, comme celui que nous avons eu. Mais est-ce que cela signifie que la partie est gagnée ? Je ne pense pas et on va garder le cap », conclut-il.